Les affaires administratives et les affaires relatives aux infractions administratives : corrélation et différences
Les affaires relatives aux infractions administratives sont des affaires relatives à l’application des sanctions, c’est-à-dire qui ont lieu en dehors du cadre des relations litigieuses. Il s’agit d’affaires relatives à un délit (une infraction administrative). L’État est obligé de créer les conditions et les modalités de règlement de telles affaires et d’application à l’auteur des infractions des sanctions établies (pénales ou administratives). Les affaires administratives sont des affaires relatives à des réclamations (plaintes), il s’agit de la revendication d’un sujet de droit contre l’État, l’administration, un fonctionnaire, un agent de l’Etat ou un agent municipal.
Les statistiques judiciaires de la Cour Suprême de la Fédération de Russie distinguent parmi les affaires jugées, les affaires criminelles, civiles et administratives, les dernières étant considérées comme des affaires relatives aux infractions administratives[1]. Dans certains cas, il est possible d’observer une confusion avec la définition du caractère des affaires : l’on dit parfois que les juges de paix examinent les affaires civiles, pénales et les affaires relatives aux infractions administratives, que les tribunaux d’arrondissement examinent les affaires civiles, pénales et administratives, que les tribunaux des Sujets de la Fédération de Russie examinent les affaires civiles, pénales et administratives, que les tribunaux militaires examinent les affaires civiles, pénales et administratives et les affaires relatives aux infractions administratives[2]. Toutefois, dans aucun de ces cas, les auteurs n’indiquent les différences de principe entre les concepts d’« affaires administratives » et d’« affaires relatives aux infractions administratives ».
Pour aller plus loin dans la réflexion, on peut encore évoquer la manière dont est structuré le Bulletin de la Cour Suprême de la Fédération de Russie qui est publié mensuellement. Bien évidemment, cet exemple ne constitue pas à lui seul un argument scientifique. Toutefois, il démontre l’instabilité des représentations des experts eux-mêmes sur la nature et le contenu de la procédure administrative et du terme « affaires administratives ». Par exemple, dans l’un des numéros de ce bulletin, dans la section « Examen de la jurisprudence de la Cour Suprême de la Fédération de Russie », on distingue les sections suivantes : affaires pénales, affaires civiles et affaires administratives. Dans cette dernière catégorie, le Comité de rédaction du Bulletin inclut par exemple : « La pratique relative à l’examen des affaires de déclaration d’invalidité totale ou partielle des actes normatifs »[3]. Il convient de noter que ces sections ne traitent absolument pas des affaires relatives aux infractions administratives. Dans d’autres cas, la section relative aux « Affaires civiles » comprend une subdivision sur « La pratique relative à l’examen des affaires découlant des relations de droit public », dans laquelle on cite également des exemples d’activité judiciaire relative à la déclaration d’invalidité des normes litigieuses (actes contestés) ou de leur légalité. La rédaction publie même de la documentation sous la rubrique « Questions sur l’application du Code de la Fédération de Russie relatif aux infractions administratives »[4].
Lorsqu’ils commentent les articles de la Constitution de la Fédération de Russie, les auteurs comprennent la procédure administrative précisément dans le sens d’une procédure mise en œuvre par les juges dans le cadre d’infractions administratives. Par exemple, dans l’un des commentaires de la Constitution de la Fédération de Russie, il est indiqué que la réglementation de la procédure administrative, conformément au paragraphe « к » de l’article 72 de la Constitution de la Fédération de Russie, relève de la compétence conjointe de la Fédération de Russie et de ses Sujets, « c’est pourquoi l’établissement des modalités de la procédure administrative du Code des infractions administratives qui a été adopté avant l’entrée en vigueur de la Constitution, n’est pas contraire aux dispositions constitutionnelles relatives à la répartition des compétences entre la Fédération et ses Sujets »[5]. Ainsi, selon cette interprétation, la procédure administrative est établie par le Code des infractions administratives.
