Le Club français de Moscou. « Le rôle de la religion dans la société aujourd’hui »
Ce vendredi 17 février 2023, le Club français de Moscou s’est réuni dans la salle de lecture de la Bibliothèque Tourgueniev, afin de discuter du rôle de la religion dans la société aujourd’hui. La discussion s’est organisée autour de deux axes. Le premier axe a porté sur l’influence de la tradition religieuse classique en France et en Russie. Une influence, qui se manifeste à plusieurs niveaux : tout d’abord, en ce qui concerne le processus de légitimation du pouvoir des États et la question de la séparation, souple ou rigide, de la sphére de pouvoir de l’État et de l’Église ; ensuite, sur constitution de l’identité des sociétés par la fonction civilisatrice de la religion ; enfin sur les hommes eux-mêmes, dont l’identité se construit en fonction des symboles, qui les entourent. Le deuxième axe de la discussion a porté sur la question de la substitution, aujourd’hui, des symboles religieux. En partant du remplacement de Dieu par l’individu, les débats ont poursuivi sur l’émergence de croyances de substitution devant remplir le vide ainsi laissé et justifier l’apparition d’un nouveau monde. Ce monde, présenté comme celui du transhumanisme, est in fine celui fantasmé de la mort de l’homme dans son humanité. Alors que ceci est censé être le résultat d’un affrontement entre une technologie, qui serait supérieure et « intelligente », et un homme, lui, aux capacités réduites, il s’agit surtout du résultat de la négation par l’homme lui-même de sa dimension morale.
Alors qu’historiquement, l’Église et la religion ont joué un rôle fondamental dans la légitimation de nos États et l’évolution de nos sociétés sur le Continent européen, celui-ci est aujourd’hui fortement contesté. La séparation de l’Église et de l’État formalisée en France ou la rupture institutionnelle en Russie depuis l’époque soviétique n’ont jamais signifié une séparation rigide de ces institutions, mais plutôt une répartition des sphères de pouvoir, avec une tentation récurrente d’instrumentalisation par le pouvoir temporel du pouvoir sur les âmes, que détient l’Église. À l’heure de la globalisation, où les États ne sont plus le centre réel du pouvoir, la protection de l’Église d’une influence politique devrait se poser en d’autres termes.
Pourtant, son rôle reste fondamental dans la constitution de l’identité d’une société et cela se manifeste sous nos yeux en Ukraine, avec le combat mené contre l’Église ukrainienne orthodoxe du Patriarcat de Moscou et la création d’une « Église spoiler », dans le but de fonder une nouvelle société, coupée de ses racines. Au-delà de la dimension strictement religieuse, l’influence de l’Église se manifeste au quotidien à travers la littérature, l’architecture dans les rues de nos villes, la musique ou la philosophie. Ce ciment social va également consolider l’identité personnelle des membres d’une société, établir un ensemble de référents culturels, déterminant et leur perception des liens inter-personnels au sein de cette société et des liens de cette société avec les autres.
Mais l’homme a tué Dieu et il est bien mort, disait Nietzsche. L’individu tout-puissant a été placé sur l’Autel, il ne vit que dans l’instant et dans la recherche d’une satisfaction matérielle éphémère. Cette transformation s’est accompagnée d’une modification de nos sociétés avec l’apparition de nouvelles croyances, devant légétimer de nouveaux rapports sociaux et déligitimer le rapport d’autorité, à tous les niveaux, notamment entre l’État et l’individu. Le mouvement New Age, en particulier, a fortement accompagné et renforcé de processus, introduit comme nouvelle ligne politique jusque dans les organisations internationales.
Après avoir tué Dieu, l’homme se trouve en passe d’être tué à son tour et nous observons la poussée violente de nouveaux cultes globaux, devant conduire à un monde déshumanisé. Le culte d’un monde post-industriel – à l’heure du consumérisme frénétique, le culte du numérique – devant rendre aussi virtuels et faibles les hommes que les États, conduisent en toute logique au culte du transhumanisme. Ce transhumanisme n’est rien moins qu’une vision extrémiste des rapports humains, conduisant à la destruction de l’homme dans son humanité et affirmant, par ailleurs, haut et fort, ce but.
Après avoir voulu devenir des dieux, nous risquons nous-même de dispraraître dans notre dimension humaine – et non pas en raison d’un combat fantasmagorique entre l’homme et la machine, mais parce que nous renions nos valeurs profondément humaines, nous renions ce que nous sommes. Cette vanité de l’homme se pensant suffisamment « grand » pour se passer de Dieu, que ce soit dans sa dimension religieuse directe, spirituelle ou culturelle, nous a conduit dans une impasse. Nos sociétés évidées et nous-mêmes avons besoin de nous réunir autour de valeurs communes, de valeurs qui ne soient ni dévoyées, ni instrumentalisées, pour retrouver notre substance humaine.
La discussion a été modérée par Vassilev Oleg Léonidovitch, docteur es sciences juridiques, professeur, Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov).
Ont pris part à la discussion :
- Béchet-Golovko Karine, présidente de l’association CGFR, docteur en droit public, professeur invitée à l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Betton Jean-Stéphane, professeur d’histoire, Lycée français de Moscou ;
- Branson Elena, présidente du Conseil de coordination des organisations des Russes de l’étranger, fondatrice de l’ONG « Russian Center New York » ;
- Cheliapina Alla Anatolievna, publiciste, animatrice de programmes à la radio « Monde russe » (Russky mir) ;
- Chvabauer Anna Viktorovna, docteur en droit, avocate, membre du Conseil d’expertise du Conseil de la Fédération, expert auprès de l’Ombudsman social pour les questions familiales ;
- Develay Arnaud, avocat aux barreaux de Paris et de Washington ;
- Dolo Nicolas, Paris XI Sceaux, ISG Paris, MBA Pace University, AMDP Harvard University, MRSIC École de Guerre Économique, président du Svarog Group à Moscou ;
- Golovko Léonid Vitalievich, docteur es sciences juridiques, professeur, directeur du Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Kireev Vladimir Konstantinovitch, docteur en philosophie, chef du Département analytique du Mouvement international eurasien, directeur adjoint du Centre d’études sociales et d’intégration sur l’Union étatique et l’intégration eurasienne ;
- Konovalov Sergueï Guennadievitch, docteur en droit, Centre de procédure pénale et de Justice, Faculté de droit, Université d’État de Moscou (Lomonossov) ;
- Kourakine Mikhail Borissovitch, rédacteur en chef adjoint du journal « La vie internationale » ;
- Krylov-Iodko Romuald Romualdovitch, docteur en pédagodie, directeur de la Bibliothèque Tourgueniev ;
- Loukianov Evgueny Petrovitch, journaliste ;
- Saint-Germes Thierry, fonction publique internationale ;
- Semenenko, Tatiana Valerievna, experte en relations culturelles internationales et diplomatie culturelle.
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