Les migrations : que reste-t-il du citoyen ?
Le 13 décembre 2024 s’est tenue à la bibliothèque Tourgueniev la nouvelle réunion du Club français, désormais Club français « Tourgueniev », consacrée cette fois-ci au thème des migrations et du citoyen. La discussion s’est articulée autour de deux axes : des immigrés aux migrants d’une part, et l’émigration idéologique d’autre part.
Si les phénomènes migratoires ont toujours existé dans l’histoire de l’humanité, ils perdent depuis quelques années leur caractère naturel, pour devenir en partie des instruments géopolitiques. Cela se remarque tant en ce qui concerne l’ampleur des mouvements de population, que de l’évolution de la législation tendant à protéger les immigrés en situation irrégulière, notamment sous l’influence de la CEDH.
Selon les données de l’INSEE en 2021, l’on compte en France 6,92 millions d’immigrés, soit 10,2 % de la population. Près de la moitié des immigrés (48 %) viennent d’Afrique, plus de la moitié d’entre eux du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Par ailleurs, plus de 200 000 étrangers arrivent en moyenne en France chaque année, plus de 320 000 en 2023 et environ 100 000 acquièrent la nationalité française par an et sortent ainsi des statistiques.
Ces mouvements massifs de population changent la face de la France. Si en 1981, la Fille aînée de l’Église, comptait une population dont 70% se considéraient catholique, ils ne sont plus que 29% aujourd’hui. À l’inverse, les personnes se considérant de religion musulmane, sur la même période sont passées de 1,3% à 10%.
La France, malgré l’enchaînement des mesures législatives se voulant répressives, s’inscrit dans une logique « No borders », dans laquelle le droit de l’individu de choisir son lieu de résidence domine celui de l’État de choisir de quelle immigration il a besoin. La quantité d’immigration soulève la question de la possible intégration d’une population, qui de plus souvent ne choisit pas la France par amour du pays et dont le rejet et la haine soulèvent des questions de sécurité nationale. La déstructuration de la société, qui en découle, la fragilise et rend possible au moment opportun d’allumer l’allumette qui pourrait l’enflammer.
La Russie est elle aussi confrontée à une immigration de masse, mais venant principalement de son étranger proche, c’est-à-dire des pays de l’espace post-soviétique. Ces dernières années, des mesures législatives fortes ont été introduites pour change de modèle migratoire et arriver à une « immigration choisie ». L’identification des immigrés se met en place, leur obligation de maîtriser la langue russe, de respecter la législation et la culture russe sont imposés et la violation de ces obligations entraîne une responsabilité pénale. Afin de lutter contre l’afflux d’enfants ne maîtrisant pas la langue russe et ne pouvant normalement faire leurs études, donc s’intégrer, il sera désormais interdit de scolariser des enfants immigrés ne maîtrisant pas la langue. Ils seront scolarisés dans des établissements spécialement créés à ce sujet, leur permettant une transition vers le système russe. L’immigration économique, qui s’appuie essentiellement sur des populations venant des pays d’Asie centrale, est une immigration de très basse qualification, quand la Russie a besoin d’une main-d’oeuvre qualifiée et a pour effet de faire encore baisser la moyenne des salaires pour les populations russes. Mais est-il possible de faire venir en masse une population qualifiée, censée permettre de relancer l’économie nationale ? Il est possible d’en douter. Ce qui conduit à devoir remettre en cause le mythe globaliste de la possibilité de relancer une économie grâce à l’immigration.
Pour autant, l’immigration est aussi un moyen de soft power, un lien avec les anciennes colonies pour la France ou pour les anciens territoires en ce qui concerne la Russie. Mais cela implique une politique souveraine, donc l’existence d’un souverain au niveau étatique, qui puisse défendre son intérêt national. Or, le glissement idéologique pour la globalisation s’est accompagné d’un glissement conceptuel, devant cacher le changement de la fonction exercée par la politique migratoire formellement prise au niveau étatique, mais servant justement le nouveau souverain – celui permettant le fonctionnement du système global.