Cependant, le législateur lui-même ne qualifie pas l’activité relative à l’application des sanctions administratives (même lorsqu’elle est réalisée par les juges) de procédure administrative. Il semble que, lors de la prise de décision et de l’établissement de la constitutionnalité de telle ou telle norme des lois fédérales, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie doit respecter les « limites ou frontières » des catégories et des termes utilisés par le législateur lui-même. En revanche, si un quelconque terme n’apparaît pas du tout dans les actes législatifs, il convient alors de se baser sur le caractère des relations régies par la loi mentionnée et de ne pas donner une interprétation extensive au concept. Il est donc peu justifié que lorsque la Cour Constitutionnelle de la Fédération de Russie essaye d’« analyser » les articles issus du Code des infractions administratives dans lesquelles le terme « procédure administrative » est absent, elle détermine la légitimité de cette catégorie pour la procédure utilisée par les tribunaux en cas d’infractions administratives. On peut alors se demander pourquoi le Code des infractions administratives de la Fédération de Russie datant de 2002 n’a pas établi dans ses articles le concept de « procédure administrative ».
Le tribunal exerce la justice en cas de contentieux. Tel qu’indiqué dans l’arrêt № 11 de l’assemblée plénière de la Cour Supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie du 9 décembre 2002 sur « Certaines questions liées à l’entrée en vigueur du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie », peuvent être parties au procès (dans les affaires jugées par les tribunaux d’arbitrage) les personnes morales, les entrepreneurs individuels et, dans les cas prévus par le Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie et par d’autres lois fédérales, la Fédération de Russie, ses Sujets, les municipalités, les organes étatiques, les autorités locales, les autres organes, les fonctionnaires, les entités qui n’ont pas le statut de personne morale et les citoyens qui n’ont pas le statut d’entrepreneur individuel.
Les affaires relatives aux infractions administratives sont des affaires relatives à l’application des sanctions, c’est-à-dire qui ont lieu en dehors du cadre des relations litigieuses. Il s’agit d’affaires relatives à un délit (une infraction administrative). L’État est obligé de créer les conditions et les modalités de règlement de telles affaires et d’application à l’auteur des infractions des sanctions établies (pénales ou administratives). Les affaires administratives sont des affaires relatives à des réclamations (plaintes), il s’agit de la revendication d’un sujet de droit contre l’État, l’administration, un fonctionnaire, un agent de l’Etat ou un agent municipal.
C’est pourquoi, si l’on analyse rigoureusement l’article 118 de la Constitution de la Fédération de Russie, il faut en tirer la conclusion que, précisément, dans la Constitution de la Fédération de Russie est inscrite l’idée de la formation d’une procédure administrative en tant que forme d’exercice du pouvoir judiciaire dans le pays. Si le législateur, en formulant l’article 118 partie 2 de la Constitution de la Fédération de Russie, avait compris par le terme de « procédure administrative » une « procédure relative aux infractions administratives », alors il aurait fallu compléter cet article par le terme de « procédure relative aux infractions administratives ». Il semblerait que le législateur ait délibérément (« sciemment ») formulé l’article 118 partie 2 de la Constitution de la Fédération de Russie de cette manière, pour que par « procédure administrative » on puisse comprendre l’examen par le tribunal des affaires découlant des relations de droit administratif et des autres relations de droit public.
Il est bien connu que la législation sur les infractions administratives (dans son contenu matériel et procédural) a été élaborée et a été appliquée depuis la période soviétique, c’est-à-dire bien avant l’adoption en 1993 de la Constitution de la Fédération de Russie qui a consacré le terme de « procédure administrative ». Ainsi, tout comme les autres formes de justice en Russie, que l’on évoque la procédure pénale ou civile, l’histoire de son avènement et de son développement s’inscrit dans un temps long. Cependant, c’est dans le texte de la Constitution de la Fédération de Russie, en 1993, qu’est apparu le terme « procédure administrative ». Par cette novation juridique, le législateur a voulu souligner la nouvelle qualité du pouvoir judiciaire et la nécessité de former une nouvelle forme de justice en Russie. Par conséquent, il ne saurait être question d’assimiler la procédure administrative à la procédure relative aux infractions administratives.
