Résumé analytique des arrêts de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie (19/09/2013 – 15/11/2013)
Le résumé analytique a été préparé sur la base des décisions publiées sur le site de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie (www.ksrf.ru)
Au retour des vacances d’été (à partir du 19 septembre 2013), la Cour Constitutionnelle de Russie a examiné six affaires en audience publique et une affaire en séance sans audience (conformément à la procédure établie par l’article 47.1 de la Loi constitutionnelle fédérale « Sur la Cour Constitutionnelle de la Fédération de Russie »). Au 15 novembre, la Cour avait rendu 4 arrêts au fond, les autres affaires étant toujours pendantes devant la Cour.
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Le 10 octobre 2013, la Cour Constitutionnelle a adopté l’arrêt n° 20-P (№ 20-П/2013) dans l’affaire sur le contrôle de la constitutionnalité de plusieurs dispositions de la législation électorale fédérale et régionale et du Code Pénal de la Fédération de Russie.
La Cour Constitutionnelle a statué que les accusés ne pouvaient pas être privés pour toujours du droit de se présenter à des élections et a enjoint le législateur à établir de manière précise la durée d’une telle restriction.
L’affaire sur le contrôle de la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi fédérale « Sur les garanties fondamentales des droits électoraux et du droit de participer au référendum des citoyens de la Fédération de Russie », du Code Pénal de la Fédération de Russie, de la législation électorale de la Région de Kirov et du territoire de Primorsky, sur plainte des citoyens G. B. Egorov, A. L. Kazakov, A. S. Latypov et autres a été examinée par la Cour Constitutionnelle le 19 septembre 2013.
Le contexte de l’affaire
A partir du 1er juillet 2012, de nouvelles dispositions de la législation fédérale électorale sont entrées en vigueur, interdisant aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation à la réclusion pour perpétration d’infractions graves et très graves de se présenter aux élections de tous niveaux. L’interdiction a été imposée à vie et de manière rétroactive, c’est-à-dire qu’elle s’appliquait également aux personnes condamnées à une privation de liberté avant l’entrée en vigueur de la loi. Les requérants ont présenté leur candidature à différentes élections se déroulant le même jour, soit le 14 octobre 2012, mais ils se sont vu refuser leur enregistrement sur le fondement de l’interdiction établie par la loi en question.
La position des requérants
Selon les requérants, les normes contestées les privent de fait à vie de leur droit électoral à se présenter en tant que candidats. Ils estiment qu’ils sont punis deux fois pour la commission du même crime, ce qui est contraire au principe constitutionnel posant justement cette interdiction. De surcroît, les requérants estiment les normes contestées sont disproportionnées et injustifiées, car elles ne tiennent pas compte de la nature de la condamnation de la personne. Notamment, la question ne se pose pas de savoir si la personne concernée a été condamnée à une peine réelle ou avec sursis, si la condamnation a été effacée ou déjà exécutée, ou encore d’autres circonstances pertinentes. Se fondant sur ces assertions, ils demandent que ces dispositions législatives soient déclarées non-conformes à la Constitution, notamment ses articles 2[1], 6 (§2)[2], 19 (§1)[3], 32 (§2 et 3)[4], 50 (§1)[5], 54 (§1)[6], 55 (§ 2 et 3)[7].
La position de la Cour Constitutionnelle
La Cour, en statuant dans l’espèce, s’est fondée sur les éléments suivants.
L’aspect juridique de la démocratie exige une protection solide contre les abus et la criminalisation du pouvoir public, dont la légitimité repose, dans une grande mesure, sur la confiance de la société. Partant de là, l’interdiction d’occuper des postes publics électifs pour les personnes ayant commis des infractions graves et très graves, poursuit des objectifs de valeur constitutionnelle.
Néanmoins, ces normes doivent se fonder sur des critères constitutionnels et tenir compte des principes fondamentaux et des normes du droit international.
La législation en question établit des restrictions perpétuelles et irréversibles. Par conséquent, ces personnes sont privées pour toujours de leur droit constitutionnel. Une mesure si sévère ne peut être justifiée par l’existence d’une seule condamnation. Une restriction perpétuelle du droit électoral n’est possible que pour des personnes condamnées à vie. Dans les autres cas, elle n’est pas conforme à la Constitution.
En outre, les normes contestées n’établissent pas de distinction entre les peines réelles et les peines avec sursis, ne prennent pas en compte la durée de la réclusion fixée par le tribunal, le caractère et le degré du danger pour la société de l’infraction commise. Ainsi, elles ne garantissent pas une individualisation et une différenciation suffisante de la restriction, ce qui n’est pas non plus conforme à la Constitution.
