LE CLUB FRANÇAIS DE MOSCOU. « La place de l’homme dans la société aujourd’hui »
Le Club français de Moscou, accueilli pour sa réunion du 4 février 2022 par la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, s’est interrogé sur la place de l’homme dans la société aujourd’hui. La discussion s’est articulée autour de deux axes : tout d’abord, celui de la vision de l’homme et du milieu dans lequel il se construit, à savoir le milieu culturel, l’école et la famille, aujourd’hui soumis à différentes attaques, qui conduisent à de l’atomisation de la société et de la transformation de l’homme en individu ; ensuite, celui de la société, des attentes sociales et de la notion de juste, de la manière dont l’homme acquiert sa place dans la société et de la capacité de chaque société à garder une cohésion. Cela partant du point de vue, selon lequel l’homme et la société interagissent mutuellement l’un sur l’autre.
Ce processus de régression civilisationnelle, qui accompagne une double tentation de changer l’homme à la fois de l’extérieur, en influençant sur son environnement, et de l’intérieur, en cherchant à modifier la perception du concept d’humanité réduit à sa dimension biologique, est porté par le renforcement du rôle des technologies. Si la technique en tant que telle est neutre, son utilisation ne l’est pas et nous observons ces dernières années un changement de paradigme : la technique n’est plus un moyen, mais devient une fin en soi, ce qui modifie sa nature et son rôle. Ainsi, l’homme est sommé de céder la place : dans tous les domaines, qui sont pourtant fondamentalement humains, comme l’enseignement ou la justice, il est censé pouvoir être avantageusement remplacé par des algorithmes rebaptisés « intelligence artificielle » et l’enseignant ou le juge ne seraient là que pour guider des individus, consommateurs de services standardisés, entre ces programmes. De l’enseignement à distance à l’introduction massive des technologies dans l’enseignement, les tendances sont globalisées. Il est important ici de distinguer la part du marketing, de celle de la réalité, car si les algorithmes prennent effectivement une place croissante au quotidien, dans des domaines aussi sensibles que celui de l’enseignement, ils conduisent à la disparition d’un enseignement de qualité de masse, pour fonctionnellement revenir à la situation antérieure à celle du 20e siècle, avec une éducation classique pour des élites et une éducation « simplifiée », numérisée, technologisée et ludique, pour la masse des populations.
Cette tendance conduit à une rupture des liens intergénérationnels et les mécanismes de transmission dans les familles sont remis en question, lorsqu’à la fois les parents et les enfants n’ont plus les mêmes référents culturels et lorsque le principe d’autorité est remis en cause. La famille, initialement conçue comme un cocon permettant aux êtres de grandir et de se former, finit par être présentée, sous l’influence récente de mouvements globalistes, comme un lieu de violence potentielle tel, que l’intrusion d’acteurs extérieurs doit être a priori justifiée, même contre la volonté des membres de cette famille. La violence domestique est alors présentée comme une forme particulière de violence, censée justifier une pénalisation de toute dispute familiale.
Il est évident que ces tendances soulignent la pluralité du concept de juste, dont l’importante dimension subjective (est juste ce que je considère aujourd’hui et maintenant comme juste) est censée faire oublier sa dimension objective, intemporelle, liée elle non pas à l’intérêt individuel, mais à la reconnaissance de valeurs dans une société. La juste place que va occuper l’homme dans cette société va donc elle aussi varier, en fonction de la perception de la légitimité sociale, qui peut être fondée sur les liens du sang, sur l’argent ou sur le mérite. La possibilité d’un ascenseur social lié au mérite, système dit de la méritocratie, nécessite que l’État mette en place non seulement un système de formation des élites, indépendamment de leur caste sociale d’origine, mais qu’il protège et stimule un enseignement scolaire qui soit réellement de qualité. La méritocratie, qui s’est développée en France pendant de nombreuses années après la Révolution avec les concours et les Grandes Écoles pour accéder à l’administration d’État, aux grandes entreprises publiques, à la politique ou formant des ingénieurs de grande qualité, est aujourd’hui en danger, car les élites qui en sortent perdent leur légitimité aux yeux de la population. Ce processus s’explique certainement au-delà de l’évolution de la société elle-même et de l’affaiblissement de l’enseignement, par l’appauvrissement du concept même de mérite, dont la signification ne peut être indépendante des empreintes idéologiques de chaque société. N’oublions pas, par ailleurs, que les sociétés actuelles sont sous l’influence d’un phénomène migratoire important, qui ne s’accompagne pas forcément de la volonté des personnes émigrant vers de nouveaux horizons de s’y intégrer, ni de la possibilité objective des sociétés accueillantes d’intégrer une telle masse de personne. Les êtres humains ne sont pas des masses biologiques interchangeables, ils ont leur culture et leurs traditions et arrivent avec elles dans les sociétés d’accueil, au risque d’en modifier l’équilibre. Or, comme la matrice initiale de la société est la matrice familiale, qui permet dès la naissane à l’homme de comprendre que chacun de ses droits se complète d’une obligation, le lien à la Patrie est ce lien social qui fait le ciment des peuples.
Cette discussion a été remise entre les mains expertes de Armen Garnikovitch Oganesyan, rédacteur en Chef du journal « La vie internationale », vice-président du Fonds « Politique internationale et ressources ».
Dans la discussion ont pris part :
- Béchet-Golovko Karine, présidente de l’association CGFR, docteur en droit public, professeur invitée à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Chatilov Alexandre Borissovitch, docteur en sciences politiques, professeur, doyen de la Faculté des sciences sociales et des communications de masse, Université des Finances auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie ;
- Chvabauer Anna Viktorovna, docteur en sciences juridiques, avocate, membre du Conseil d’expertise du Conseil de la Fédération, expert auprès de l’Ombudsman social pour les questions familiales ;
- Dolo Nicolas, Paris XI Sceaux, ISG Paris, MBA Pace University, AMDP Harvard University, MRSIC École de Guerre Économique, président du Svarog Group à Moscou ;
- Galas Marina Léonidovna, docteur es sciences historiques, professeur, Faculté des sciences sociales et des communications de masse, Université des Finances auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, chercheur en chef du Département de science politique, Directrice du Groupement scientifique et méthodologique pour la migration et les processus démographiques ;
- Golovko Léonid Vitalievich, docteur es sciences juridiques, professeur, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Karpenko Konstantin Victorovitch, docteur en droit, maître de conférences, Centre de droit constitutionnel, MGIMO auprès du ministère des Affaires étrangères de Russie ;
- Kourakine Mikhail Borissovitch, rédacteur en chef adjoint du journal « La vie internationale » ;
- Paul Rémi, IEP Paris, MBA d’HEC Paris, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe ;
- Quidet Emmanuel, président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, associé EY ;
- Narotchnitskaya Ekaterina Alekseevna, docteur en sciences historiques, chercheur à l’Institut des études européennes de l’Académie des sciences de Russie, directrice du Centre de recherches et d’analyses du Fonds de perspective historique, rédacteur en chef de la revue Prespektive du Fonds de perspective historique, vice-présidente de l’Institut de la démocratie et de la coopération (Paris);
- Narotchnitskaya Natalia Alekseevna, docteur es sciences historiques, présidente du Fonds analytique de perspective historique, présidente de l’Institut européen de la démocratie et de la coopération (Paris), membre étranger de l’Académie serbe des sciences et des arts ;
- Tsareva Maria Sergueevna, docteur en philologie, maître de conférences, directrice de l’Institut de traduction juridique de l’Université O. E. Koutafine (MGUA) ;
- Vassilev Oleg Léonidovitch, docteur es sciences juridiques, professeur, Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
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