Célébration du 15ème anniversaire de l’accès des citoyens russes à la Cour européenne des droits de l’homme
« … L’histoire n’a pas l’intention de s’arrêter. Elle met en suspens la question portant sur l’organisation juridique de l’ensemble de l’humanité et de la justice universelle. Un jour viendra où, au cours de ce forum… l’homme pourra lui aussi agir en qualité de plaignant contre son État… À travers l’enveloppe de l’État, l’individu tendra ses mains à l’humanité tout entière, la conscience de l’État s’en remettra à la conscience universelle et ainsi, les droits inaliénables de l’individu trouveront une sanction suprême uniquement possible pour eux ici, sur notre territoire pécheur qui cherche désormais à combler un manque de vérité. »
- A. Pokrovski « L’État et l’humanité », 1919[1].
Dans cet article consacré aux 15 ans de l’accès des citoyens russes à la CEDH, l’auteur fait un rapide inventaire des enjeux de l’entrée de la Russie dans le Conseil de l’Europe et de la ratification de la Convention européenne, ainsi que des grands évènements qui en ont suivis. Cela concerne principalement les grandes actes judiciaires orientés vers l’implantation en Russie de la jurisprudence européenne.
Avant même l’adoption de la nouvelle Constitution de la Fédération de Russie, le 7 mai 1992 la Russie avait officiellement présenté une demande d’adhésion au Conseil de l’Europe. Par la suite, la Russie, qui prévoyait de devenir membre du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention »), a soumis le projet de la Constitution de la Fédération de Russie à l’expertise internationale. En 1993, la Commission européenne pour la démocratie par le Droit (Commission de Venise)[2] a participé à trois séances plénières consacrées au projet de la Constitution de la Fédération de Russie et il n’est pas surprenant de constater que de nombreuses dispositions de la Constitution de la Fédération de Russie correspondent à celles des traités internationaux auxquels la Russie avait l’intention de se rallier.
Si l’on examine les sténogrammes issus des réunions de la Douma d’État de la Fédération de Russie illustrant les discussions relatives à l’adhésion au Conseil de l’Europe et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, on peut alors constater que l’objectif principal était d’offrir à nos citoyens une meilleure protection contre la violation des droits de l’homme, indispensable au peuple pour que « si l’individu est violemment offensé et que ses droits sont grossièrement violés, et en plus du fait que vous et moi le soutenons (s’il nous reste le temps et l’énergie de le faire), il soit soutenu par des institutions européennes (que vous les appréciez ou non) dont la jurisprudence existe depuis très longtemps et qui utilisent depuis très longtemps des instruments éprouvés pour la défense des droits de l’homme »[3]. Lors d’une réunion de la Douma d’État de la Fédération de Russie en 1996 portant sur l’adhésion au Conseil de l’Europe, le président du Comité pour les affaires internationales de la Douma d’État a fait part des objectifs visant à adhérer au Conseil de l’Europe comme suit : « Si nous rejoignons le Conseil de l’Europe, il s’agira probablement d’un évènement unique alors qu’il semble évident que cela ne présentera non pas un avantage pour nos autorités, notamment les autorités exécutives, mais plutôt pour nos citoyens, des citoyens qui, avec vous, nous ont élu ici, ce qui demeure un fait très important. Pourquoi ? Parce que le Conseil de l’Europe est la principale organisation de défense des droits de l’homme. N’oublions pas la Cour européenne qui, si nous signons les documents appropriés, prendra alors des décisions au cas par cas après avoir évidemment étudié tous les ressorts nationaux. Je pense que ce n’est pas une mauvaise chose pour la maîtrise de la bureaucratie et de l’arbitrage de nos autorités qui sont souvent très puissantes »[4]. De plus, lors de l’examen du projet de loi fédérale portant sur l’adhésion de la Fédération de Russie à la charte du Conseil de l’Europe, I. C. Ivanov, représentant officiel du président de la Fédération de Russie, premier adjoint du ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, représentant de la Commission interministérielle chargé de la préparation de l’adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe, a également avancé l’argument suivant : « un chapitre entier de la Constitution russe sur les droits et libertés de l’homme et du citoyen repose justement sur la convention du Conseil de l’Europe sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »[5].
Il a ensuite fallu signer la Convention, la ratifier et déposer les instruments de ratification au Conseil de l’Europe.