Dans la Loi constitutionnelle fédérale du 7 février 2011 sur « Les tribunaux de droit commun dans la Fédération de Russie », il est établi à l’article 4 par. 2 que les tribunaux de droit commun examinent toutes les affaires civiles et les affaires administratives relatives à la protection des droits et des libertés violés ou contestés et des intérêts protégés par la loi à l’exception des affaires qui, conformément à la législation de la Fédération de Russie, sont examinées par d’autres tribunaux. Ainsi, dans ce cas, le terme « affaires administratives » sert de fondement à une autre interprétation de cette institution. Premièrement, la loi constitutionnelle fédérale, en introduisant ce terme (« affaires administratives ») dans le texte, permet d’avancer l’hypothèse d’une relation directe et essentielle avec le terme « procédure administrative ». Deuxièmement, les « affaires administratives » sont directement liées à la nécessité de protéger les droits et libertés violés ou contestés et les intérêts protégés par la loi. Ainsi, dans ce cas, les caractéristiques de délits administratifs des « affaires administratives » ne sont pas recevables. Il est question de la protection judiciaire des droits, libertés et intérêts légaux des personnes physiques ou morales. C’est précisément pour cela que, d’un point de vue théorique, une affaire relative à une infraction administrative peut être rangée dans la catégorie des « affaires administratives ». Cependant, d’après son contenu du point de vue aussi bien de l’objet du litige de droit administratif, des parties aux débats judiciaires, que des particularités des règles procédurales, les affaires liées aux infractions administratives ne constituent pas des affaires administratives au sens de l’article mentionné de la Loi constitutionnelle fédérale relative aux « Tribunaux de droit commun dans la Fédération de Russie ».
Le Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie détermine la compétence de la Cour d’arbitrage d’une manière qui est plus juridiquement correcte (articles 27-33 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie). En analysant les normes du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie relatives à la compétence des tribunaux d’arbitrage, on peut constater la présence de plusieurs dispositions très importantes à propos de la procédure administrative.
Premièrement, à l’article 29 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie, le législateur établit la compétence des tribunaux d’arbitrage en matière de litiges économiques et autres affaires découlant des rapports de droit administratif et autres rapports de droit public.
Deuxièmement, il utilise le terme de « procédure administrative » ou de « règle de procédure administrative ».
Troisièmement, une procédure administrative constitue une forme de résolution des litiges économiques et autres affaires, en lien avec l’exercice par les organisations et les citoyens d’une activité d’entreprise ou d’une autre activité économique, litiges qui découlent des rapports de droit administratif et public.
Quatrièmement, le législateur considère comme une procédure administrative tout examen, par les tribunaux d’arbitrage, des litiges et autres affaires suivants :
- relatifs à la contestation des actes normatifs dans les domaines qui sont établis, et ce manière exhaustive, à l’alinéa 1 du paragraphe 1 de l’article 29 du Code de procédure d’arbitrage, par exemple : la fiscalité ; la réglementation et le contrôle des changes ; la règlementation douanière ; la règlementation antitrust ; la règlementation des activités des banques, des compagnies d’assurance, des cabinets d’audit, des agences de notation ; l’insolvabilité (faillite) ; dans ces normes juridiques, il est également défini que d’autres cas de réglementation juridique peuvent être prévus par la loi fédérale correspondante et dans d’autres domaines ;
- relatifs à la contestation des actes normatifs, des décisions et des actions (ou inactions) portant atteinte aux droits et intérêts légaux du requérant dans son activité d’entreprise ou autre activité économique, émanant des organes de l’Etat, des collectivités locales, des autres organes, des organisations dotées par la loi fédérale d’attributions étatiques ou publiques, des fonctionnaires ;
- relatifs aux infractions administratives dans le cas où leur examen relève de la compétence du tribunal d’arbitrage en vertu de la loi fédérale ;
- relatifs au recouvrement auprès des organisations et des citoyens exerçant une activité entrepreneuriale ou toute autre activité économique, des cotisations obligatoires et des amendes, si la loi fédérale ne prévoit pas d’autres modalités de recouvrement ;
- et les autres affaires, découlant des rapports de droit administratif ou de droit public, dont l’examen relève de la compétence du tribunal d’arbitrage en vertu de la loi fédérale.
