Panorama de jurisprudence de droit du cautionnement français Formalisme – Mise en garde – Disproportion (Janv. 2017 – Févr. 2018)
Dans l’attente d’une modification de la matière, le droit du cautionnement, réglementé par des dispositions du Code civil non modifiées depuis 1804, mais aussi et surtout par différents textes intégrés dans le Code de la consommation, est directement soumis à l’aléa jurisprudentiel des décisions de la Cour de cassation.
Trois thématiques, le formalisme (I), le devoir de mise en garde (II) et l’exigence de proportionnalité (III), sont plus particulièrement concernées.
I – Le formalisme
Quatre dispositions du Code de la consommation imposent aux cautions de rédiger, à peine de nullité de leur engagement, une mention manuscrite destinée à leur permettre de parfaitement apprécier la nature et la portée de leur engagement. Deux concernent plus particulièrement le cautionnement d’un crédit à la consommation. Les deux autres ont vocation à concerner la conclusion des contrats de cautionnement convenus entre une caution personne physique avec un créancier professionnel. De nombreuses décisions récemment rendues apportent un certain nombre de précisions relatives aux modalités d’application de ces dispositions.
Distinction entre le formalisme probatoire et le formalisme validant
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré le raisonnement d’une cour d’appel qui avait conditionné la validité de l’acte rédigé par une caution à l’existence de la mention en lettres et en chiffres de son engagement, conformément aux impératifs de nature probatoire énoncés à l’article 1376 du code civil (ancien article 1326 de ce code). Or, les textes du Code de la consommation, relatifs au formalisme validant, n’imposent pas de telles indications (Cass. com., 18 janv. 2017, n° 14-26.604).
La notion de « créancier professionnel »
La Cour de cassation adopte une interprétation extensive de la notion, en ne limitant pas l’application des exigences formelles prévues par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation, aux seuls établissements de crédit. Ce formalisme validant s’impose à tout créancier dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouvait en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale. Tel a pu le cas d’une association professionnelle de solidarité du tourisme, considérée en l’occurrence par la Cour de cassation comme un créancier professionnelle (Cass. Com. 27 sept. 2017, n° 15-24 895).
Qui rédige la mention manuscrite ?
Les termes des articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation prévoient que la mention imposée doit être rédigée par la caution. La Cour de cassation avait antérieurement annulé l’engagement d’une caution pour lequel cette même mention avait été rédigée par un tiers, en l’occurrence la secrétaire de la caution (Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27.814). A l’inverse, un arrêt rendu par la Cour de cassation a opté pour une solution totalement opposée et a admis que la secrétaire de la caution ait pu rédiger la mention manuscrite, la caution, ne maîtrisant pas la langue française (Cass. com., 20 sept. 2017, n°12-18.364).
Indication de la durée de l’engagement
Parmi les indications qui doivent être portées au sein de la mention manuscrite, la référence à la durée de l’engagement de la caution s’avère en principe déterminante. La Cour de cassation a toutefois jugé, de manière pour le moins surprenante, que le cautionnement consenti à durée indéterminée par une personne physique envers un créancier professionnel devait être considéré comme licite. La mention manuscrite relative à la durée, stipulait en l’occurrence que le cautionnement était consenti « jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues ». Pour la Cour de cassation, une telle mention « ne modifiait pas le sens et la portée de la mention manuscrite légale », ce qui permettait d’en déduire que le cautionnement litigieux n’était pas entaché de nullité (Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-10504).
De même, la Cour de cassation a considéré que la caution qui s’engage jusqu’au 31 janvier 2014 ou toute autre date reportée d’accord entre le créancier et le débiteur principal ne respecte pas les exigences prévues par le texte. Une telle formule ne permet pas à la caution de connaître, au moment de son engagement, la date limite de celui-ci (Cass. com., 13 déc. 2017, n° 15-24.294)
Dispense du formalisme pour un cautionnement authentique
Les textes du Code de la consommation prévoient que le cautionnement simple (articles L314-15 et L. L331-1), dès lors qu’il est sous seing privé, doit respecter le formalisme validant. Aucune précision n’étant apportée en matière de cautionnement solidaire, la Cour de cassation a réaffirmé que le cautionnement authentique, non seulement notarié, mais aussi homologué par une ordonnance de référé en l’occurrence, ainsi constaté dans un acte authentique, n’était pas tenu au respect de la rédaction de la mention manuscrite (en dernier lieu, Cass. com., 14 juin 2017, n° 12-11.644.
Non-respect des termes de la mention manuscrite (sanction)
Dès lors que les termes de la mention ne sont pas respectés et que le sens et la portée de l’engagement de la caution peuvent être affectés, la Cour de cassation considère que le contrat doit être annulé. Tel a tout d’abord été le cas de la formule qualifiée d’ « inintelligible » car affectant « le sens et la portée de la stipulation relative à la renonciation par la caution au bénéfice de discussion ». La caution avait en l’occurrence rédigé les termes « en renonçant au bénéficiaire de discussion », formule jugée non conforme à la mention légale « en renonçant au bénéfice de discussion ». Cette différence a écarté toute possibilité pour le créancier de se prévaloir de la sûreté, alors que les juges du fond avaient considéré qu’il ne s’agissait que d’une erreur matérielle (Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-19.756).