La loi fédérale du 30/03/1998 sur « La ratification de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » a intégré les dispositions de la Convention au système juridique de la Russie.
Dès le 5 mai 1998, après le dépôt des instruments de ratification, les citoyens russes ont eu la possibilité de s’adresser à l’organe de contrôle de la Convention auprès de la Cour européenne des Droits de l’homme (ci-après « CEDH »).
La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie a pour la première fois fait état des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans sa propre décision N° 16-P du 23 novembre 1999 relatif au contrôle de constitutionnalité des troisième et quatrième alinéas du paragraphe 3 de l’article 27 de la loi fédérale sur « La liberté de conscience et les associations religieuses » en raison des plaintes de la Société religieuse des témoins Jéhovah de Iaroslavl et du Rassemblement religieux « Église chrétienne de glorification » indiquant que les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme du 25 mai 1993 (Série A N° 260-A) et du 26 septembre 1996 (Reports of Judgments and Decisions, 1996-IV) définissaient la nature et la portée des obligations du gouvernement découlant de l’article 9 de ladite Convention.
La Cour Supérieure d’Arbitrage de la Fédération de Russie a elle aussi rapidement prêté attention à la Convention et à la jurisprudence de la CEDH en publiant la lettre d’information spéciale N С1-7/СМП-1341 du 20 décembre 1999 sur « Les principales dispositions appliquées par la Cour européenne des droits de l’homme pour la sauvegarde du droit de propriété et du droit à la justice » dans lesquelles elle oriente les tribunaux d’arbitrage vers le respect des dispositions formulées par le Cour européenne des droits de l’homme et portant sur la sauvegarde du droit de propriété et du droit à la justice.
C’est seulement en 2003 que la Cour Suprême de la Fédération de Russie explique pour la première fois la nécessité d’adopter les positions juridiques de la Cour européenne des droits de l’homme. L’Arrêté N°5 du Plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie du 10 octobre 2003 sur « L’application par les tribunaux de droit commun des principes universellement reconnus et des normes de droit international et des traités internationaux de la Fédération de Russie » comporte d’importantes précisions dont les suivantes :
« …En tant que membre de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Fédération de Russie reconnait le caractère obligatoire de la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne l’interprétation et l’application de la Convention et des protocoles y afférents dans le cas d’une violation présumée par la Fédération de Russie des dispositions desdits actes contractuels, lorsque ladite violation présumée se déroule après l’entrée en vigueur desdites dispositions concernant la Fédération de Russie (article 1 de la loi Fédérale N°54-FZ du 30 mars 1998 sur « La ratification de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des protocoles y afférents »). Par conséquent, l’application par les tribunaux de ladite Convention doit être effectuée au vu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme afin d’éviter toute violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose de son propre mécanisme qui comprend la juridiction obligatoire de la Cour européenne des droits de l’homme et un contrôle systématique de l’exécution des arrêtés de la Cour de la part du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. En vertu du paragraphe 1 de l’article 46 de la Convention, ces arrêtés concernant la Fédération de Russie, adoptés de manière définitive, lient tous les organes des pouvoirs publics de la Fédération de Russie, y compris les tribunaux.
L’exécution des arrêtés concernant la Fédération de Russie implique, qu’en cas de nécessité, l’État doit s’engager à prendre des mesures à caractère individuel visant à empêcher toute violation des droits de l’homme prévus par la Convention et toute conséquence due auxdites violations et supportées par le demandeur, ainsi que des mesures d’ordre général destinées à empêcher que de telles violations se reproduisent. Les tribunaux, dans les limites de leurs compétences, doivent agir ainsi afin de s’assurer que l’État se soustrait à ses obligations relatives à l’adhésion de la Fédération de Russie à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Si, lors de l’examen de l’affaire par le tribunal, des circonstances ayant contribué à la violation des droits et des libertés des citoyens garantis par la Convention sont identifiées, le tribunal est alors en droit de prendre un arrêt avant dire droit (ou un arrêté) dans lequel il attirera l’attention des organisations et fonctionnaires concernés sur les circonstances et les faits de violation desdits droits et libertés, exigeant la prise de mesures adéquates ».
