Du contrôle au compliance des médias: une alternative à la censure
Sur le fondement d’une analyse complexe de la situation de crise des masses médias russes, l’auteur formule des propositions originales concernant l’introduction en Russie des standards internationaux contemporains concernant la culture corporative – les méthodes du compliance – afin de contraindre les corporations de médias à respecter les règles de comportement éthique introduites pour le business. L’auteur est convaincu que la priorité de l’autorégulation sur la censure doit être un axiome, toutefois la responsabilité pour la réalisation du système d’autorégulation doit être transférée de la communauté atomisée des journalistes sur les grandes structures financièrement solides des compagnies internet et des holding médiatiques.
Lorsque nous réfléchissons à la liberté d’expression et aux frontières de sa réalisation, il est important de tenir compte de la dimension historique du problème. La réalité est ainsi faite que dans l’espace post-soviétique, la reconnaissance et la défense de ce type de droits fondamentax n’a jamais constitué une priorité. A l’époque de l’Union soviétique, la presse est unanimement un organe de propagande du Parti et en était très fière. Le fondateur de la presse russe fut Pierre le Grand. Par sa volonté souveraine, il a mis en place un journal, dont il était lui-même rédacteur, et obligeait ses nobles à le lire. Il n’a jamais été question de publicités ou d’un développement des médias russes sur un fondement commercial. Pour la première fois, les rudiments d’une indépendance des masses médias sont apparus il y a une vingtaine d’années. Les véritables mécanismes d’une économie de marché permettant l’existence et le développement de l’industrie des médias ne sont apparus qu’avec la diffusion d’internet. C’est pourquoi il est tellement important d’analyser et d’adopter l’expérience donnée par le business d’un modèle de développement de l’espace d’information. Il est nécessaire d’adopter les modèles organisationnels et juridiques d’introduction et de développement des réseaux de masses médias et des holding internets. Les tentatives de certains juristes et politiciens de revenir en arrière, en voulant appliquer aux réseaux de masses médias l’algorythme dépassé et inefficace de la presse écrite, ont été totalement erronées et improductives.
[1] Le compliance renvoie à la notion de conformité. Il s’agit des mécanismes de mise en conformité du comportement des dirigeants et des membres d’une entreprise, non seulement avec la législation en vigueur, mais également avec les règles internes de la société ou corporation concernée et les règles de soft law. – note du traducteur.
L’espace médiatique actuel est plein de contradictions réelles. Les grands sites d’information et les chaînes nationales sont devenus les plus grands perturbateurs de la tranquilité sociale. Les programmes des masses médias fédéraux provoquent la colère et la rage, des piquets de protestation et sont à la source de plaintes au pénal. En Russie, quelques associations ont été créées, dont l’activité et le but principal est de protéger la génération des adolescents contre l’influence néfaste des médias, contrevenir à la dépendance des enfants envers les jeux sur ordinateurs et contre la dépendance à internet en général. Les organisations de parents d’élèves se regroupent avec celles des vétérans et invitent leurs partisans à manifester. Selon les données sociologiques indépendantes, en Russie, plus de 60% des personnes interrogées se prononcent en faveur de la réhabilitation de la censure officielle d’Etat. Les dirigeants du pays partagent également cette inquiétude. Le chef de l’Administration présidentielle, S. B. Ivanov, a reconnu que les médias les plus importants s’occupent principalement de la «débilisation» de la population. Le ministère de la culture avait préparé des modifications du Code du travail, selon lesquelles les professions artistiques passent au régime de concours et tous les 5 ans leur capacité de travail doit être vérifiée pour que leur contrat soit renouvelé.
Les journalistes peuvent également passer au régime du concours, toutefois cette question est laissée à l’appréciation de la communauté professionnelle. Pour sa part, le président de l’Union des journalistes de Russie n’a pas su apprécier le geste, s’est publiquement prononcé contre le renouvellement des contrats sur ce fondement et a déclaré que «la procédure établissant la relation entre le propriétaire du média et le journaliste doit s’établir autrement. Mais «autrement» comment, ce n’est pas clair, aucunes propositions concrètes n’ont été formulées par les milieux professionnels. Et existent-elles seulement? Nous les attendons déjà depuis 20 ans …
Pour aborder la question de la formation continue et de l’appréciation de la qualité de travail des journalistes, il faut reconnaître que le journalisme n’est plus depuis longtemps une sphère d’activité spirituelle ou sacrée. C’est un business, et encore un grand business transnational et particulièrement rentable. Un business dans lequel, c’est bien connu, la recherche du profit est prioritaire. En reconnaissant cela, nous en arrivons aux mécanismes qui, depuis quelques temps, régulent et limitent le grand business. Ces mécanismes, heureusement, existent déjà et dans la culture corporative s’appellent compliance-contrôle.