La Cour Constitutionnelle a indiqué au législateur fédéral que la durée de la restriction du droit électoral passif de la personne condamnée devait correspondre à la durée de la condamnation établie par le Code pénal. Ce n’est que dans des cas exceptionnels et pour certaines catégories d’infractions (résultant de leur danger élevé pour la société), qu’une telle interdiction peut être prolongée, mais dans des limites raisonnables.
Selon l’arrêt de la Cour, le législateur fédéral doit également établir des garanties procédurales afin d’assurer la restauration des droits électoraux des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation antérieure en cas d’assouplissement de la législation pénale. Dans le cas contraire, ces personnes se trouveraient dans une situation d’inégalité par rapport aux personnes dont la condamnation n’est pas encore effacée ou exécutée.
La législation doit être modifiée en ce sens sans tarder afin de permettre la tenue des élections qui sont prévues après l’entrée en vigueur du présent arrêt de la Cour Constitutionnelle.
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Le 18 octobre 2013 la Cour Constitutionnelle de Russie a publié l’arrêt n° 21-P (№ 21-П/2013) adopté sur le fondement de l’article 47.1 de la Loi fédérale organique « Sur la Cour Constitutionnelle de la Fédération de Russie ».[8]
La Cour a vérifié la constitutionnalité de l’article 19 (§1 al.1) de la Loi fédérale « Sur les garanties sociales des fonctionnaires de certains organismes fédéraux du pouvoir exécutif et sur les amendements à apporter dans certains actes législatifs de la Fédération de Russie », sur requête de la Cour Suprême de la Fédération de Russie.
Par cet arrêt, la Cour Constitutionnelle a déclaré non-conforme à la Constitution de la Fédération de Russie les dispositions du paragraphe 1 (al.1) de l’article 19 de la loi contestée, dans la mesure où celles-ci ont mis fin aux garanties sociales et juridiques, octroyées auparavant aux fonctionnaires du système pénitentiaire, se trouvant dans la catégorie des mères célibataires élevant des enfants de moins de 14 ans. Ces garanties leurs étaient accordées, en tant que chargées de famille, sur le fondement de l’article 54 (paragraphe 7) du Règlement sur le service au sein des organes du ministère de l’intérieur.
En outre, la Cour Constitutionnelle a enjoint au législateur d’introduire des garanties afin de protéger contre le licenciement les fonctionnaires du système pénitentiaire, en l’espèce les mères célibataires élevant des enfants âgés de moins de 14 ans, notamment en cas de réduction des effectifs liée à une réorganisation des services et des organes faisant partie du système pénitentiaire de la Fédération de Russie.
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Le 24 octobre 2013, la Cour Constitutionnelle a prononcé l’arrêt n° 22-P (№ 22-П/2013) rendu dans l’affaire sur le contrôle de la constitutionnalité de l’article 3 de la Loi Fédérale « Sur les syndicats, leurs droits et garanties d’activité ».
Le 24 octobre 2013, la Cour Constitutionnelle a protégé le droit des syndicats à déterminer de façon indépendante leur structure.
L’affaire sur le contrôle de la constitutionnalité de l’article 3 de la Loi Fédérale « Sur les syndicats, leurs droits et garanties d’activité » du 12 janvier 1996 a été examinée le 26 septembre 2013. La Cour avait été saisie par le syndicat des travailleurs de l’industrie pétrolière, gazière et de la construction de Russie et par le syndicat des travailleurs des institutions d’Etat et du service public de Russie.
Le contexte de l’affaire
En 2010, les syndicats ont introduit dans leurs statuts une série d’amendements, tout en conservant la possibilité de créer des organisations syndicales inter-régionales, territoriales (municipales, intermunicipales et urbaines), conjointes, sectorielles, de district, ainsi que de sections : d’une organisation syndicale d’atelier et d’un groupe de syndicats. Sur requête du Ministère de la justice de la Fédération de Russie, le parquet procéda au contrôle des statuts des syndicats et contesta en justice la légalité des dispositions sur la structure organisationnelle (ainsi que les nouvelles dispositions). Le parquet estimait que la création au sein des syndicats de sections qui n’étaient pas prévues par la Loi Fédérale « Sur les syndicats, leurs droits et garanties d’activité » était inadmissible. Les tribunaux parvinrent à la conclusion que la liste des syndicats et de leurs sections telle qu’établie par la loi est exhaustive, ne peut pas être interprétée de manière extensive et, que par conséquent, ces dispositions des statuts étaient contraires à la législation fédérale.
