Le Club français de Moscou. « La constitution du discours historique national »
Ce vendredi 11 novembre 2022, le Club français de Moscou s’est réuni dans les locaux de la Chambre franco-russe de commerce et d’industrie pour discuter de la question de la constitution du discours historique national. A l’heure où l’on veut nous imposer le mode de la post-vérité, dans lequel soit disant aucune vérité n’existe, donc notre histoire n’existe pas, elle ne serait que paroles changeantes en fonction d’intérêts situatifs, il est important de se pencher sur la question de la constitution du discours historique national, c’est-à-dire de la manière dont nos pays construisent le récit de leur existence. Car sans passé, nous n’avons pas d’avenir, sans racine, il n’y a pas d’évolution. En ce sens, la souveraineté intellectuelle des peuples est une condition essentielle à la souveraineté des États.
Toujours se pose la question des éléments constitutifs du discours historique national, autrement dit du choix des dates, des hommes et des événements, qui vont raconter l’histoire d’un peuple et d’un pays. Ce choix n’est pas objectif, il est le résultat d’une volonté politique, qui met certains éléments en avant et en écarte d’autres. Est ici en jeu la légitimité et la force d’un pouvoir national, qui doit pouvoir s’approprier toute la diversité de son histoire, surmonter les clivages sans les nier, afin de ne pas s’enfermer dans une forme de schizophrénie politique le conduisant à réclamer le respect de sa vérité historique à l’extérieur, tout en conduisant une politique de contrition globaliste à l’intérieur. Le rôle des élites nationales dans ce mécanisme est fondamental, c’est d’elles dont dépendra la formulation du discours officiel, qui déterminera les relations de ce pays avec les autres peuples et territoires.
Ce discours, une fois établi, doit être transmis. La famille, premier maillon social, puis complété par l’école, jouent un rôle incontournable dans le processus d’intégration de ce discours par les enfants, ces futurs adultes. À l’étranger, les communautés nationales se regroupent autour d’une vision de l’histoire de leur pays, elles les transmettent grâce à des organisations culturelles ou à des institutions scolaires, tout en développant leur propre vision de leur histoire, qui peut, avec le temps et les dérives idéologiques, sensiblement varier du discours historique officiel.
Le discours historique est un élément fondamental de la stabilité nationale, car il est le ciment autour duquel la Nation se réunit – comme pour écouter une histoire autour du feu. Si les peuples et les élites nationales n’écrivent pas eux-mêmes leur discours historique, d’autres le feront à leur place et dans leur intérêt. L’Ukraine est le triste exemple de ce qu’il peut arriver à un pays, qui perd la maîtrise de lui-même. L’histoire, réécrite, est utilisée et comme un instrument de destruction intérieure des peuples habitants ce territoire, et comme un instrument de déstabilisation régionale, puisqu’il conduit à la confrontation avec les peuples frères.
La réunion a été modérée par Prokopenko Igor Stanislavovitch, documentaliste, producteur, vice-directeur général du Département des documentaires de la chaîne « Ren TV ».
Ont pris part à la discussion :
- Béchet-Golovko Karine, présidente de l’association CGFR, docteur en droit public, professeur invitée à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Betton Jean-Stéphane, professeur d’histoire, Lycée français de Moscou ;
- Branson Elena, présidente du Conseil de coordination des organisations des Russes de l’étranger, fondatrice de l’ONG « Russian Center New York » ;
- Dauphiné Philippe, EMLyon, entrepreneur, chef d’entreprise ;
- Delanoë Igor, vice-directeur de l’Observatoire auprès de la Chambre franco-russe de commerce et d’industrie ;
- Dolo Nicolas, Paris XI Sceaux, ISG Paris, MBA Pace University, AMDP Harvard University, MRSIC École de Guerre Économique, président du Svarog Group à Moscou ;
- Galas Marina Léonidovna, docteur es sciences historiques, professeur, Faculté des sciences sociales et des communications de masse, Université des Finances auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, chercheur en chef du Département de science politique, Directrice du Groupement scientifique et méthodologique pour la migration et les processus démographiques ;
- Golovko Léonid Vitalievich, docteur es sciences juridiques, professeur, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Karpenko Konstantin Victorovitch, docteur en droit, maître de conférences, Centre de droit constitutionnel, MGIMO auprès du ministère des Affaires étrangères de Russie ;
- Kiknadze Vladimir Gueorguevitch, docteur es sciences historiques, membre correspondant de l’Académie russes des sciences des fusées et de l’artillerie, rédacteur en chef de la revue « Science. Société. Défense », membre du conseil scientifique de la Société russe militaire historique ;
- Kourakine Mikhail Borissovitch, rédacteur en chef adjoint du journal « La vie internationale » ;
- Loukianov Evgueny Petrovitch, journaliste
- Narotchnitskaya Ekaterina Alekseevna, docteur en sciences historiques, chercheur à l’Institut des études européennes de l’Académie des sciences de Russie, directrice du Centre de recherches et d’analyses du Fonds de perspective historique, rédacteur en chef de la revue Perspektive du Fonds de perspective historique, vice-présidente de l’Institut européen de la démocratie et de la coopération (Paris);
- Narotchnitskaya Natalia Alekseevna, docteur es sciences historiques, présidente du Fonds analytique de perspective historique, présidente de l’Institut européen de la démocratie et de la coopération (Paris), membre étranger de l’Académie serbe des sciences et des arts ;
- Oganesyan Armen Garnikovitch, rédacteur en chef du journal « La vie internationale », vice-président du Fonds « Politique internationale et ressources » ;
- Panteleev Sergueï Iurevitch, historien, politologue, directeur de l’Institut des Russes de l’étranger, rédacteur en chef du portail analytique d’information « La Russie et ses compatriotes » ;
- Quidet Emmanuel, président de la Chambre franco-russe de commerce et d’industrie, associé EY ;
- Saint-Germes Thierry, fonction publique internationale ;
- Vassilev Oleg Léonidovitch, docteur es sciences juridiques, professeur, Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov).
En théorie peut-être que « Le discours historique est un élément fondamental de la stabilité nationale» mais en pratique celle de l’histoire c’est plutôt l’inverse. Ainsi dans l’histoire riche en péripéties de l’ “amitié” franco-allemande, l’élaboration réciproque des récits nationaux pour s’attribuer la dépouille du Père (Charlemagne) et la légitimité a donné lieu a de fortes controverses, voire des guerres de dimension mondiale. Et rien ne dit que cette histoire, comme celle entre les 2 frères slaves russe et ukrainien, soit enterrée. Ainsi l’histoire nous enseigne-t-elle que le renforcement de la souveraineté d’un État, comme par exemple celui de la Troisième République en France et à la même époque du Reich allemand sous la férule de Bismarck conduit inévitablement à la guerre.
Bonjour, première remarque : juridiquement un Etat qui n’est pas souverain n’existe pas, puisque c’est justement son mode d’existence juridique. Ensuite, ce n’est pas la “souveraineté”, qui n’est certes plus idéologiquement à la mode, qui a conduit à la guerre, mais la volonté politique de domination allemande. Et c’est bien la volonté politique, qui façonne son discours historique national. Quand celui-ci est proche de la réalité historique, il permet la stabilité, quand il s’en éloigne trop, comme en Ukraine, il devient source de conflit. Enfin, les peuples français et allemands sont des peuples parfaitement distincts, à la différences des peuples russes et ukrainiens, où l’on voit une guerre fratricide se développer.