Mais que représente la procédure de compliance? Le compliance signifie la conformité aux exigences que les compagnies (médias écrits, télévision ou portail-internet) ont elles-mêmes établies dans leurs statuts. Il s’agit avant tout des codes corporatifs d’éthique, par lesquels la compagnie s’oblige, en les adoptant, à respecter les principes de la concurrence loyale, à ne pas violer la législation. En d’autres termes, elle s’oblige à ne pas donner de bakchich, dans le sens large du terme, en contrepartie d’un avantage matériel.
Aujourd’hui cette branche de la culture corporative est encore plus d’actualité avec l’entrée de la Russie dans l’OMC et avec le fait que les grandes compagnies ont commencé à soigner leur réputation. En effet, pour renforcer et développer leurs liens à l’international, fructueusement vendre leurs actions sur les marchés boursiers de part la planète, augmenter la valeur de leur marque, ils ont besoin d’une réputation d’homme d’affaires scrupuleux, de partenaire et de sujet de relations d’affaires irréprochable sur le plan éthique.
Par ailleurs, même l’article 1er du Code civil a été fortement modifié depuis le 1er mars 2013, dans lequel maintenant est précisé que «personne n’est en droit d’obtenir un quelconque avantage en résultat de son comportement déloyale». Cela signifie que désormais la course à l’audience doit être restreinte par une autolimitation concrète, ressortant du champ moral et éthique, qui sont obligatoirement introduites et cultivées dans chaque entreprise aux frais et par la force des employés de ces mêmes entreprises. Il ne s’agit pas d’une censure étatique, mais d’une culture corporative et d’une autorégulation intérieure à la communauté des journalistes à l’intérieur de chaque groupe concret.
Et il est particulièrement important qu’avec la position de la société, des consommateurs et des défenseurs des droits, il soit mis un terme à des années de fonctionnement de ce cercle viscieux de l’irresponsabilité totale des grands médias et des magnats des médias. Ainsi, la principale responsabilité pour un comportement éthique du business passe des journalistes dépendants aux dirigeants riches et indépendants des masses médias. Ils vont ainsi devoir prendre chacune de leurs décisions en tenant compte de la manière dont ils perçoivent leur réputation d’homme d’affaires scrupuleux. S’ils veulent jouer selon ces nouvelles règles, ils peuvent alors prospérer et faire du profit. Mais s’ils vont violer ces règles, alors selon la Cour supérieure d’arbitrage russe, il sera possible de leur retirer tout le profit acquis en conséquence d’un comportement déloyal en réparation du dommage causé sur le fondement des recours déposés et actions engagées.
Autrement dit, tous ces nombreux codes d’éthique journalistique qui existent depuis longtemps et ne sont pas appliqués, vont ainsi acquérir une substance réelle et un intérêt matériel pour leur application. C’est pourquoi, si l’on analyse ce mécanisme du point de vue des fondements profonds de la défense des droits et des intérêts fondamentaux de la communauté des journalistes, c’est justement cela qui doit être établi au fondement de la nouvelle procédure de renouvellement des contrats des journalistes, par ailleurs sans intervention de l’Etat, mais grâce aux départements de vérification (compliance) alors nouvellement créés.
La diversité des méthodes de lutte contre les sources et les conséquences de la corruption permet à chaque Etat d’adapter et de choisir justement ceux qui correspondent le mieux aux spécificités nationales. Dans certains cas, comprenant l’ampleur du problème et la difficulté de la lutte contre la corruption au niveau de l’Etat, le business international peut entrer dans le combat. Il ne s’agit pas tant d’une responsabilité sociale corporative, que de l’existence de sanctions matérielles substantielles, que font craindre la corruption, entendue dans son sens le plus large, aux entreprises pour les activités corruptrices de leurs filliales de part le monde.
Les plus grands «contrôleurs» de l’activité de leurs compagnies à l’étranger restent à ce jour les Etats Unis et la Grande Bretagne. Justement dans ces pays ont été préparées les lois sur les pratiques corruptrices à l’étranger (US Foreign Corrupt Practices Act, 1977) et la loi sur la corruption (UK Bribery Act, 2010). Les amendes prévues par ces lois peuvent atteindre plusieurs centaines, voire milliers, de dollars. De plus, le UK Bribery Act oblige les compagnies à prendre des mesures de lutte contre la corruption et à collaborer activement avec les organes de contrôle. Dans le même sens, plusieurs pays ont adopté une législation semblable: l’Allemagne, l’Autriche, le Canada et, dans une certaine mesure, la Russie.