Le chapitre 22 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie établit les caractéristiques de l’examen, par les tribunaux d’arbitrage, des affaires découlant des rapports de droit administratif ou de droit public ; le chapitre 23 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie est consacré à l’établissement des modalités d’examen des affaires relatives à la contestation des actes normatifs ; le chapitre 24 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie réglemente les modalités d’examen des affaires relatives à la contestation des actes, décisions et actions (ou inactions) non normatifs des organes de l’Etat, des collectivités locales, des autres organes, des organisations dotées par la loi fédérale d’attributions étatiques ou publiques et des fonctionnaires. Le chapitre 25 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie définit les modalités d’examen des affaires relatives à la mise en œuvre de la responsabilité administrative des personnes. Ce même chapitre établit les règles de résolution des affaires relatives à la contestation des décisions des organes administratifs concernant la mise en œuvre de la responsabilité administrative des personnes.
Ainsi, le Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie associe le terme « procédure administrative » à l’examen par les tribunaux d’arbitrage des différents litiges économiques et autres affaires découlant des rapports de droit administratif et de droit public. La procédure administrative (selon les normes du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie) est la procédure mise en œuvre par un tribunal d’arbitrage dans le cas d’une contestation des actes normatifs ou non normatifs et la procédure relative aux infractions administratives. Il convient de noter que le Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie et la loi constitutionnelle fédérale relative aux « Tribunaux de droit commun dans la Fédération de Russie » (article 4 par.1) sont les lois fédérales les plus importantes en Russie qui, à la suite de la Constitution, emploient le concept de « procédure administrative ».
Par conséquent, en étudiant attentivement les nombreuses dispositions normatives du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie concernant la procédure administrative, on peut constater un dualisme procédural. D’une part, la procédure administrative dans le processus d’arbitrage est associée à la garantie de la légalité de l’activité des organes étatiques, des collectivités locales, des fonctionnaires et d’autres organes, c’est-à-dire dans les cas où le tribunal d’arbitrage examine les affaires relatives à la contestation des actes normatifs et non-normatifs qui portent atteinte aux droits et aux intérêts légaux du requérant dans le domaine de l’activité entrepreneuriale et de toute autre activité économique[6]. D’autre part, la procédure administrative dans le cadre d’un procès d’arbitrage possède un caractère délictuel manifeste, car les tribunaux d’arbitrage peuvent examiner les affaires relevant de leur compétence et qui concernent des infractions administratives. Le premier type de procédure conduit le tribunal à adopter une décision déclarant l’acte contesté ou certaines de ses dispositions conformes ou non conformes (dans ce cas, par conséquent, invalides totalement ou partiellement) à un autre acte normatif, doté d’une force juridique supérieure, tandis que dans le second cas, est adoptée une décision d’application d’une sanction administrative. Cependant, du point de vue du législateur, ces deux formes de l’activité judiciaire sont appelées « procédure administrative ».
Analysant les perspectives de perfectionnement du système de la juridiction civile, les auteurs qui font le plus autorité dans le champ du droit civil processuel, soulignent la nécessité de spécialiser les différents organes qui composent ce système. Par exemple, V. V. Iarkov, réfléchissant à l’avenir de la procédure administrative, indique l’existence de particularités de certaines de ses composantes qui rendent légitime la modification de la procédure et la prise en compte de la spécificité du droit public[7]. Il estime nécessaire la création d’un tribunal spécialisé qui examinerait les plaintes contre l’Etat et les organes étatiques, en tant que parties au procès civil. L’auteur n’exclut pas la création à l’avenir de tribunaux administratifs qui pourraient être formés, d’après lui, comme des chambres judiciaires spécialisées dans le cadre des tribunaux fédéraux dans les régions où le facteur géographique a une importance capitale[8].