Par la suite, des références aux positions juridiques de la CEDH ont été régulièrement exposées dans les arrêtés du Plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie[6].
Toutefois, le nombre de requêtes déposées auprès de la CEDH et le nombre de jugements dirigés contre la Russie a tout simplement augmenté. L’on recense notamment parmi ces derniers un grand nombre de plaintes relatives à la modification des décisions de justice dans le cadre du « nadzor »[7] en vertu des dispositions du Code de procédure civile de la Fédération de Russie.
Enfin, une nouvelle étape a été franchie en ce qui concerne l’application des décisions de la CEDH grâce à la décision N°2-P de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 5 février 2007 sur « Le contrôle de constitutionnalité des dispositions des articles 16, 20, 112, 336, 376, 377, 380, 381, 382, 383, 387, 388 et 389 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie concernant la demande du Cabinet des ministres de la République du Tatarstan, les plaintes des sociétés anonymes ouvertes « Nizhnekamsk Neftekhim Inc » et « Khakasenergo », ainsi que les plaintes de nombreux citoyens ». La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie explique que « …en ratifiant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Fédération de Russie a reconnu le caractère obligatoire de la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne l’interprétation et l’application de la Convention et des protocoles y afférents en cas de violation présumée par la Fédération de Russie des dispositions desdits actes contractuels (loi fédérale N° 54-FZ du 30 mars 1998). Ainsi, tout comme la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (dans la mesure où, en vertu des principes universellement reconnus et des normes du droit international, celles-ci donnent une interprétation des contenus énoncés dans la Convention des droits et des libertés, y compris le droit d’accès à un tribunal et à une justice équitable) sont intégrées aux systèmes juridiques russes et doivent donc être prises en compte par le législateur fédéral lors de la régulation des relations publiques et par les forces de l’ordre lors de l’application de la législation ».
Il s’agit d’une décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie qui exerce une sérieuse influence sur l’introduction d’amendements au Code de procédure civile de la Fédération de Russie.
Nonobstant tous ces éléments positifs, les conséquences juridiques de l’adoption des arrêts de la CEDH n’ont, pendant longtemps, pas été stipulées dans le Code de procédure civile de la Fédération de Russie. Ce qui a, à plusieurs reprises, fait l’objet de plaintes des citoyens et de leurs associations auprès de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie et c’est seulement en 2010 que la décision N°4-P de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 26 février 2010 sur « Le contrôle de la constitutionnalité de la deuxième partie de l’article 392 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie relatif aux plaintes des citoyens A. A. Dorochka, A. E. Kota et E. Y. Fedotovoj » a été rendu, illustrant ainsi la possibilité d’une révision sur charges nouvelles en vertu de l’arrêt de la CEDH. L’un des motifs de cette décision résidait dans le fait que « les droits et les libertés de l’homme et du citoyen reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont identiques, par leur nature, aux droits et libertés figurant dans la Constitution de la Fédération de Russie et que la confirmation de leur violation, conformément à la Cour Européenne des droits de l’homme et à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, en vertu de la nature juridique du statut de ces organes et de leur vocation, suggère la possibilité d’utiliser un mécanisme institutionnel unique d’exécution de leurs décisions afin de rétablir complètement les droits violés ».
Par la suite, le législateur a apporté des modifications au Code de procédure civile de la Fédération de Russie et depuis le 1er janvier 2012, la constatation, par la Cour européenne des droits de l’homme, des violations des dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales lors de l’examen par le tribunal d’un cas particulier relatif à la prise de décision dont le demandeur a fait cas à la Cour européenne des droits de l’homme, constitue les fondements nécessaires à l’examen sur charges nouvelles (paragraphe 4, partie 4, article 392 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie).
Toutefois, en soi, la fixation de la procédure de révision sur charges nouvelles n’a pas permis de résoudre tous les problèmes d’exécution de l’arrêt de la CEDH et d’application des dispositions de la Convention liés à l’interprétation de la CEDH.
