La réforme du droit français des contrats
La célébration du bicentenaire du Code civil, en France et dans le monde entier, en 2004, a été l’occasion de constater son succès et sa pérennité, mais aussi de mettre en lumière ses failles.
Alors que le droit des personnes et de la famille a été bouleversé dans la seconde moitié du XXème siècle, grâce aux réformes élaborées par le doyen Carbonnier qui a su réaliser une « révolution tranquille du droit civil contemporain », selon la belle formule du doyen Cornu, et rajeunir ainsi le Code, les textes relatifs au droit des obligations demeurent pour l’essentiel inchangés depuis 1804.
Or la réalité économique et sociale a profondément évolué depuis le début du XIX ème siècle. Des textes conçus pour l’époque des diligences, pour une société essentiellement rurale qu’était la France de 1804, ne peuvent guère convenir à l’ère d’Internet et de la mondialisation.
La jurisprudence, pour adapter des textes vieillis a souvent eu besoin de les dépasser ou de les malmener. Mais ces adaptations jurisprudentielles ne pouvaient être conçues que comme des palliatifs temporaires, d’autant plus que le vieillissement des textes du droit français des obligations devenait de plus en plus préjudiciable au niveau international.
Pour ces différentes raisons, un premier groupe de travail s’est mis en place en 2003 sous la conduite du professeur Pierre Catala. Ce groupe de travail a rassemblé une bonne vingtaine de spécialistes de la matière, universitaires et magistrats de la Cour de cassation. La philosophie de ce premier projet était de réaliser moins une révolution de notre droit des contrats que sa rénovation. L’avant-projet a été présenté officiellement au Garde des sceaux le 22 septembre 2005. Il a influencé la réforme du droit de la prescription du 17 juin 2008.
Un second projet préparé dans le cadre de l’Académie des sciences morales et politiques sous la direction du professeur François Terré a été diffusé en 2009 en ce qui concerne le volet contrat. L’esprit de cet avant-projet était de se rapprocher davantage des projets académiques européens, en particulier les Principes Lando.
Les pouvoirs publics ont préparé un troisième projet à partir de 2008. Une loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures a habilité le gouvernement à réformer le droit des contrats et le régime de l’obligation par ordonnance, la réforme du droit de la responsabilité devant faire l’objet d’une loi postérieure. C’est ainsi qu’est intervenue l’ordonnance du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, ce qui veut dire que le droit nouveau est applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.
L’ordonnance concerne l’ensemble du droit des contrats, du régime et de la preuve des obligations mais il ne s’étend pas aux différents contrats spéciaux. Nous n’étudierons dans le cadre de cette brève présentation que les apports fondamentaux de ce texte au droit des contrats.
La volonté des rédacteurs de l’ordonnance transparaît clairement dans la double filiation dont ils se réclament, Portalis, le principal rédacteur du Code en 1804, et Carbonnier, celui qui a su l’adapter et ainsi le sauver au XX ème siècle. Beaucoup de textes se contentent de confirmer les solutions jurisprudentielles antérieures. Le style du Code civil, sa structure et sa numérotation sont respectés : la réforme du droit des obligations doit être en harmonie avec les autres parties du Code. De même, l’esprit du Code civil est respecté : volonté de compromis lorsque des solutions sont controversées, souci d’édicter des règles ni trop générales ni trop détaillées.
Pour autant, cette fidélité au Code civil n’a pas empêché les rédacteurs de l’ordonnance de profondément remodeler le droit français des contrats en renforçant tant la souplesse contractuelle (I) que la justice contractuelle (II).
I.Renforcer la souplesse contractuelle
Le renforcement de la souplesse contractuelle irrigue l’ensemble du texte, facilitant en particulier l’adaptation du droit des contrats aux nouveaux schémas contractuels (A) comme aux nouvelles réalités économiques (B).
