Table ronde « La place du juge dans l’Etat » à la faculté de droit de l’Université d’Etat de Moscou
Le 15 décembre 2016, à la faculté de droit de l’Université d’Etat de Moscou s’est tenu la Table ronde sur « La place du juge dans l’Etat »[1], première étape du projet de coopération universitaire entre le Centre de procédure pénale et de Justice de la faculté de droit de MGU, l’Ecole de droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’association Comitas Gentium France-Russie sur l’étude du pouvoir judiciaire. La Table ronde a été organisée avec le soutien de l’Ambassade de France en Russie. Le but de cette première étape fut l’établissement du cadre théorique de réflexion sur les fonctions et les enjeux du pouvoir judiciaire dans la mécanique étatique.
Les travaux de la Table ronde ont débuté par une présentation générale des systèmes français et russe. Le Professeur C.-A. Dubreuil, vice-Président de l’Université d’Auvergne, a ouvert les travaux avec une présentation des spécificités du dualisme juridictionnel français, de sa complexité et des difficultés que cela entraîne pour le justiciable, concluant sur la possibilité d’une simplification n’entraînant pas pour autant la remise en cause de cet élément de la culture historique et juridique française. S. Romanov, maître de conférences au Centre de procédure pénale et de Justice de la faculté de droit de MGU a présenté les spécificités du système juridictionnel russe, tant sur le plan de la répartition fédérale et locale des juridictions, que au regard de la particularité des juridictions commerciales, dites d’arbitrage. Certains problèmes du système juridictionnel russe ont été présentés, notamment la carte judiciaire créant les risques d’une dépendance des juridictions avec les exécutifs locaux, le caractère encore largement hiératique des voies de recours en appel et en cassation et la remise en cause partielle du principe de collégialité pour des raisons budgétaires.
Le premier bloc de discussion a porté sur la mission et le statut constitutionnel de la justice. Le Professeur B. Mathieu, de l’Université Paris 1, a souligné la montée en puissance de la fonction juridictionnelle dans un cadre politique de crise des institutions démocratiques, s’appuyant sur un rapport de méfiance entre le politique et le judiciaire. Le Professeur L. Golovko, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice de la faculté de droit de MGU, a insisté sur l’augmentation des compétences du juges, devenue figure unique acceptable de protection des droits des individus et toute la difficulté d’appréciation de l’efficacité du travail de la justice, les critères quantitatifs sociologiques n’étant pas pertinants ici, vue la spécificité du domaine.
Le second boc de discussion s’est attaché à la question de la légitimité du juge. L. Fontaine, président de la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Lyon et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, a rappelé les liens entre indépendance, garantie objectivée notamment dans les textes constitutionnels, et l’impartialité, plus subjective au magistrat, garantie par différents documents dont le Recueil des obligations déontologiques, soulignant qu’il ne peut y avoir de justice sans indépendance et d’indépendance sans impartialité, ce qui donne toute sa légitimité au magistrat. K. Béchet-Golovko, présidente de l’association CGFR et professeur invité à la faculté de droit de MGU, a rappelé l’impossibilité d’une indépendance absolue, ni du juge ni du système judiciaire qui est un élément de l’Etat, cette recherche d’absolu étant particulièrement significative des périodes révolutionnaires, donc incompatible avec la stabilité nécessaire au renforcement de l’Etat, seul apte à défendre les intérêts de la société et les droits des individus.
Le troisième bloc de discussion a porté sur la place des juges dans le gouvernement de l’Etat. C. Raysséguier, Premier avocat général honoraire à la Cour de cassation, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, a insisté sur le lien nécessaire entre compétence et responsabilité et le développement des mécanismes de recours contre les magistrats par l’intermédiaire du Conseil supérieur de la magistrature. M. Mikheenkova, maître-assistante au Centre de procédure pénale et de Justice à la faculté de droit de MGU, a souligné le rôle ambigü des arrêtés du Plénum de la Cour suprême, leur fonction tout à la fois interprétative et directive pour les juridictions inférieures, posant également la question du précédent judiciaire dans les systèmes de droit continentaux. J. C. Magendie, Premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris, a montré le double rôle de la justice internationale, entre coopération et intégration et le développement de son influence sur les systèmes nationaux, notamment au niveau européen. A. Piouk, président du tribunal de la ville de Méguion (Khantys-Mansis) s’est attaché à présenter les rapports entre le juge russe et la CEDH, la position de la Cour suprême étant celle de la nécessité pour les juges de tenir compte dans leur pratique du droit européen et des positions de la CEDH, dont les arrêts sont systématiquement traduits et diffusés à toutes les juridictions.
Les présentations furent accompagnées d’une discussion vive et fructueuse, à laquelle ont pris part des membres du Centre de procédure pénale et de justice de la faculté de droit de MGU, de l’Université d’Etat juridique de Moscou (Koutafine), de l’Université russe de la Justice, de l’Université d’Etat de Saint Pétersbourg, de la Haute Ecole d’Economie, etc.
La Table ronde s’est conclue par le passage du flambeau au Professeur B. Mathieu pour la prochaine étape du projet et la Table ronde parisienne de ce printemps.
[1] http://www.law.msu.ru/node/48530
Recent Comments