Une analyse – même brève – des écrits scientifiques contemporains sur la question de la procédure civile fait apparaître, d’une manière claire, l’idée de sa prétendue différenciation. De nombreux travaux scientifiques ont d’ailleurs été rédigés à ce sujet, récemment[9]. Par des termes tels que « différenciation », « unification », « simplification », « optimisation »[10] de la procédure d’arbitrage et civile, on peut expliquer de nombreux problèmes de la procédure russe contemporaine, mais également influencer le caractère des débats portant sur la « procédure administrative ». Il est particulièrement difficile de comprendre les raisonnements des auteurs sur l’appartenance au procès civil d’une procédure dans des affaires qui découlent de rapports de droit public et qui parlent de la « différenciation du procès civiliste »[11]. Le procès administratif, par définition, ne doit pas être inclus dans la structure du procès civiliste ! Avec de tels essais de terminologie, on oublie l’essentiel : existe-t-il une particularité de la procédure administrative[12] ? Si ce n’est pas le cas, il est alors possible pour la science d’écarter l’idée d’une nécessaire révision de la Constitution de la Fédération de Russie qui a établi une procédure spécifique : la procédure administrative. Cependant, si l’on étudie attentivement les travaux récents relatifs à la procédure civile, on y trouve également énoncée, à juste titre, l’idée d’une nécessaire législation sur la procédure administrative. Par exemple, E. V. Sleptchenko tire la conclusion « que tout nous mène à penser qu’il est nécessaire d’unifier les règles processuelles, de les retirer du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie et de les inclure dans un Code unique de procédure administrative »[13]. L’une des conclusions les plus importantes des travaux d’E. V. Sleptchenko consiste à affirmer que « l’éclatement des normes du droit de la procédure administrative entre trois codes différents – le Code de procédure civile de la Fédération de Russie, le Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie et le Code des infractions administratives de la Fédération de Russie – ne garantit pas, à notre avis, le niveau nécessaire de protection des droits des citoyens et des organisations contre l’arbitraire de l’Etat »[14]. Cependant, malgré ces réflexions positives et justes de l’auteur sur ces questions, la conclusion finale est complètement dénuée de fondement et donc controversée. E. V. Sleptchenko explique que ni la formalisation de la procédure administrative en une procédure autonome, ni la réalisation de la proposition d’adopter un Code de procédure administrative « ne signifient la nécessité de créer des tribunaux administratifs spéciaux »[15]. L’auteur propose de laisser le problème irrésolu ; « toutes les affaires découlant des rapports de droit administratif et des autres rapports de droit public doivent être examinées par les tribunaux de droit commun, par des chambres et collègues spécialisés de ces tribunaux. En outre, les tribunaux d’arbitrage doivent être fusionnés avec les tribunaux de droit commun et former un système judiciaire unique. Tout cela permettra de résoudre le problème très complexe de la définition de la compétence pour ces affaires, qui sont aujourd’hui examinées aussi bien par les tribunaux de droit commun que par les tribunaux d’arbitrage »[16].
Les réflexions d’E. V. Slepchenko sur le rattachement des tribunaux d’arbitrage aux tribunaux de droit commun dans un « système judiciaire unique » semblaient, initialement, très novateurs et adaptés sur le long terme. Cependant, cela ne s’est révélé être qu’à première vue. À la fin du mois d’octobre 2012, une information concernant le rattachement (la fusion) de la Cour Supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie à la Cour Suprême de la Fédération de Russie[17] est tombée, suivie de très près par une nouvelle proposition visant à transférer la cour unifiée à Saint-Pétersbourg[18]. Et c’est vraisemblablement ce qui se fera dans l’avenir.
- A. Gromochina, étudiant la question des tribunaux spécialisés, affirme que « la séparation, le fractionnement d’une procédure civile aujourd’hui relativement unie conduira à des conséquences négatives plus visibles »[19]. Il ressort clairement de l’analyse scientifique de la question traitée que l’auteur est contre les tribunaux spécialisés et pose une question directe : « est-il acceptable pour un État pauvre de procéder à des expérimentations sociales douteuses ? »[20]. Discuter de la « pauvreté » de l’État russe ainsi que des nombreuses expérimentations pourraient faire l’objet d’autres articles. Pour l’instant, il suffit de souligner que, de nouveau, l’idée de créer une procédure administrative et des tribunaux administratifs est rejetée en raison d’un manque de financement et des « mauvais chemins empruntés en Russie » qui ne garantissent pas l’accès à la justice pour les « simples citoyens ». Ajoutons ici que les travaux scientifiques répètent constamment les mêmes arguments « contre » la création de tribunaux administratifs en Russie.