Ces changements politiques, idéologiques et conceptuels soulèvent la question du lien entre le citoyen et le pays, dont il est le ressortissant. Les révolutions et les chutes d’Empires ont toujours conduit à des départs de population pour raison idéologique. L’on pensera autant aux départs d’une partie de l’élite française après la Révolution de 1789, notamment vers la Russie, que russe après la Révolution de 1917, notamment vers la France. Mais après 1991, la chute de l’URSS a conduit à l’instauration d’une autre frontière, mentale celle-ci, alors que le peuple russe s’est retrouvé divisé sur des territoires étatiques désormais différents, suite notamment à la trahison des élites dirigeantes nationales. Ainsi, alors que l’URSS avait réussi à recomposer quasiment la totalité du territoire de l’Empire russe, il existe désormais un tabou territorial, une sorte d’immobilité sélective des frontières, qui ne concernent pas tous les territoires, l’Allemagne ayant été « réunie » quand la Yougoslavie a été démembrée. Le retour de la Crimée et des nouveaux territoires reprend le mouvement historique de reconstitution du territoire russe et de ses populations, bousculant l’interdit mental instauré par les « vainqueurs » globalistes de 1991.
Pour autant ce mouvement de remise en cause idéologique conduit à la réapparition d’une immigration et émigration idéologiques. Des « relocalisés » russes sont partis dans un mouvement de panique au début de l’Opération militaire en 2022, alors qu’à la différence des périodes révolutionnaires, caractérisant habituellement les ruptures idéologiques, ils n’étaient ni menacés, ni en danger dans leur pays d’origine.
À l’inverse, un mouvement d’émigration idéologique des pays occidentaux vers la Russie de personnes ne pouvant accepter les dogmes néolibéraux (principalement le culte LGBT et la culture woke) se renforce et la Russie, tenant compte de cette nouvelle réalité, met en place des mécanismes juridiques spéciaux pour accueillir ces personnes. Nous ne sommes pas ici dans une immigration de masse, mais individuelle, qui demande une approche particulière. Pour autant, décider de prendre la nationalité d’un pays doit s’accompagner de l’entrée réelle dans ce pays, ce qui passe notamment par la reconnaissance de la Patrie et des obligations que cela entraîne.
La discussion a été modérée par Oleg Léonidovitch Vassilev, docteur es sciences juridiques, professeur, Centre de procédure pénale et de Justice de la Faculté de droit à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov).
Ont pris part à la discussion :
- Afanassiev Mstislav Platonovitch, docteur es sciences économiques, professeur-chercheur, Département de politique et de gestion, Faculté des sciences sociales, École supérieure d’économie ;
- Amos Olivier, chef d’entreprise IT, ancien conseiller régional (Auvergne-Rhône-Alpes) ;
- Béchet-Golovko Karine, présidente de l’association CGFR, docteur en droit public, professeur invitée à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov), membre du Bureau de l’association Dialogue franco-russe ;
- Betton Jean-Stéphane, professeur d’histoire, Lycée français de Moscou ;
- Branson Elena, présidente du Conseil de coordination des organisations des Russes de l’étranger, fondatrice de l’ONG « Russian Center New York » ;
- Burlotte Olivier, représentant en Russie de l’association « Espace Normandie Nieman » ;
- Cheliapina Alla Anatolievna , journaliste, rédactrice su site « Partout les nôtres » ;
- Clausen Jérôme, conseiller d’affaires, administrateur indépendant ;
- Cléreaux Antoine, journaliste, RT en français ;
- Galas Marina Leonidovna, docteur es sciences historiques, professeur, Centre de politologie de l’Université des finances auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, membre du Conseil d’expertise sur la migration auprès de la Direction générale des questions migratoires du ministère de l’Intérieur ;
- Geneste Jean-François, ancien directeur scientifique du groupe EADS/Airbus Group, PDG de WARPA ;
- Golovko Léonid Vitalievich, docteur es sciences juridiques, professeur, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice de la Faculté de droit à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- de Lattre Cyrille, directeur “Uaild gis aviation”, commandant de bord (à la retraite) ;
- Plaquevent Pierre-Antoine, écrivain, directeur du think tank Strategika, rédacteur dela lettre d’information Polemos ;
- Rémy Gilles, PDG CIFAL International Services, conseiller du Commerce extérieur de la France (1994-2023), membre du Bureau de l’association Dialogue franco-russe ;
- Ryabtchenko Nikita Iurevitch, diplômé de l’Académie de gouvernance auprès du Président de la République du Bélarus, chercheur en relations internationales, écrivain ;
- Tanchina Natalia Petrovna, docteur es sciences historiques, professeur, Centre d’histoire générale à RANEPA.
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