Encore une nouveauté concerne l’introduction récente dans l’article 19.28 du Code des infractions administratives de la responsabilité des personnes morales pour rémunération illégale. Désormais, pour l’occtroi ou la perception d’un pot-de-vin (jusque là n’existait que la responsabilité pénale des personnes physiques) répondent non seulement les fonctionnaires, mais également les dirigeants d’entreprises. Le montant des amendes est impressionnant: l’amende pour un pot-de-vin de grande ampleur (point 3 de l’article précité) commence à partir de 100 fois le montant de la somme de l’enrichissement illégal plus la confiscation de la somme du pot-de-vin, le montant minimal de l’amende étant de 100 000 000 de roubles[2]. Autrement dit, pour les «publis rédactionnels» (article de commande) maintenant les consortium médiatiques doivent payer très cher. Et cela signifie que le mécanisme juridique sur lequel nous nous appuyons, en parlant des nouvelles technologies de contrôle des contenus, existe déjà dans la législation russe.
Soit environ 2 500 000 euros. – note du traducteur.
Dans la mesure où l’activité du business des médias n’est déjà depuis longtemps plus limitée par les frontières étatiques, après de nombreuses affaires retentissantes et des amendes collossales, la question de la prévention des risques de corruption dans d’autres pays est devenue particulièrement sensible. Les compagnies internationales ont commencé à élaborer des règles et procédures internes, obligeant leurs filliales de part le monde à les respecter. Cette politique de prévention – le compliance – se traduit mot à mot comme la mise en conformité avec les obligations, a déjà commencé à se réaliser et dans les milieux d’affaires russes.
La pratique contemporaine du compliance a deux éléments principaux, dont chacun remplit des fonctions précises.
Tout d’abord il s’agit de la lutte contre la corruption, de la lutte contre le blanchiment d’argent obtenu de manière illégale, et de la prévention des actions frauduleuses avec les ressources de la compagnie et du vol de ses fonds. Afin de réaliser ces buts, les compagnies préparent tout un ensemble de documents intérieurs, de politiques et de procédures. Par exemple, dans la plupart des corporations internationales il existe des lignes spéciales qui permettent par téléphone ou par courrier électronique de signaler les violations du Code éthique commises par les employés de la corporation ou par la direction. Il existe des règles internes par lesquelles sont limitées les possibilités d’offrir des cadeaux aux fonctionnaires, des règles de bon accueil, des procédures de décision concernant les dons … Une attention particulière est portée au contrôle de la réputation du partenaire en affaire, des distributeurs, des soutraitants, des intermédiaires, des agents, qui apportent à la compagnie un certain nombre de services. Ces procédures sont orientées vers l’émergence des risques cachés, quand des activités corruptrices sont masqués sous une forme quasi-légale de services de consultation, de recherche en marketing ou d’une augmentation excessive du prix de revente.
Le second élément réside ensuite dans les vérifications et enquêtes internes pour la détection et la prévention des cas de violation du Code d’éthique de la compagnie. Par ces enquêtes et vérifications, le business contrôle lui-même, ce qui permet d’éradiquer la corruption, la violation des standards écologiques, des principes d’une concurrence loyale et autres violations des règles corporatives. Suite aux enquêtes, les collaborateurs ayant participé à ces activités sont renvoyés et les éléments de l’enquête interne peuvent être transmis aux organes des forces de l’ordre compétants.
Il est évident que l’application de politiques et procédures internes exige l’adoption de standards éthiques, donnant la possibilité aux collaborateurs de prendre connaissance des dispositions des documents internes et permettant la mise en oeuvre du contrôle de leur réalisation. Les corporations transnationales créent toute une série de départements, recrutent toute une équipe de collaborateurs, responsables pour la préparation et l’introduction de la politique de conformité, la formation du personnel et également la conduite des vérifications et enquêtes internes pour la détection et la prévention des cas de violation du Code éthique de la compagnie.
Ces dernières années, la pratique mondiale du compliance a fait beaucoup de progrès. Il y a suffisamment de fondements pour affirmer que le temps est venu pour les magnats des médias de restaurer l’image du journalisme et la confiance de la population dans les médias. Et doivent prendre part à ce processus lent et difficile justement ceux qui ont défait et conduit la guerre d’information, qui ont amassé leur capital, en utilisant les journalistes comme un monnaie d’échange, ceux qui ont déhonoré et rabaissé la communauté des journalistes.
