Le Club français de Moscou. « La transformation des institutions internationales »
Le 26 mai 2023, la nouvelle réunion du Club français de Moscou sur le thème de la transformation des institutions internationales s’est tenue à la Bibliothèque Tourgueniev et elle s’est articulée autour de deux grands thèmes : la transformation des organismes internationaux d’une part, et celle de la justice internationale d’autre part.
Le système des organisations internationales traduit institutionnellement un rapport des forces politiques et géopolitiques à un certain moment donné. Nous assistons depuis les années 2000 à l’accélération de ce processus de transformation débuté à la chute de l’URSS, remettant en cause la nature « internationale » de ces organes issus de la Seconde Guerre mondiale, qui conduit à en faire des organes de gouvernance globale.
Si beaucoup estiment aujourd’hui que ce système « ne fonctionne plus », les élites intellectuelles et politiques sont toujours incapables de le remettre en cause en tant que tel. Or, si l’on en revient au concept fondateur de l’État qu’est la souveraineté, l’on arrive à une impasse. Dans le cadre d’une conception stricte de la souveraineté, la communauté internationale ne peut être revêtue que d’un pouvoir diplomatique, sinon elle porte atteinte à la souveraineté nationale. Ce qui met immédiatement la justice internationale en situation de conflit inévitable avec les États, à moins qu’ils ne renoncent à leur souveraineté et donc à leur existence.
Pourtant, les organismes internationaux n’ont pas eu vocation, dès leur création, à devenir des porte-paroles et des instruments de la globalisation. Ils ont dérivé en ce sens au grès de l’évolution géopolitique. Et l’on soulignera le recours à l’ingénierie sociale pour rendre, et légitime, et incontournable un transfert du pouvoir des États vers ces organismes. Ainsi, par exemple, l’OMS a créé un choc et un discours de l’urgence sanitaire pour conduire les élites gouvernantes à s’aligner sur la ligne globaliste et les populations à se plier à des mesures de contrôle social, rappelant les logiques totalitaires.
Ces dérives se retrouvent à tous les niveaux, sous des formes différentes. Si l’on prend l’exemple du Conseil de l’Europe et de la CEDH, l’on ne peut que noter une politisation grandissante de ces institutions, visant à faire entrer tous les pays membres dans un même cadre idéologique. Institutionnellement, de nombreux cas de collusion entre les juges de la CEDH et des ONG, qui sont impliquées dans les affaires par eux examinées, ont été révélés, sans qu’il n’y ait eu de véritables réactions pour régler cette atteinte à l’indépendance et l’objectivité de la Cour. Par ailleurs, l’interprétation extensive de la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour, sans possibilité pour l’État d’entraver cette course folle, a conduit au dévoiement de l’esprit de ce texte et à l’extension sans limites des obligations imposées à l’État sans son consentement exprès. La Russie a ainsi ratifié un texte et finalement elle en a quitté un autre. Mais pouvait-il en être autrement ? La logique naturelle de développement des institutions, qui ne peut se faire ici qu’au détriment de l’État, couplée à la religion du droit-de-l’hommisme, doit nous obliger à nous interroger sur la nécessité en soi de telles institutions, à la dérive inévitable.
Finalement, les États y cherchent le « bon » gendarme, celui qui sera le garant de la sagesse universelle et pourra à leur place, non pas résoudre les conflits, mais en fait gouverner, autrement dit in fine se transformer en État. Et tout le mythe de la force du droit international, qui sous-tend celui du « gendarme international » est ici résumé : le droit international par définition est faible, il dépend, et du droit national pour exister (par la reconnaissance des États) et des institutions nationales pour être appliqué ; s’il devient fort, c’est-à-dire s’il se passe de ces intermédiaires nationaux, il devient lui-même un droit national.
Cette dépendance des institutions internationales à la politique et à l’État est particulièrement visible au niveau de la justice internationale, surtout dans sa dimension pénale. Avec le temps, nous sommes passés d’une justice internationale, qui règle les conflits entre les États à une justice internationale intrusive, qui entre dans l’État pour régler les conflits politiques internes.
Le point de départ historique fut celui des Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, événements historiques uniques, dont les tentatives de répétition ne furent que de faibles imitations. Il est à noter que justement dans le cas de ces tribunaux, il n’y avait pas de conflit avec la souveraineté des États, dont les ressortissants étaient jugés, puisque et l’Allemagne et le Japon avaient alors perdu leur souveraineté.
La justice internationale est la justice des vainqueurs, qu’ils soient militaires ou idéologiques. Ainsi, les décisions du tribunal de Nuremberg sont aujourd’hui utilisées en Russie pour condamner les résurgences néonazies en Ukraine, quand elles sont ignorées en Occident, dans le soutien apporté par ces pays à l’Ukraine. Cela est devenu possbile, parce que les forces politiques, que représentaient les vainqueurs militaires de l’époque, ont aujourd’hui perdu en Occident. Autrement dit, les décisions de justice internationale ne valent que le temps, où les vainqueurs restent des vainqueurs.