A. Un droit adapté aux nouveaux schémas contractuels :
Le droit des contrats inscrit dans le Code de 1804 était parfaitement adapté aux schémas contractuels d’une France rurale, dominé par les « petits contrats », souvent conçus comme des services amicaux ou familiaux. L’ordonnance du 10 février 2016 s’est efforcée de mettre les textes en phase avec des schémas contractuels de plus en plus complexes échafaudés par la pratique contemporaine, comme peuvent en témoigner trois illustrations.
Première illustration, le principe d’effet relatif des contrats, inscrit dans notre article 1165 du Code civil de 1804 calqué sur une règle romaine, considère le contrat comme un élément isolé, sans admettre comme c’est souvent le cas aujourd’hui, qu’il puisse être une simple pièce d’un puzzle constituant une opération économique complexe.
Tout en maintenant le principe d’effet relatif dans un article 1199 qui ne figure donc pas dans les dispositions liminaires consacrant la liberté contractuelle, la force obligatoire ou la bonne foi, tout en écartant la théorie des groupes de contrats, nébuleuse aux frontières imprécises, l’ordonnance consacre la notion de contrats interdépendants, contrats concomitants ou successifs dont l’exécution est nécessaire à la réalisation d’une opération d’ensemble à laquelle ils appartiennent.
L’ordonnance tire plusieurs conséquences de cette notion. Par exemple, lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition sont caducs (art. 1186). De même, « lorsque dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci » (art. 1189).
Une seconde illustration du souci de l’ordonnance de s’adapter aux nouveaux schémas contractuels tient aux relations pré-contractuelles.
Le Code de 1804 demeurait dominé par la conception du coup de foudre contractuel, du contrat qui se forme instantanément par la rencontre de l’offre et de l’acceptation. Encore pertinent pour les contrats de la vie courante portant sur des prestations de faible valeur économique, ce schéma ne permet pas de traduire juridiquement la genèse des « gros » contrats, fruits de négociations qui s’étalent dans le temps, dans les domaines de la banque, de la construction immobilière ou de l’assurance par exemple.
L’ordonnance, s’appuyant une fois de plus sur la jurisprudence, se propose de combler l’absolu silence du Code civil en la matière. La conclusion d’un contrat peut être précédé de négociations contractuelles qui s’étalent dans le temps. Le droit doit laisser suffisamment de souplesse aux contractants dans la conduite de ces négociations, tout en évitant que l’un des contractants puisse nuire à son partenaire en faisant traîner des négociations qu’il n’a pas envie de mener à terme, par exemple pour empêcher son partenaire de conclure avec un autre contractant.
Dans le respect de ce double souci de liberté et de justice, l’article 1112 du Code civil pose le principe de liberté dans l’initiative, le déroulement et la rupture des pourparlers, encadré par la bonne foi. Si les négociations n’aboutissent pas à la conclusion d’un contrat, un contractant n’engagera sa responsabilité envers l’autre que s’il commet une faute (art. 1112 al. 2).
La conclusion d’un contrat peut également être précédée d’un avant-contrat préparant le contrat définitif : promesse unilatérale ou synallagmatique de contrat ou pacte de préférence. Ces avant-contrats n’étaient pas évoqués dans le Code civil de 1804. Une sous-section entière leur est consacré dans l’ordonnance pour définir ces mécanismes et encadrer les règles générales gouvernant leur régime (art. 1123 et s.).
Une troisième et dernière illustration concerne la question de la détermination du prix dans les contrats-cadre de distribution.
Dans le droit de la distribution, les relations contractuelles sont souvent organisées par la conclusion d’un contrat-cadre, qui fixe le cadre général des liens entre les parties, complété au fil du temps par des contrats d’application. Par exemple, dans les relations entre une compagnie pétrolière et un pompiste détaillant, un contrat-cadre prévoit que ce pompiste doit se fournir exclusivement auprès de la compagnie pétrolière signataire à un tarif qui sera fixé lors de chaque contrat de vente successif.