Dans la littérature scientifique consacrée à la justice en matière civile, ce type de procédure est défini comme « l’activité d’un tribunal de droit commun ou d’un tribunal d’arbitrage à l’occasion de l’examen et de la résolution des affaires relevant de leur compétence en vertu de la législation sur la procédure civile ou la procédure d’arbitrage qui fixe les modalités procédurales »[21]. Ainsi, d’une part, il est évident que les « affaires découlant de rapports de droit public » relèvent automatiquement des affaires civiles ; et, d’autre part, seule la législation sur la procédure civile et d’arbitrage attribue ces affaires à la compétence des tribunaux de droit commun et des tribunaux d’arbitrage. C’est précisément ici que l’on peut poser la question suivante : ces dispositions juridiques sont-elles conformes à la norme de droit constitutionnel sur les formes d’exercice du pouvoir judiciaire en Russie et sur l’objectif même de la procédure administrative ? De telles constatations normatives ne créent-elles pas les prémisses d’une limitation à l’accès à la justice et à la protection des droits et libertés violés des citoyens et des intérêts légaux des personnes morales ? Et alors, où sont la législation relative à la procédure administrative, le droit administratif, la pratique administrative, les litiges de droit administratif ? Comment peut-on justifier que les conséquences négatives de l’effet des normes du droit administratif relèvent de la compétence des tribunaux de droit commun et des tribunaux d’arbitrage ? Certains disent que ces normes sont établies par le Code de procédure civile et le Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie. Toutefois, ces codes sont apparus au cours du processus législatif alors qu’une certaine conception et une idéologie juridique tendant à l’adoption d’une législation procédurale dominaient à l’époque. Les temps changent et la législation procédurale doit elle aussi changer. On rejoint tout à fait les écrits de P. P. Serkov selon lesquels « les attributions en matière administrative sont réparties entre les tribunaux de droit commun et les tribunaux d’arbitrage, principalement en vertu des normes du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie, c’est-à-dire en vertu d’un acte législatif qui a été codifié sur le modèle du Code de procédure civile de la Fédération de Russie en tenant compte de la spécificité des litiges économiques »[22]. Ainsi, P. P. Serkov est très critique du fait que la compétence juridique des tribunaux d’arbitrage en matière administrative est déterminée par le législateur, en particulier dans la partie 1 de l’article 29 du Code de procédure d’arbitrage de la Fédération de Russie, via l’introduction d’un concept, tel que celui du « litige économique découlant de rapports de droit administratif et d’autres rapports de droit public ». Par ailleurs, comme le souligne l’auteur, la loi ne donne « aucun critère juridique permettant de définir les circonstances dans lesquelles un tel litige prend place »[23].
Les auteurs constatent qu’il découle de la « lettre » et de « l’esprit » de l’article 46 de la Constitution, ainsi que des positions juridiques exprimées à plusieurs reprises par la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, que l’on peut ester en justice pour résoudre un quelconque litige touchant aux droits et aux intérêts des citoyens ou de tout autre sujet de droit russe, y compris les litiges résultant de rapports de droit public »[24]. Cela soulève immédiatement une question : dans ce cas, qu’est-ce que la Cour constitutionnelle de Russie aurait dû valider ? Qu’en Russie, il n’existe pas de garanties concernant l’examen par un tribunal des litiges juridiques, y compris entre les citoyens et les autorités administratives et leurs agents ? La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie constatera toujours l’existence de possibilités et de mécanismes juridiques pour contester devant un tribunal des actions (ou des inactions) perpétrées par des organes du pouvoir exécutif et leurs agents. En d’autres termes, il est impossible de répondre à ces questions. Toutefois, une question demeure en suspens : la procédure administrative, dans tous ses critères, sa finalité et ses principes d’exercice, répond-elle aux standards connus de la justice processuelle civile et d’arbitrage ? Il semble très difficile de répondre par l’affirmative à cette question, étant donné le sens conféré par le droit constitutionnel à la justice administrative.
[1] Voir par exemple : Судебная статистика за 2001 г. //Рос. юстиция. 2002. № 8. С. 69-70.