De plus, après l’adoption par la CEDH de l’arrêt du 7 octobre 2010 relatif à l’affaire « Konstantin Markin c. Russie », dans lequel résonne la critique de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, la question sur la possibilité de ne pas exécuter l’arrêt de la CEDH a été posée. Le plus poignant fut le discours du président de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, V. D. Zorkine « La limite de la conformité » dans lequel il déclarait en particulier : « Chacune des décisions de la Cour européenne constitue un acte non seulement juridique, mais également politique. Si lesdites décisions sont prises dans l’intérêt de la protection des droits et libertés des citoyens et du développement de notre pays, alors la Russie les respectera de manière stricte. En revanche, si les décisions de la Cour de Strasbourg sont discutables du point de vue de l’esprit de cette même Convention européenne des droits de l’homme et affectent par ailleurs directement la souveraineté nationale et les principes constitutionnels fondamentaux, la Russie est en droit d’élaborer un mécanisme de protection contre lesdites décisions. C’est justement à travers le prisme de la Constitution que doivent être résolus les problèmes de concordance entre les décisions de la Cour constitutionnelle et de la CEDH »[8].
Après cela, un certain nombre de juges de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie et leurs collègues ont publiquement critiqué cette décision de la CEDH. Ensuite, d’autres fonctionnaires se sont joints au mouvement en accompagnant les discours de projets de loi portant sur le fait que les décisions des organes interétatiques dans notre pays seront exécutées uniquement si la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie reconnait que la norme relative à cette décision ne contrevient pas à la Constitution de la Fédération de Russie et que les obligations qui en découlent ne la contredisent pas.
Deux projets de loi (N° 564315-5 et N° 564346-5) concernant la participation de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie au processus d’exécution des décisions de la CEDH ont été déposés auprès de la Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie avant d’être adoptés en première lecture en juin 2011. Le projet de loi N° 564315-5 proposait de modifier le Code de procédure civile de la Fédération de Russie et le Code de procédure arbitrale, notamment en stipulant ce qui suit : l’examen de l’acte judiciaire entré en vigueur en raison de la constatation par la Cour européenne de la violation des dispositions de la Convention n’est pas efficace si la loi fédérale appliquée dans ce cas n’est pas reconnue non conforme à la Constitution de la Fédération de Russie par la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie. Le projet de loi N 564346-5 proposait de permettre à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie de définir la constitutionnalité du texte réglementaire des pouvoirs publics (accords entre les organes) dans le cadre de l’adoption de la décision par l’organe interétatique pour la sauvegarde des droits et libertés de l’homme, qui définit la violation des dispositions des traités internationaux de la Fédération de Russie en vertu de l’application d’une loi ou d’un accord réglementaire. Nous pensons que ces deux projets de loi ont tenté, en vain, d’entraver l’exécution de l’arrêté de la CEDH, mais heureusement, ils ne furent pas analysés plus en avant par la Douma d’État de la Fédération de Russie. Tout cela s’est accompagné d’un débat houleux dans les médias et les publications juridiques.[9]
Plus tard, la CEDH, en Grande chambre, a révisé l’affaire « Markin c. Russie » en suivant les critiques de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie et en mettant l’accent sur les faits illustrant ladite affaire, mais en augmentant le montant des indemnisations versées à Markin.
Heureusement, l’incident, que l’on devrait selon toute vraisemblance voir se répéter, n’a pas empêché la victoire du sens commun. La Cour Suprême de la Fédération de Russie n’a d’ailleurs pas abandonné le travail de préparation des explications concernant les conséquences juridiques des arrêtés de la CEDH lors de l’examen des affaires par les tribunaux de droit commun.
Au printemps 2013, le projet d’arrêté du Plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie sur « L’exécution par les tribunaux de droit commun des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme » a été porté devant les tribunaux de droit commun et les établissements de recherche et les établissements d’enseignement supérieur afin qu’ils partagent leurs observations et propositions.
La Cour Suprême de la Fédération de Russie a fait un excellent travail au cours de cette année de jubilé célébrant le 15ème anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention en Russie et durant laquelle l’Arrêté N°21 du Plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie du 27 juin 2013 sur « L’application par les tribunaux de droit commun de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et des Protocoles y afférents » a été adopté.
Il est évident que cet acte important, que la jurisprudence attendait depuis si longtemps, permettra d’appliquer largement dans les tribunaux les positions juridiques de la CEDH et de diminuer le flot de plaintes reçues par la CEDH en rendant la justice russe plus juste et conforme aux normes juridiques européennes de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le changement de nom de l’Arrêté est, de notre point de vue, tout à fait justifié étant donné que le nom initial en limitait la portée.