La position des requérants
D’après les requérants, la pratique d’application de l’article 3 de la Loi Fédérale « Sur les syndicats, leurs droits et garanties d’activité » s’oppose à la création à l’intérieur d’un syndicat de sections qui ne sont pas prévues par la disposition en question. Une telle pratique porte atteinte au droit à se constituer en syndicat, mais aussi limite, sans justification, le droit pour le syndicat d’adopter de manière indépendante son statut, de déterminer sa structure interne et est, par conséquent, contraire à la Constitution de Russie (article 2[9], 6§2[10], 7 (§ 2)[11], 18[12], 30 (§ 1)[13] et 55 (§§ 2 et 3)[14].
La position de la Cour
La Constitution de Russie établit, au nombre des droits fondamentaux, le droit à l’association et notamment le droit de créer des syndicats pour la défense de ses intérêts et garantit la liberté d’activité des associations. Le droit de créer des syndicats et de participer à leur activité est proclamé par la Déclaration universelle des droits de l’homme et est établi par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le législateur fédéral n’a pas le droit de porter atteinte à l’essence même du droit à l’association en syndicat, qui, selon la Convention de l’Organisation Internationale du Travail, inclut le droit d’élaborer son statut et son règlement administratif, d’élire librement ses représentants, d’organiser son appareil, son activité et de déterminer son programme d’activités.
L’activité des syndicats et de leurs sections est soumise aux buts de leur création, est liée à la représentation et à la défense des droits sociaux et du travail et des intérêts des membres du syndicat, ainsi qu’au système de partenariat social.
Les travailleurs et les employeurs, en tant que parties du partenariat social, peuvent, eux-mêmes, établir les formes et les modalités de leurs relations. Cela signifie que les syndicats ont le droit de déterminer leur structure, compatible avec l’organisation du secteur particulier de l’économie ou d’une autre sphère d’activité professionnelle.
L’indication à l’article consacré aux « Concepts fondamentaux » de la loi contestée des différents types possibles de syndicat était destinée à rendre plus claire la réglementation juridique et à exclure toute possibilité d’application arbitraire des termes adoptés dans le cadre de l’organisation des syndicats. Pendant longtemps, personne n’a analysé cet article comme établissant une liste exhaustive des différents types de syndicats. En 2011, lors de l’examen des affaires des requérants, les organes d’application du droit ont conféré à la disposition contestée un sens, qui limite le droit des syndicats à décider par eux-mêmes des questions liées à leur structure interne. Ainsi, une ingérence de l’Etat dans l’activité des syndicats a été commise, qui est incompatible avec les objectifs de valeur constitutionnelle, ce qui a conduit à une violation du droit constitutionnel des citoyens à l’association.
De ce fait, la Cour a déclaré non-conformes à la Constitution les dispositions de l’article 3 de la Loi Fédérale « Sur les syndicats, leurs droits et garanties d’activité », dans la mesure où ces dispositions, telles qu’elles sont interprétées par la pratique d’application de droit, sont perçues comme établissant une liste exhaustive des types de syndicats et de leurs sections et, par conséquent, ne permettent pas aux syndicats de déterminer eux-mêmes leur organisation dans leurs statuts, règlements adoptés lors des congrès, conférences et assemblées.
Les affaires des requérants doivent être révisées en conformité avec l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Russie.
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Le 6 novembre 2013, la Cour Constitutionnelle a prononcé l’arrêt n°23-P (№ 23-П/2013) dans l’affaire sur le contrôle de la constitutionnalité de l’article 56 (§1) de la Loi sur les pensions de retraite.
Par cet arrêt, la Cour Constitutionnelle a admis le droit des militaires en retraite de transférer leurs pensions dans une banque de leur choix sans frais de commission.
L’affaire sur le contrôle de la constitutionnalité de l’article 56 (§1) de la Loi de la Fédération de Russie « Sur les pensions de retraite des personnes ayant fait le service militaire, le service au sein des organes des affaires intérieures, du service d’Etat de lutte contre les incendies, des organes de contrôle du trafic de substances narcotiques et de psychotropes, des institutions et organes du système pénitentiaire, et les membres de leurs familles » a été examinée le 3 octobre 2013. L’examen de l’affaire a été déclenché par une plainte individuelle déposée par M. Sergeï Fedin.
Le contexte de l’affaire
Selon la loi, le paiement des pensions versées aux militaires retraités se fait sur le lieu de leur résidence par les institutions appropriées de la « Sberbank ». Se fondant sur la norme contestée, le service du paiement des retraites du département régional du Ministère de l’Intérieur a refusé au requérant de lui verser sa pension non pas à la « Sberbank » mais dans une autre institution bancaire de son choix. Les tribunaux du district et de la région ont rejeté les recours du requérant contre le département du Ministère de l’Intérieur de la région de Bryansk à propos du changement de la procédure de paiement de la pension et du transfert des sommes à payer dans la banque choisie par le requérant.