L’on a pu observer le développement, justement après la chute de l’URSS, de cette institution des tribunaux internationaux ad hoc au Rwanda, en Yougoslavie, en Irak et encore plus faiblement en Libye. À chaque fois, les garanties procédurales liées à l’exercice d’une bonne justice furent dévoyées, car il s’agissait en réalité de poser un voile processuel sur une décision politique, dans une mise en scène où les coupables devant passer devant le banc de la « justice internationale » sont soigneusement sélectionnés.
Parallèlement au système des tribunaux internationaux ad hoc, la compétence universelle, qui permet aux tribunaux nationaux d’un pays de juger de crimes graves commis sur un autre territoire national, s’est également développée à partir des années 90. Et l’on voit ici aussi apparaître le conflit fondamental de notre époque entre la souveraineté et la globalisation. D’un côté, les organes internationaux, comme la CICR, défendent l’idée d’une compétence générale des tribunaux nationaux sur toutes les violations du droit international humanitaire, indépendamment du cadre législatif national, pour en faire les gardiens de ce temple ; d’un autre côté, les États encadrent cette compétence universelle (en exigeant souvent un lien de l’accusé avec leur pays), pour éviter d’inutiles conflits politiques avec les autres pays et ne pas tomber dans le piège idéologique.
Aujourd’hui, le spectre de la justice internationale, de celle qui accompagne les conflits et en devient même un aspect, réapparaît avec la guerre en Ukraine. La CPI a lancé un mandat d’arrêt contre le Président russe et l’Ombudsman russe pour les enfants, alors que la Russie ne reconnaît pas la compétence de cette Cour. Cette institution à l’activité aussi réduite que son budget ces dernières années, vient de se voir réactivée, notamment grâce à un afflux de fonds, lui permettant de fonctionner sur le dossier ukrainien. Au-delà du manque de transparence dans le financement, ce qui pose de sérieuses questions d’indépendance, la qualité et l’impartialité de l’enquête ne répondent pas aux exigences d’une « bonne justice », pourtant imposées aux juridictions nationales. Ces éléments ne peuvent que porter atteinte à la légitimité même de la CPI.
Objectivement, oui, ce système des institutions internationales ne fonctionne plus. Ces institutions internationales ne fonctionnent pas, car après une phase de globalisation, plus ou moins acceptée dans tous les pays, aujourd’hui celle-ci est contestée. En étant devenu un instrument de cette gouvernance, ces institutions internationales ont également, en toute logique, remis en cause leur légitimité. Dans ce contexte, il semble urgent de repenser la souveraineté des États, qui reste le seul cadre dans lequel l’intérêt des populations peut être efficacement défendu.
La discussion a été modérée par Louadj Kamal, journaliste correspondant à Sputnik Afrique, département de la diffusion extérieure, groupe de presse « Rossia Segodnia » .
Ont pris part aux débats :
- Béchet-Golovko Karine, présidente de l’association CGFR, docteur en droit public, professeur invitée à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Branson Elena, présidente du Conseil de coordination des organisations des Russes de l’étranger, fondatrice de l’ONG « Russian Center New York » ;
- Burlotte Olivier, représentant en Russie de l’association « Espace NN » ;
- Cerise Lucien, docteur en philosophie, essayiste ;
- Deloche François, Ancien représentant en Suisse de International Human Rights Commission (IHRC), avocat au barreau de Genève, juge arbitral;
- Develay Arnaud, juriste spécialisé en droit international ;
- Dolo Nicolas, Paris XI Sceaux, ISG Paris, MBA Pace University, AMDP Harvard University, MRSIC École de Guerre Économique, président du Svarog Group à Moscou ;
- Golovko Léonid Vitalievich, docteur es sciences juridiques, professeur, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Grigoriev Maxime Sergueevitch, docteur en sciences politiques, membre de la Chambre sociale de la Fédération de Russie, président du Tribunal international populaire pour l’Ukraine ;
- Kiknadze Vladimir Gueorguevitch, docteur es sciences historiques, membre correspondant de l’Académie russes des sciences des fusées et de l’artillerie, rédacteur en chef de la revue « Science. Société. Défense », membre du conseil scientifique de la Société russe militaire historique ;
- Konovalov Sergueï Guennadievitch, docteur en droit, Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Kovpak Stanislav Vladimirovitch, MAE de la Fédération de Russie, Département de la collaboration multilatérale en matière de droit de l’homme, Conseiller principal du sous-département de la coopération européenne en matière de droits de l’homme, ancien représentant du ministère de la Justice de la Fédération de Russie auprès du Conseil de l’Europe ;
- Krylov-Iodko Romuald Romualdovitch, docteur en pédagodie, directeur de la Bibliothèque Tourgueniev ;
- Rémy Gilles, PDG CIFAL International Services, conseiller du Commerce extérieur de la France (1994-2023), membre du Bureau de l’association Dialogue franco-russe ;
- Saint-Germes Thierry, fonction publique internationale ;
- Vassilev Oleg Léonidovitch, docteur es sciences juridiques, professeur, Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov).
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