Les médias : impératif de souveraineté et globalisation du discours
Le 27 septembre 2024 s’est tenue à la bibliothèque Tourgueniev une réunion du Club français de Moscou sur le thème « Les médias : impératif de souveraineté et globalisation du discours ». La discussion s’est articulée autour de deux axes : l’impossible indépendance des médias d’une part et, d’autre part, les garanties pouvant permettre la restauration d’un discours médiatique de qualité.
Les médias remplissent une fonction importante dans la société. Ils produisent une certaine vision du monde, font circuler l’information entre les différents groupes sociaux et jouent un rôle de légitimation soit du pouvoir, soit de l’opposition. Il est donc en soi difficile de parler de neutralité à leur égard : seule un véritable pluralisme des médias peut rendre possible une pluralité des discours médiatiques. Or aujourd’hui les gens font de moins en moins confiance aux médias, ce qui remet en cause leur efficacité à remplir ces fonctions. En 2023 en France, seulement 30% des personnes interrogées faisaient en général confiance aux médias et 59% estimaient que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions politiques et du pouvoir.
Le premier obstacle majeur à l’indépendance des médias est leur dépendance économique. À partir du moment, où les médias ont cessé d’être principalement financés par leurs lecteurs, pour ce qui est de la presse, ils sont devenus dépendant de leurs sponsors. Il s’agit soit de grands magnats possédant des groupes de presse, soit de l’État tenant les médias par les subventions. Les médias, désormais non rentables, sont ainsi mis en état de dépendance directe.
Dès lors, les médias peuvent difficilement être considérés comme un pouvoir, puisqu’ils ne possèdent pas l’autonomie nécessaire à cela. Ils sont plus une caisse de résonance, donnant un écho à la position de certains groupes financiers ou politiques. La domination idéologique atlantiste au sein de nos sociétés conduit à la prédominance de ce discours globaliste, voire désormais à son quasi-monopole. Ce qui se traduit par un choix des sujets obligatoirement articulés en fonction des piliers de ce monde global, à savoir le climat, les femmes, les LGBT, le numérique, etc. Selon les pays, certains éléments seront plus dominants, d’autres mis en retrait. La Russie, par exemple, a retiré de la liste les LGBT, mais pour le reste l’agenda médiatique reste quasiment identique.
Ainsi, de la dépendance économique découle la dépendance politique des médias. Et comme dans le système global, qui est encore le nôtre, les élites ont été formées à une certaine vision du monde s’appuyant sur des piliers communs, l’on en en arrive à une dépendance idéologique des médias.
Est-il possible de sortir de ce sercle vicieux ? Pour cela il faut une véritable volonté politique.
Tout d’abord, la volonté de revenir à un professionnalisme. Les écoles de journalisme en Occident sont politiquement et idéologiquement très marquées par le néo-trotskysme d’une gauche globaliste dite progressiste. Mais d’une manière générale, le problème de la limitation du travail du journalisme à une restauration mécanique des faits, sans oser l’analyse sous prétexte d’objectivité, a largement appauvri nos médias. L’émergence d’une foule de « blogueurs », dont le professionnalisme et l’indépendance économique sont largement en question, n’a pas résolu le problème. Au contraire, le paysage médiatique n’en a été que plus disséminé, dans une parfaite logique post-moderne.
La volonté politique doit également se manifester au niveau des contenus, par la restauration d’une grille nationale de sujets, qui ne peut correspondre à une reprise plus ou moins mécanique du discours global. Ces deux aspects, professionalisme et contenu, sont intimement liés. Baisser le niveau de professionnalisme des journalistes permet de plus facilement les contenir dans un discours pré-établi, ce qui permet de mieux contrôler la société et de la façonner de manière globale. Pour autant, alors qu’en Russie par exemple, les médias classiques sont systématiquement discrédités, étant soi-disant dépassés par rapport à la post-modernité des réseaux sociaux, l’on voit en Occident préserver des médias et journaux classiques, ce qui donne sa puissance à la diffusion de ce discours.