De même, la Cour de cassation a considéré que l’accumulation d’irrégularités constitue une méconnaissance des obligations légales qui affecte le sens et la portée de la mention manuscrite. En l’occurrence, des omissions de l’indication du débiteur principal, des termes « dans la limite de » et de plusieurs conjonctions de coordination articulant le texte et lui donnant sa signification avaient été constatées. Elles vont au-delà de l’erreur matérielle et justifie le prononcé de l’annulation du contrat de cautionnement (Cass. com. 10 janvier 2018 n° 15-26.324)
Non-respect des termes de la mention manuscrite (validité)
Une certaine tolérance est toutefois admise, au nom de l’efficacité de la sûreté, lorsque les juges considèrent que l’ajout ou l’omission n’affecte pas la compréhension, par la caution, de la portée de son engagement. Tel a été le cas lorsque les parties n’ont pas précisé le terme « pénalités » au sein de la stipulation convenue (Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-26.397)
II – Le devoir de mise en garde
Sous le fondement du droit de la responsabilité civile, la Cour de cassation a, de manière progressive, imposé un devoir de mise en garde aux établissements de crédit qui obtiennent l’engagement de cautions, dès lors que ces dernières sont dotées de la qualité de cautions non avertie. En l’absence de texte, les modalités d’application de cette création prétorienne sont régulièrement précisées par la Cour de cassation.
La notion de caution non avertie
Le dirigeant qui accepte de se porter caution, est assimilé à une caution avertie, dès lors qu’est constatée son implication, donc sa participation active dans la vie de la société cautionnée, notamment celui qui avait non seulement déjà assumé des fonctions de responsabilité qui nécessitaient des compétences techniques et commerciales, mais qui s’était également personnellement chargé du suivi des dossiers de financement et donc particulièrement impliqué (Cass. com. 18 janv. 2017, n° 15-12.723).
La Cour de cassation rappelle à nouveau que la caution dirigeante qui dispose d’une certaine expérience, en l’occurrence l’exercice de la profession de comptable, doit être considérée comme une caution avertie, une telle expérience avérée lui permettant d’appréhender au mieux, d’une part, les crédits contractés, lesquels ne présentaient aucune complexité et n’exigeaient pas de qualification en matière financière et de crédit, d’autre part, la teneur et la portée de ses propres obligations en qualité de caution (Cass. 1re civ., 6 sept. 2017, n° 16-19063).
De même, dès lors qu’une caution dispose des compétences requises, en l’occurrence un diplôme d’une école de commerce, de la qualité de chef de vente, directeur commercial d’une société de trente salariés et de directeur des ventes, la qualification de caution avertie doit être retenue et elle ne peut invoquer le défaut du devoir de mise en garde (Com., 29 novembre 2017, n° 16-19.416).
A l’inverse, une caution, pourtant attachée de direction, a pu être qualifiée de caution non avertie, la Cour de cassation ayant considéré que les juges du fond n’avaient pas démontré l’existence de compétences requises lors de la conclusion d’un contrat de cautionnement, qui puissent justifier que soit établie la qualité de caution avertie. Il était reproché à la juridiction du fond d’avoir insuffisamment motivé sa décision en effectuant une simple référence à la fonction exercée (Cass. com., 13 sept. 2017, n° 15-20294).
Enfin, la Cour de cassation a confirmé que les juges du fond ne pouvaient se fonder sur la seule qualité d’épouse du dirigeant et d’associée de la société débitrice principale pour en déduire la qualité de caution avertie. Pour légitimer le recours à une telle qualification, il appartient au juge de se fonder sur ce critère de l’implication dans l’activité de la société cautionnée ou dans la participation effective à l’opération garantie (Cass. com., 20 sept. 2017, n° 16-13493).
Articulation entre devoir de mise en garde et exigence de proportionnalité
La Cour de cassation considère que la banque est tenue d’un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie dès lors que l’engagement n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, devoir qui s’impose même s’il s’avère que cet engagement de la caution n’est pas disproportionné, car conforme à ses capacités financières (Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16.790).
Au titre du risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, la Cour de cassation a pris en considération de l’inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l’emprunteur. Le raisonnement de juges du fond a été censuré par ne pas avoir établi l’existence, pour l’emprunteur d’un tel risque d’endettement, pour fonder le devoir de mise en garde au bénéfice de la caution non avertie (Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-18.701).
III – Exigence de proportionnalité
L’article L. 332-1 du code de la consommation prévoit qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement dès lors que l’engagement de la caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. La mise en œuvre de cette disposition, très fréquemment invoquée devant les tribunaux, a été et demeure toujours ponctuellement source de contentieux portés devant la Cour de cassation.
Date d’entrée en vigueur
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a réaffirmé que la loi du 1er août 2003, plus particulièrement la disposition relative à la disproportion désormais codifiée l’article L. 332-1 du code de la consommation, ne concerne que les engagements de cautions postérieurs au 7 août 2003, date d’entrée en vigueur de ce texte. Aucune application rétroactive du texte aux contrats conclus avant cette même date, n’est donc envisageable (Com., 20 avril 2017, n° 15-15.749).