Aujourd’hui le fait qu’une grande partie des médias importants n’ont pas seulement des partenaires étrangers, mais ne sont pas juridiquement enregistrés en Russie, et lancent des actions sur les places boursières prend une signification particulière.
Nous avons analysé, au regard des informations publiées, la structure de la propriété de certaines grandes chaînes de télévision (Pervyi kanal, NTV, REN-TV, STS), de journaux (Izvestia, Kommersant, Vedomosti), de stations de radio (Echos de Moscou et autres stations dérivées des chaînes de télévision) et deux grands holding de médias Yandex et Mail.ru. Les résultats sont particulièrement saisissants et révélateurs. Voyez vous-même. Parmis les 10 médias cités, 8 ont directement ou indirectement (par l’intermédiaire d’une chaîne de compagnies) dans leur propriété des firmes enregistrées à l’étranger (Chypre, Hollande, Panama, USA[3]), les 2 autres (NTV et Izvestia) sont sous contrôle de structures affiliées à Gazprombank, elle-même sous contrôle de Gazprom, dont les actions et les dépôts se négocient à Londres et dont les liens d’affaires internationaux sont bien connus de tous.
Source de l’information sur la structure de la propriété ici et plus loin СПАРК-Интерфакс
Ainsi, par exemple, la grande chaîne de télévision STS (SARL «Réseau de station de télévision») dont les recettes pour 2011 se montent à 14,5 trillions de roubles et employant plus de 10 000 personnes est à 100% contrôlée par la corporation StornFerst Communication, Inc (enregistrée à New Castle, USA). Les compagnies Mail.ru (SA Mail.ru) et Yandex (SA Yandex), qui ont des bureaux et des filiales dans le monde entier et dont les actions se négocient à l’étranger sont enregistrées en Hollande («Mail.ru HoldingB.V.» et «YandexN.V.»).
Il est important de savoir qu’une chaîne de télévision importante comme Pervyi Kanal (SARL Pervyi Kanal) appartient à 49% à deux compagnies russes (SA «RastrCom2002» et SA «ORT-KB») dont les propriétaires sont des entreprises enregistrées à Panama (Corporation Krotim marketing S.A.) et à Chypre (Tesina trading and investissment limited, Rossiera investissment limited, Palmeron Holding limited, etc). Une construction similaire se retrouve également pour REN-TV (SARL Telecompania REN-TV), dont l’un des sponsors est enregistré à Chypre (Ermira Consultant limited).
Et la station de radio Les échos de Moscou n’est pas ici une exception, puisque plus de 50% du capital appartient à la compagnie «Lidvill investissment limited», qui est enregistrée à Chypre.
Ainsi, en s’appuyant sur ces éléments, il est évident que de nombreux masses médias russes entretiennent des liens très étroits avec le business international. D’une manière ou d’une autre, pour leur réputation, il leur est nécessaire maintenant de respecter les standards internationaux de la culture corporative et, pour certains d’entre eux, les normes du droit russe, en cas de comportement non éthique, peuvent conduire à une baisse du cours de leurs actions sur les places bousières, voire entraîner la perte de procès en devant compenser le préjudice subi par des consommateurs inquiets ou un audotoire blessé.
Le recours à la technologie du compliance dans les médias va permettre une production de qualité pour la société et la création d’un système d’auto-contrôle des participants dans trois directions, qui sont aujourd’hui connues et reconnues. Premièrement, il s’agit de la propreté écologique du champ d’information, deuxièmement de la concurrence loyale dans le domaine des masses médias et troisièmement de la lutte contre la corruption dans le milieu médiatique.
Ainsi, il faut se tenir prêt à ce que la procédure du compliance devienne très bientôt le levier des changements positifs et partie intégrante de la culture dans les milieux d’affaires, y compris pour les géants des médias internet.
[1] Le compliance renvoie à la notion de conformité. Il s’agit des mécanismes de mise en conformité du comportement des dirigeants et des membres d’une entreprise, non seulement avec la législation en vigueur, mais également avec les règles internes de la société ou corporation concernée et les règles de soft law. – note du traducteur.
[2] Soit environ 2 500 000 euros. – note du traducteur.
[3] Source de l’information sur la structure de la propriété ici et plus loin СПАРК-Интерфакс
Ca fait longtemps qu’il fallait faire un controle des produits médiatiques, dont on nous abreuve de toute part.