Il est évident que cet acte important doit être dûment examiné, un examen qui sera, sans aucun doute, réalisé par de nombreux chercheurs et praticiens du droit. Dans cet article, nous dévoilons simplement quelques points essentiels, bien que nous constations que ledit arrêté en contient une multitude.
Tout d’abord, notons que la Cour Suprême de la Fédération de Russie met l’accent sur le fait que la sauvegarde des droits et libertés de l’homme prévus par la Convention incombe avant tout aux organes de l’Etat, y compris aux tribunaux.
L’ancien débat portant sur la possibilité que les tribunaux de droit commun appliquent les positions juridiques de la CEDH a été résolu. La Cour Suprême de la Fédération de Russie a expliqué que les positions juridiques de la CEDH, contenues dans les arrêtés définitifs de la Cour, pris à l’égard de la Fédération de Russie, sont obligatoires pour les tribunaux, et que celles contenues dans les arrêtés de la CEDH, pris à l’égard d’autres états, membres de la Convention, sont prises en compte pour la sauvegarde efficace des droits et libertés de l’homme par les tribunaux. Dans ce cas, la position juridique est prise en compte par le tribunal si les circonstances de l’affaire qu’il a examinée sont des circonstances semblables, faisant l’objet de l’analyse et des conclusions de la CEDH.
Fut également réglé le problème découlant de la compréhension erronée de la Convention, qui en faisait un acte normatif subsidiaire, s’appliquant uniquement lorsqu’aucune norme du droit russe ne réglementait telle ou telle question. La Cour Suprême de la Fédération de Russie a été contrainte de préciser que les positions juridiques de la Cour européenne entraient en ligne de compte dans l’application de la législation de la Fédération de Russie, que le contenu des droits et libertés prévus par la législation de la Fédération de Russie était déterminé en fonction du contenu des droits et libertés analogues dont la Cour européenne fait état pour l’application de la Convention et des protocoles y afférents.
Les indications de l’Assemblée plénière étaient essentielles. En effet, selon l’interprétation de la CEDH, les dispositions de la Convention et des protocoles y afférents impliquent que par limitation des droits et libertés de l’homme (ingérence dans les droits et libertés des hommes) l’on entend toute décision, action (inaction) des autorités publiques, des collectivités locales, des fonctionnaires, des agents publics et employés municipaux, ainsi que d’autres individus, dont l’adoption ou l’exécution (l’inexécution), en lien avec la déclaration de violation présumée par l’individu de ses droits et libertés, ont créé des obstacles à l’application de ses droits et libertés.
Par conséquent, l’attention des tribunaux a été attiré sur l’objet de la recherche lors de l’examen des litiges sur la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment sur la nécessité de la recherche des critères suivants, en cas de limitation des droits et libertés: la possibilité de limitation uniquement dans la loi fédérale ; l’existence d’un objectif significatif et légitime d’un point de vue social concernant cette limitation, qui s’avère indispensable dans une société démocratique (et proportionnel à l’objectif poursuivi, significatif et légitime d’un point de vue social).
Le non-respect de l’un de ces critères de limitation constitue une violation des droits et libertés de l’homme qui relèvent de la protection juridictionnelle conformément à la procédure prévue par la loi.
Conformément aux dispositions de l’article 46 de la Convention, interprétées au vu de la Recommandation N° R (2000) 2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 19 Janvier 2000 sur « L’examen des affaires et la reconduction de la procédure au niveau national dans le cadre des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme » (ci-après, la Recommandation d’examen), toutes les violations constatées par la Cour européenne et commises par la Fédération de Russie envers les dispositions de la Convention ou des protocoles y afférents ne peuvent pas constituer un motif d’examen des actes judiciaires sur charges nouvelles.
La Cour Suprême de la Fédération de Russie a expliqué que l’acte judiciaire est soumis à examen si le requérant continue de subir les conséquences désastreuses dudit acte (par exemple, si l’individu est en détention dans des conditions qui ne respectent pas les dispositions de la Convention) et si la compensation légitime versée au requérant et accordée par la Cour européenne en vertu de l’article 41 de la Convention ou toute autre ressource n’étant pas liée à la révision, ne garantit pas la restitution des droits et libertés violés.