Le point de rupture dans l’alignement globaliste se voit avec le traitement du conflit en Ukraine, puisque ici justement se produit la fracture entre le monde global et la Russie. D’une manière générale, en période de conflit, le discours médiatique rejoint le discours officiel, car il remplit des fonctions particulières : à l’intérieur, consolidation de la société autour du centre de pouvoir et dissuasion de l’ennemi à l’extérieur. Nous voyons dans les médias occidentaux la production d’une propagande de guerre classique avec la constitution de la figure de l’ennemi en la Russie, un traitement monolithe de l’information sur le sujet (seuls quelques médias anglo-saxons, comme par exemple le New York Times, se permettent toutefois une analyse dissonante de temps en temps) et la diffusion d’une ligne unique posant la capitulation de la Russie comme condition de la paix. De son côté, le discours médiatique russe est particulièrement post-moderne : difficulté à poser la figure de l’ennemi et reconnaissance de la légitimité électorale des Présidents ukrainiens successifs, rappels incessants d’une ouverture aux négociations, établissement de « lignes rouges » systématiquement dépassées, refus de qualification des actes de guerre (comme le franchissement de la frontière étatique à Koursk par des armées étatiques qualifié de provocation ou de terrorisme en dehors du cadre juridique), difficile appréhension du territoire russe. Ces éléments affaiblissent les effets, de consolidation à l’intérieur et de dissuasion à l’extérieur, qui sont attendus de tout discours médiatique.
La détermination d’un discours médiatique national, qui donc doit s’autonomiser du discours globaliste, est un des éléments fondamentaux de la souveraineté des États, car sans cela il va être difficile de reconsolider les populations autour des centres de pouvoir nationaux.
La discussion a été modérée par Shpynov Igor Alexandrovitch, conseiller de premier rang, directeur de la représentation de l’Agence de coopération en France (Rossotroudnitchestvo) – directeur de la Maison russe des sciences et de la culture à Paris (2005-2017).
Ont pris part à la discussion :
- Béchet-Golovko Karine, présidente de l’association CGFR, docteur en droit public, professeur invitée à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov), membre du Bureau de l’association Dialogue franco-russe ;
- Betton Jean-Stéphane, professeur d’histoire, Lycée français de Moscou ;
- Bout Viktor Anatolievitch, député de l’Assemblée représentative de la région d’Oulianovsk;
- Branson Elena, présidente du Conseil de coordination des organisations des Russes de l’étranger, fondatrice de l’ONG « Russian Center New York » ;
- Cléreaux Antoine, journaliste, RT en français ;
- Doubrovine Ivan Sergueïevitch, journaliste, journal « Izvestia » ;
- Develay Arnaud, juriste spécialisé en droit international ;
- Fakhrutdinova Maria Albertovna, directrice de la représentation de l’Agence de coopération au Congo (Rossotroudnitchestvo) – directrice de la Maison russe des sciences et de la culture à Brazzaville ;
- Golovko Léonid Vitalievich, docteur es sciences juridiques, professeur, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- de Lattre Cyrille, directeur “Uaild gis aviation”, commandant de bord (à la retraite) ;
- Louadj Kamal, journaliste correspondant à Sputnik Afrique, département de la diffusion extérieure, groupe de presse « Rossia Segodnia » ;
- Loukianov Evgueny Petrovitch, journaliste ;
- Panteleev Sergueï Iurevitch, historien, politologue, directeur de l’Institut des Russes de l’étranger, rédacteur en chef du portail analytique d’information « La Russie et ses compatriotes » ;
- Saint-Germes Thierry, fonction publique internationale ;
- Semonova Ekaterina Sergueevna, journaliste international, enseignante à l’école de journalisme Vladimir Mezentsev auprès de la Maison centrale des journalistes ;
- Tanchina Natalia Petrovna, docteur es sciences historiques, professeur, Centre d’histoire générale, RANEPA.
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