La position du requérant
Le requérant estimait que la norme contestée, qui ne permettait pas aux militaires en retraite de choisir l’institution bancaire où serait versée leur pension, les plaçait dans une situation d’inégalité par rapport aux autres catégories de retraités, lesquels jouissent de ce droit. Ainsi, selon lui, il y avait violation du principe constitutionnel d’égalité et de l’interdiction de limitation des droits des citoyens selon des critères d’appartenance sociale, ce qui est contraire à l’article 19 (§2)[15] de la Constitution de Russie.
La position de la Cour
La Constitution garantit à tous le droit à la protection sociale, et la définition du mécanisme de sa réalisation relève de la compétence du législateur.
L’Etat doit garantir les conditions permettant aux citoyens de recevoir leur pension à temps et sans obstacles injustifiés et doit élaborer les mécanismes de redistribution, mécanismes soumis à contrôle. La « Sberbank » répond à ces exigences grâce à son réseau développé de filiales à travers tout le pays et elle se voit ainsi conférer les fonctions d’agent du Gouvernement de la Fédération de Russie pour le paiement des pensions de retraite aux militaires.
En même temps, le droit à une pension de retraite est étroitement lié au droit de chacun à disposer de ses moyens financiers. Le principe constitutionnel de liberté contractuelle implique que les citoyens ont le droit de choisir eux-mêmes leur banque comme partie dans un contrat de dépôt bancaire. C’est la raison pour laquelle les pensions de travail et les pensions de retraite d’Etat sont versées à l’institution bancaire choisie par les retraités eux-mêmes, sans que ne soient prélevés de frais de commission.
En vertu du principe constitutionnel de l’égalité, la même possibilité doit être accordée aux militaires retraités.
La norme contestée établit le paiement des pensions par le biais des établissements de la « Sberbank ». Néanmoins, elle ne suppose pas le paiement des pensions uniquement en dépôt dans cette institution bancaire et n’exclut pas la possibilité de transférer les sommes concernées par les filiales de la « Sberbank » dans une autre banque.
Par conséquent, les accords entre les organes fédéraux du pouvoir exécutif et la « Sberbank » sur les modalités de versement des pensions aux militaires à la retraite, ne peuvent pas contenir des dispositions qui limiteraient cette possibilité.
De même, il est inadmissible d’établir des conditions dans lesquelles le transfert des sommes dans une autre banque engendrerait, pour le bénéficiaire de la pension, un coût financier supplémentaire.
Ainsi, la provision contestée n’est pas contraire à la Constitution de la Fédération de Russie, dans la mesure où conformément à sa signification constitutionnelle, elle n’exclut pas la possibilité pour la Sberbank de verser les pensions des militaires retraités en dépôt dans les banques de leur choix, sans imposer aux militaires des frais supplémentaires de transfert des sommes correspondantes.
L’affaire de M. Fedin doit être révisée en conformité avec la décision de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie.
[1] Obligation pour l’Etat de respecter les droits et libertés de l’individu.
[2] Les citoyens russes bénéficient de l’intégralité de leurs droits et obligations constitutionnelles sur l’ensemble du territoire russe.
[3] Egalité de chacun devant la loi et la justice.
[4] Droit d’élire et d’être élu dans les organes du pouvoir d’Etat et de l’autoadministration locale, droit de participer au referendum. Limitation du droit de vote et d’être élu pour les personnes reconnues d’incapacité par une décision de justice ou se trouvant privées de liberté par décision de justice.
[5] Personne ne peut être deux fois condamné pour le même crime.
[6] Non rétroactivité de la loi en matière de responsabilité.
[7] La loi ne peut annuler ou déroger à un droit ou une liberté protégé par la Constitution. Les limitations doivent être prévues et justifiées par une loi fédérale et seulement dans certains cas précis.
[8] L’article 47.1 de la Loi fédérale organique établit la procédure de résolution des affaires sans audience.
[9] Obligation pour l’Etat de respecter les droits et libertés de l’individu.
[10] Les citoyens russes bénéficient de l’intégralité de leurs droits et obligations constitutionnelles sur l’ensemble du territoire russe.
[11] Protection du travail et de la santé, aides sociales.
[12] Effet direct des droits et libertés des citoyens qui déterminent le sens des actes normatifs de tout niveau.
[13] Droit de réunion, droit de créer un syndicat. Liberté associative.
[14] La loi ne peut annuler ou déroger à un droit ou une liberté protégé par la Constitution. Les limitations doivent être prévues et justifiées par une loi fédérale et seulement dans certains cas précis.
[15] Principe d’égalité.
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