Il est évident que l’arrêt de la CEDH, qui constate la violation de la Convention par la non-exécution de la décision du tribunal, ne doit pas être la cause d’une révision fondée sur l’apparition de nouveaux éléments de fait ou de droit. De notre point de vue, cet arrêt de la CEDH, qui compense entièrement le préjudice matériel et immatériel, ne peut constituer un motif d’examen. Nous pouvons notamment citer en exemple le cas où l’entrée en vigueur de la décision a été annulée par voie de révision suite à un litige entre des personnes physiques à propos de l’acquisition d’un appartement. Par la suite, la CEDH, constatant la violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole N°1 à la Convention, a décidé de verser au requérant un montant équivalent à la valeur marchande de l’appartement pour préjudice matériel et préjudice moral, ainsi que de rembourser les frais de justice (Arrêt de la CEDH relatif à l’affaire « Ermichev c. Moldavie », plainte N° 42288/02 du 8 août 2006). Bien évidemment, dans ce cas, l’examen est irrecevable.
La Cour Suprême de la Fédération de Russie a expliqué la suffisance de la violation constatée par la CEDH pour l’examen qui indique que, soit la décision de justice contredit par définition la Convention, soit la violation de la Convention ou des protocoles y afférents, disposant d’un caractère procédural, met en doute les résultats de l’instance.
L’attention s’est également portée sur le fait que lors de l’examen par le tribunal de la question portant sur la nécessité d’examiner l’acte judiciaire, le rapport de cause à effet entre la violation de la Convention ou des protocoles y afférents constatée par la CEDH et les conséquences défavorables que le requérant continue de subir a été pris en compte.
L’Arrêté du Plenum attire également l’attention des tribunaux sur le fait qu’il ressort des dispositions de l’article 1 de la législation fédérale sur la ratification, interprétées en vertu de l’article 46 de la Convention, que lors de l’examen de l’acte judiciaire pour l’adoption duquel le requérant a saisi la Cour européenne, le tribunal devait tenir compte des positions juridiques de la Cour européenne énoncées dans la décision pertinente et des violations de la Convention ou des protocoles y afférents constatées par la Cour.
Il convient de noter que dans le paragraphe 4, partie 4 de l’article 392 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie la constatation par la CEDH de la violation des dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales justifie l’examen sur charges nouvelles lors de l’examen par le tribunal d’un cas particulier, en lien avec l’adoption de la décision pour laquelle le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Autrement dit, seule la constatation du délit de violation de la Convention constitue un motif.
Par ailleurs, à la veille de l’adoption de cet Arrêté du plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie a accepté la demande d’examen du présidium de la Cour du district militaire de Leningrad portant sur le contrôle de la constitutionnalité des paragraphes 3 et 4 de la partie IV de l’article 392, en lien avec l’article 11 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie.
Cette demande comportait une question sur la constitutionnalité des paragraphes 3 et 4 de la partie IV de l’article 392, en lien avec l’article 11 du Code de la procédure civile de la Fédération de Russie dans la mesure où ces normes permettent l’examen de la décision admise par le tribunal de droit commun et entrée en vigueur étant donné les positions juridiques opposées de la CEDH et de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie quant à la conformité des normes de la législation nationale, appliquées lors de l’examen d’un cas particulier aux dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, empêchant la bonne résolution mentionnée dans l’affaire civile.
De notre point de vue, si l’Arrêté du plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie avait été pris plus tôt, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie n’aurait alors peut-être pas reçu de requête. Cela nous semble évident étant donné que l’examen d’une demande de révision fondée sur l’appirition de faits nouveaux ne permet pas de résoudre le problème portant sur l’application de telle ou telle loi, de telles ou telles normes, et que seule l’existence de motifs prodécuraux, tel qu’indiqué à l’article 392 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie est examinée, ici, le délit de violation de la Convention. La question portant sur l’application de telle ou telle norme ne sera résolue qu’après l’annulation d’une décision de justice et un nouvel examen de l’affaire. D’ailleurs, la situation relative à ladite requête auprès de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, ainsi que l’Arrêté du Plenum de la Cour Suprême exigent une analyse plus approfondie et nous espérons que la communauté scientifique ne laissera pas cette situation sans surveillance et que les amicus curiae pourront être soumis à la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie et permettront de résoudre correctement le problème.
