La responsabilité pénale des personnes morales en France
Une réintroduction
Le droit de l’Ancien Régime avait institué la responsabilité des personnes morales en 1640.
Elle avait ensuite disparu dans le code napoléonien de 1810.
Sa réintroduction en droit français est la plus importante innovation du nouveau code pénal entré en vigueur en France le 1er mars 1994.
Elle est le fruit d’un débat doctrinal intense et ancien, puisque plusieurs projets successifs de réforme du code pénal l’avaient envisagée, en 1934, en 1978 et en 1983.
En définitive, l’idée réaliste l’a emporté que si la personne morale n’est qu’une fiction juridique, son activité peut générer des atteintes graves à l’ordre social, qui justifiait qu’il soit mis fin à leur immunité.
Champ d’application personnel de la responsabilité des personnes morales
Selon l’article 121-2 du nouveau code pénal, toutes les personnes morales peuvent être pénalement responsables, qu’elles soient de droit privé ou de droit public, à l’exception notable de l’Etat, qui, comme le roi autrefois, « ne peut mal faire ».
Cependant, les collectivités territoriales ou leurs groupements ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée qu’à raison d’infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public, ce qui exclut toute responsabilité pénale à l’occasion d’activités manifestant l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Champ d’application matériel de la responsabilité des personnes morales
Cette responsabilité ne peut être engagée que lorsqu’un texte d’incrimination la prévoit spécialement. On appelle cette règle le principe de spécialité.
Le législateur a français a vu assez large au départ, et le champ matériel d’application de la responsabilité des personnes morales s’est progressivement étendu depuis 1994.
En matière de crime et de délits contre les personnes, par exemple, elle est prévue pour la moitié des infractions environ, du crime contre l’humanité à l’homicide et aux blessures involontaires, en passant par le proxénétisme et le trafic de stupéfiants, mais non pour le meurtre ou les violences, ce qui est peut-être une lacune.
Presque toutes les infractions courantes contre les biens peuvent être reprochées aux personnes morales : vol, recel, extorsion, escroquerie, blanchiment, etc.
Les personnes morales peuvent être pénalement responsables de tous les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la Nation, tels que le terrorisme, la corruption active, le trafic d’influence ou encore le faux monnayage.
Enfin, diverses législations spéciales prévoient la responsabilité pénale des personnes morales, notamment en matière économique ou d’environnement.
L’expérience montre que la responsabilité pénale des personnes morales est particulièrement utile aujourd’hui en droit de la consommation, en droit du travail, en droit économique, notamment de la concurrence, et qu’elle le sera demain en droit de l’environnement.
L’existence de la personne morale
Seule peut être poursuivie et condamnée une personne morale existante, c’est-à-dire déjà dotée de la personnalité juridique. De même, une personne morale dissoute ne peut plus être poursuivie.
La manoeuvre consistant à dissoudre une personne morale, dans le but de la faire échapper à des poursuites pénales, a cependant un intérêt limité car, comme on le verra, la responsabilité pénale des personnes morales se cumule avec celles des personnes physiques.
Au nom du principe suivant lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, jusqu’à aujourd’hui, refusé de déclarer pénalement responsable la personne morale absorbante en cas de fusion-acquisition.
Cette limite, qui n’existe pas lorsque c’est la responsabilité civile de la société qui est recherchée, est un frein à l’efficacité de la répression et est considérée par certains comme méconnaissant la réalité de la vie économique des entreprises.
Conditions de fond d’engagement de la responsabilité des personnes morales
L’infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale, par ses organes ou représentants.
Ce critère double est évidemment celui qui a donné lieu aux débats les plus délicats devant les tribunaux ; la jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement précisé la définition de ce qu’il faut entendre par « organes », « représentants » et d’action « pour le compte de ».
« Pour le compte de » signifie, d’une manière générale, que la personne morale a pu retirer un profit de la commission de l’infraction ; à l’inverse, si l’infraction n’a été commise que dans l’intérêt personnel de la personne physique qui en est l’auteur, la responsabilité pénale de la personne morale ne pourra être engagée.
La personne morale peut être déclarée coupable d’une tentative, ou encore en qualité de complice.
Pour le moment, le droit français s’en tient à un raisonnement qui conduit à examiner d’abord l’existence de l’infraction, à l’imputer ensuite à une personne physique, puis, à travers elle, à une personne morale.
Autrement dit, l’infraction reprochée à une personne morale doit être d’abord imputable à une personne physique.
Corrélativement, la faute pénale de l’organe ou du représentant suffit à engager la responsabilité de la personne morale, sans que doive être établie une faute distincte à la charge de la personne morale.
On pourrait imaginer une imputabilité automatique à la personne morale, sans avoir à rechercher la responsabilité de la personne physique, comme d’autres droits l’ont fait. Il n’existe pas aujourd’hui en France de projet de réforme allant dans la direction d’une responsabilité pénale directe de la personne morale.
Mais, graduellement, la chambre criminelle a évolué, assouplissant les critères d’engagement de la responsabilité de la personne morale, notamment en permettant cet engagement dans des cas où la personne physique ne pouvait pas être identifiée, ou encore en admettant que la personne morale puisse être poursuivie de manière autonome, à l’exclusion d’une personne physique.