Notion de caution personne physique
L’article L. 332-1 du code de la consommation a vocation à être invoqué par toutes les cautions « personnes physiques », qu’il s’agisse de garants non dirigeants, mais aussi dirigeants. Selon une formule réitérée à plusieurs occasions, cette disposition est applicable à toute caution personne physique, fût-elle dirigeant gérant d’une société familiale. Le texte précité n’effectue aucune distinction selon que la caution est avertie ou non, de telles caractéristiques étant indifférentes pour son application (Com., 20 avril 2017, n° 15-16.184).
Nature de l’obligation garantie
L’article L. 332-1 du code de la consommation qui écarte toute possibilité pour un créancier professionnel de se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement s’avère manifestement disproportionné à ses biens et revenus, n’est pas limitée aux cautionnements garantissant les seules opérations de crédit. Ce texte a vocation à s’appliquer quelle que soit la nature de l’obligation garantie, notamment pour le cautionnement d’un bail commercial (Com., 22 février 2017, n° 14-17.491).
Preuve de la disproportion
La caution, qui invoque le caractère disproportionné de son engagement, doit apporter la preuve de telles circonstances et démontrer que cette disproportion a été manifeste au moment de son engagement et lorsqu’elle est appelée. En l’absence d’une telle preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement, la caution demeure tenue par le contrat conclu (Cass. com., 22 févr. 2017, n° 15-17.739 ; Cass. com., 18 oct. 2017, n° 16-13.512).
De plus, conformément à une jurisprudence antérieure, en l’absence d’anomalies apparentes, la banque n’a pas à vérifier les déclarations de la caution dont les revenus et le patrimoine proviennent d’une société dont la banque ne peut méconnaître les difficultés financières (Cass. com. 24 janvier 2018, n° 16-15.118).
Recours à une fiche patrimoniale
L’établissement a tout intérêt à demander à la caution de remplir un formulaire, qualifié de fiche de renseignement ou de fiche patrimoniale qui contient des informations relatives aux revenus et au patrimoine de la caution. La Cour de cassation a précisé d’une part, qu’une telle fiche devait contenir des informations nécessairement contemporaines à l’engagement de la caution. A ainsi été écarté le document rédigé lors de l’engagement en qualité de caution en 2010 et contenant des informations, le revenu annuel perçu par la caution, établis en 2008 (Cass. com., 27 sept. 2017, n° 16-15039).
D’autre part, le document doit être écarté dès lors qu’il n’a pas été rédigée par la caution elle-même mais par un tiers, en particulier quand est constatée l’absence de correspondance entre la signature de la caution et celle portée sur le document produit (Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-19.141). Il a, à l’inverse, été jugé qu’il importait peu que la fiche n’ait pas été remplie par la caution, dès lors, qu’en la signant, elle en avait approuvé le contenu, notamment dans l’hypothèse d’une rédaction réalisée par le concubin (Cass. com., 13 sept. 2017, n°15-20294).
Nature de la sanction encourue
La sanction encourue en raison du caractère manifestement disproportionné de l’engagement de la caution est l’impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement. Le contrat est donc privé d’effet, cette sanction n’ayant pas pour objet la réparation d’un préjudice. Les juges du fond ne peuvent donc pas allouer des dommages-intérêts venant compenser éventuellement le caractère disproportionné de l’engagement (Cass ; com., 20 avril 2017, n° 15-16.691).
Appréciation de la disproportion
Conformément aux exigences de l’article L. 332-1 du code de la consommation, la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit, suppose que la caution se trouve, lorsqu’elle le souscrit, dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus. Est censuré le raisonnement d’une Cour d’appel qui n’établit pas un tel caractère disproportionné du cautionnement en relevant que l’engagement litigieux était pratiquement du montant du patrimoine de la caution et que ses revenus mensuels étaient grevés du remboursement d’un encours de trésorerie et du solde d’un prêt immobilier (Cass. com., 28 février 2018, n° 16-24.841).
Appréciation de la disproportion et caution mariée sous le régime de la communauté
Lorsque la caution est mariée sous le régime de communauté, les biens de la communauté ne constituent le gage des créanciers que si le conjoint a donné son consentement exprès, conformément aux exigences de l’article 1415 du Code civil. La Cour de cassation a précisé que si ce consentement a été donné par un époux au cautionnement conclu par son conjoint, la proportionnalité doit être appréciée en fonction des biens et revenus propres de celui qui s’engage, mais aussi ceux de la communauté (Cass. com., 22 févr. 2017, n°15-14.915).
Plus récemment, une nuance a toutefois été apportée lorsqu’un époux s’engage en qualité de caution. Il a été jugé que même en l’absence de consentement exprès donné par le conjoint, le patrimoine de l’époux caution, marié sous le régime de la communauté, devait être apprécié en prenant en considération les biens communs (Cass. com., 15 nov. 2017, n°16-10504).
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