[2] Voir : Комментарий к Конституции Российской Федерации /Под общ. ред. В.Д. Карповича. 2-е изд., доп. и перераб. М.: Юрайт-М; Новая правовая культура, 2002. С. 887-888.
[3] Voir : Бюллетень Верховного Суда Российской Федерации. – 2012. – № 2. – С. 30-33; № 10. – С. 27-29.
[4] Voir : Бюллетень Верховного Суда Российской Федерации. – 2011. – № 4. – С. 30-33; С. 36-37; Там же. – 2011. – № 8. – С. 17-20.
[5] Комментарий к Конституции Российской Федерации /Под общ. ред. В.Д. Карповича. 2-е изд., доп. и перераб. М.: Юрайт-М; Новая правовая культура, 2002. С. 827.
[6] Voir : Хазанов С.Д. Новый процессуальный порядок оспаривания в арбитражных судах постановлений по делам об административных правонарушениях //Бизнес, Менеджмент и Право. 2003. № 2. С. 102-108; Он же. Правовой режим разрешения в арбитражных судах административно-деликтных споров //Рос. юрид. журнал. 2002. № 1. С. 28-38; Петренко Н.П. О новых тенденциях в арбитражном процессе: теория и практика //Там же. С. 38-47; Окунев А.И. Административное судопроизводство в арбитражных судах: проблемы обеспечения правовой защиты организаций //Бизнес, Менеджмент и Право. 2003. № 2. С. 138-139.
[7]Voir : Ярков В.В. Будущее системы гражданской юрисдикции: попытка прогноза в начале XXI века //Правоведение. 2001. № 1. С. 175-176.
[8] Idem. С. 179-180.
[9] Voir par exemple : Слепченко Е.В. Гражданское судопроизводство: проблемы единства и дифференциации. – СПб.: Издательство «Юридический центр Пресс», 2011. – 499 с.; Громошина Н.А. Дифференциация, унификация и упрощение в гражданском судопроизводстве: монография. – М.: Проспект, 2010.- 264 с.; Прокудина Л.А. Оптимизация в организации арбитражного судопроизводства в России / Л.А. Прокудина. – М.: ИД «Юриспруденция», 2007. – 152 с.
[10] Les administrativistes parlent de « l’optimisation » du processus Voir par exemple : Перспективы оптимизации административного процесса: Материалы Международной научно-практической конференции, посвященной 75-летию Заслуженного юриста Российской Федерации, кандидата юридических наук, доцента М.Я. Масленникова / Отв. ред. проф. А.С. Дугенец. – М.: ФГУ «ВНИИ МВД России», 2011.
[11] Voir : Жилин Г.А. Правосудие по гражданским делам: актуальные вопросы: монография. – М.: Проспект, 2010. – С. 150-182.
[12] Sur les similitudes et les différences entre la procédure judiciaire et la procédure découlant des rapports de droit public, voir : Жилин Г.А. Правосудие по гражданским делам: актуальные вопросы: монография. – М.: Проспект, 2010. – С. 159-163.
[13] Слепченко Е.В. Гражданское судопроизводство: проблемы единства и дифференциации. – СПб.: Издательство «Юридический центр Пресс», 2011. – С. 141.
[14] Там же. – С. 143.
[15] Там же. – С. 145.
[16] Там же. – С. 145.
[17] URL : http://top.rbc.ru/politics/31/10/2012/822671.shtml.
[18] URL : http://www.newsland.ru/news/detail/id/1065811/
[19] Громошина Н.А. Дифференциация, унификация и упрощение в гражданском судопроизводстве: монография. – М.: Проспект, 2010. – С. 99.
[20] Там же. – С. 98.
[21] Жилин Г.А. Правосудие по гражданским делам: актуальные вопросы: монография. – М.: Проспект, 2010. – С. 27.
[22] Серков П.П. Административная юстиция в России: проблемы теории и практики // Рос. судья. 2012. № 12. С. 7.
[23] Idem.
[24] Боннер А.Т. Неисковые производства в гражданском процессе: учебное пособие. – М.: Проспект, 2010. – С. 8.
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