Articulation avec la responsabilité pénale propre des personnes physiques
Le principe retenu par le droit français est celui du cumul des responsabilités pénales : l’organe ou le préposé de la société qui a commis une infraction pénale pour le compte d’une personne morale peut être également poursuivi et condamné.
L’objectif poursuivi par cette solution est assez simple : il s’agit d’éviter que la personne morale ne constitue un écran pour les turpitudes de ses dirigeants – ou de ses préposés.
Les parquets, ont été invités à faire preuve de discernement dans l’engagement de poursuites dirigées contre les dirigeants des collectivités locales, lorsqu’aucune faute personnelle d’une particulière gravité n’est imputable aux élus qui les dirigent. Mais, s’agissant des personnes morales de droit privé, la pratique consiste plutôt à poursuivre à la fois la personne morale et celui de ses représentants, s’étant rendu coupable de l’infraction.
La personne physique et la personne morale, lorsqu’ils sont déclarés co-auteurs d’une infraction pénale, sont, comme tous autres co-auteurs, solidairement tenus à réparation envers les victimes.
Procédure
La procédure applicable aux personnes morales ne présente pas de grande particularité.
Les notifications, citations et significations sont naturellement faites à leurs représentants légaux.
Au cours de la procédure, la personne morale est représentée par son représentant légal, qui peut donner délégation de pouvoir. En raison du conflit d’intérêt possible entre lui et l’entité qu’il dirige, le représentant légal peut solliciter la nomination en justice d’un mandataire ad hoc pour représenter la société au cours de la procédure pénale.
Le représentant de la personne morale ne peut pas, en cette qualité, faire d’objet de mesures de contraintes autres que celles applicables aux témoins.
Le juge d’instruction a le pouvoir de placer la personne morale sous contrôle judiciaire, avec notamment l’obligation de déposer un cautionnement ou de constituer des sûretés, de ne pas exercer certaines activités professionnelles ou sociales, d’être placée sous le contrôle d’un mandataire de justice.
Les personnes morales jouissent dans leur défense pénale des mêmes garanties que les personnes physiques, notamment de toutes celles qui sont définies par la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Les peines applicables aux personnes morales
La reine des peines applicables aux personnes morales est l’amende. C’est la plus utilisée par les tribunaux français.
Le montant de l’amende encourue est égal à cinq fois à celui qui est encouru par les personnes physiques pour la même infraction. En matière criminelle, si aucune peine d’amende n’est prévue pour les personnes physiques, l’amende encourue est fixée par la loi à la somme de 1.000.000 d’euros.
Mais, en matière de crime ou de délit – il n’y a pas de distinction à faire, la loi prévoit d’autres peines, énumérées à l’article 131-39 du code pénal, parmi lesquelles :
– La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou (…) détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ; on a pu comparer cette peine à une sentence de mort ; les conditions dans lesquelles elle est enserrée limitent son prononcé à des infractions d’une très grande gravité ou d’une dangerosité particulière ; par exception, les personnes morales de droit public, les partis ou groupements politiques, les institutions représentatives du personnel et les syndicats professionnels ne peuvent être dissous ; la peine de dissolution a été requise en 2009 contre la branche française de l’Eglise de Scientologie, poursuivie pour escroquerie ;
– L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;
– Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ; cette peine est inapplicable aux personnes morales de droit public, partis ou groupements politiques, institutions représentatives du personnel et syndicats professionnels ; c’est la plus originales des peines spécialement imaginées pour les personnes morales ; il s’agit d’une sorte de tutelle, exercée par un mandataire de justice, désigné par la juridiction de jugement prononçant la condamnation ; ce mandataire de justice est généralement un administrateur judiciaire, c’est-à-dire un spécialiste de l’administration des entreprises en difficulté ; il rend compte au juge de l’application des peines ;
– La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
– L’exclusion des marchés publics, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ; il s’agit évidemment de lutter contre la corruption active ;
– L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé ; cette peine a pour objet la protection des épargnants ;
– La confiscation ;
– L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci, soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public, par voie électronique.
Le casier judiciaire des personnes morales
Ce fichier d’antécédents a été créé en même temps que le nouveau code pénal. Analogue à celui des personnes physiques, il est nécessaire pour permettre les poursuites en récidive, la mise en œuvre du sursis à temps, mais aussi, plus simplement, pour assurer l’efficacité des sanctions prononcées.
Il ne comporte que deux parties, appelées bulletins, là où le casier judiciaire des personnes physiques en comporte trois.
La première partie, dite « B1 », abréviation de « bulletin n°1 », n’est accessible qu’aux autorités judiciaires.
La seconde partie, dite « B2 » , est une version expurgée, qui ne mentionne que les condamnations les plus graves, et n’est accessibles qu’à certaines autorités publiques énumérées par la loi : Etat, collectivités locales, administrations chargées du contrôle de certaines professions, juges (non professionnels en France) des tribunaux de commerce, Commission des opérations de bourse.
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