[1] Pokrovski I. A. L’État et l’humanité. Moscou : 1919, citation. Issue du livre de Pokrovski I. A. Les principaux problèmes du droit civil. Moscou : 2003. Page 29.
[2] Pour en savoir plus sur l’expertise du projet et du texte de la Constitution de la Fédération de Russie réalisée par la Commission européenne pour la démocratie par le Droit (Commission de Venise), rendez-vous sur le site de l’Assemblée constituante de Russie. Sténogrammes, documentation, documents. Volume de référence. (Tome 21). Moscou : 1996. Pages 81 à 100.
[3] Discours du représentant du Comité pour les affaires étrangères de la Douma d’État V. P. Loukine.// Sténogramme de la réunion de la Douma d’État de la Fédération de Russie du 22/06/1994 portant sur « Le projet de demande de l’Assemblée fédérale de la Douma d’État de la Fédération de Russie concernant la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée le 4 novembre 1950 ».
[4] Discours du représentant du Comité pour les affaires étrangères de la Douma d’État V. P. Loukine.// Sténogramme de la réunion de la Douma d’État de la Fédération de Russie du 16 février 1996 au sujet du « Projet de la loi fédérale sur l’adhésion de la Fédération de Russie à la charte du Conseil de l’Europe » de la même année. Discours du représentant du Comité pour les affaires étrangères de la Douma d’État V. P. Loukine.
[5] Rapport du représentant officiel du président de la Fédération de Russie, premier adjoint au ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, représentant de la commission interministérielle chargée de la préparation de l’adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe I. C. Ivanov//Sténogrammes de la réunion de la Douma d’État de la Fédération de Russie du 21 février 1996. Heure de la ratification
[6] Consultez par exemple le paragraphe 4 de l’arrêté N°23 du Plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie du 19 décembre 2003 sur « La décision de justice », les paragraphes 1 et 9 du préambule de l’Arrêté N°3 du Plenum de la Cour Suprême de la Fédération de Russie du 24 février 2005 sur « La jurisprudence du tribunal concernant la sauvegarde de l’honneur et de la dignité des citoyens, ainsi que de la réputation commerciale des citoyens et des personnes morales ».
[7] Le nadzor est une sorte de procédure de révision, mais qui est utilisée à grande échelle en Russie. – Note du traducteur
[8] Zorkine V. D. La limite de la conformité//Rossiskaia Gazeta Publication fédérale N°5325 (246) du 29 octobre 2010.
[9] Zaïkov D. E. Congé parental pour les hommes militaires : être ou ne pas être ? //Droit dans les forces armées. 2011. N°5 Pages 7 à 12 ; Zorkine V. D. La coopération de la justice nationale et supranationale aujourd’hui : de nouvelles perspectives//Revue comparative constitutionnelle. 2012. N°5 Pages 45 à 53 ; Lapaeva V.V. Problèmes de corrélation entre la valeur juridique de la Constitution de la Fédération de Russie et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (d’après la documentation liée à l’affaire « К. Markin c. Russie »). http://igpran.ru/articles/2957/ ; Lapaeva V.V. Affaire « Konstantin Markin c. Russie » dans le contexte des problèmes de souveraineté nationale // Revue comparative constitutionnelle. 2012. N°2 Pages 77 à 90 ; Koroteev K. H. Le conflit qui n’en est pas un. Commentaires de la décision de la Grande Chambre de la cour Européenne des droits de l’homme sur l’affaire « Konstantin Markin c. Russie » // Revue comparative constitutionnelle. 2012. N°4 Pages 122 à 130 ; Kourdioukov G. I., Alexandrov S. V. Les aspects internationaux et juridico-constitutionnels de la nature juridique du traité de la Cour européenne des droits de l’homme // Youriditcheski Mir. 2012. N°6 Pages 46 à 50 ; Filatova M. A. La Cour de Strasbourg : existe-t-il un chemin entre la « souveraineté » et « l’activisme » ? // Juge. 2011. N°10 Pages 58 à 61 ; Fokov A. P. Droit international et national dans l’exercice de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie : histoire, actualité et problèmes relatifs à la Cour européenne des droits de l’homme // Juge russe. 2011. N°1 Pages 2 à 6.
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