L’avantage de cette stipulation est de permettre de faire varier le prix du carburant en fonction des évolutions du prix du pétrole. L’inconvénient est que le pompiste reste à la merci de la compagnie, qui peut fixer à son gré le prix du carburant, puisque le pompiste est lié à elle par une convention d’exclusivité. Pour cette dernière raison, la jurisprudence française avait décidé dès 1971 que le contrat-cadre est nul s’il ne comporte pas un prix déterminé ou déterminable par des éléments indépendants de la volonté des parties [1]. Cette solution était critiquée par une large partie de la doctrine car elle gênait la conclusion de contrats à long terme et perturbait les réseaux de distribution.
Après de multiples hésitations, la jurisprudence avait abandonné cette solution en 1995 : le prix n’a pas besoin d’être déterminé dans le contrat-cadre initial, il peut être fixé dans chaque contrat de vente. Mais l’abus dans la fixation du prix par la compagnie pétrolière peut donner lieu à indemnisation ou à résiliation [2].
Cette dernière solution a inspiré l’ordonnance du 10 février 2016 qui l’a aménagée : « Dans le contrat-cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat » (art. 1164).
Si, comme tentent de le démontrer ces quelques exemples, l’ordonnance du 10 février 2016 s’efforce d’adapter le droit aux nouveaux schémas contractuels, renforcer la souplesse contractuelle conduit également à adapter le droit aux nouvelles réalités économiques.
B.Un droit adapté aux nouvelles réalités économiques :
Le contrat s’impose aux parties : l’article 1134 du Code civil est repris dans une formulation quasi-identique parmi les dispositions liminaires au sein de l’article 1103 « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (art. 1103). Les parties doivent donc exécuter le contrat tel qu’il a été conclu. Le juge doit faire exécuter le contrat tel qu’il a été conclu.
Cette solution s’imposait en période de stabilité économique, comme celle que traversait la France de 1804. Mais elle peut parfois emporter des conséquences dommageables dans une société mondialisée, soumise à de fréquents bouleversements économiques. Concrètement, un juge peut-il modifier le contrat si un changement des circonstances économiques a bouleversé l’équilibre des prestations voulues par les parties ?
La Cour de cassation l’a toujours refusé [3], se fondant sur la sécurité des relations juridiques : il faut éviter qu’un contractant puisse demander la révision d’un contrat dès qu’il paraît moins intéressant pour lui. La Cour de cassation a également craint que la révision n’appelle la révision : le contractant qui voit sa dette augmentée à la suite de la révision risque de demander une révision à son profit dans d’autres contrats dans lesquels il est créancier.
Cette rigueur était critiquable alors que se multiplient les contrats de longue durée et que les circonstances économiques sont de plus en plus instables.
Le droit français paraissait dangereusement archaïque par rapport aux solutions plus en phase avec les réalités économiques contemporaines retenues par plusieurs pays voisins comme par les projets européens. Pour contourner ces inconvénients, les parties pouvaient toujours prévoir une clause de renégociation ou clause de hard ship, fréquente dans les contrats internationaux d’affaires. Cette clause oblige les parties à renégocier les prestations en cas de bouleversement des circonstances économiques entraînant un déséquilibre du contrat. Mais ces tempéraments ne pouvaient pas jouer si les parties n’avaient prévu aucune stipulation. Pour remédier à cette solution, la Cour de cassation a récemment suggéré que l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi entraîne l’obligation de renégocier une convention déséquilibrée par une modification imprévue des circonstances économiques, mais la doctrine s’est divisée sur l’interprétation de cet arrêt [4].
L’ordonnance propose une solution originale et mesurée. L’article 1195 expose d’abord les deux conditions qui président à son application.
La première vise « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat », formule classique dans les textes relatifs à l’imprévision, qui nous semble devoir être approuvée. Limiter l’application du texte au seul changement de circonstances économiques aurait été trop réducteur. De plus, ce changement de circonstances ne doit pas exister lors de la conclusion du contrat, sinon il relèverait des conditions de formation du contrat, éventuellement la lésion. Enfin, il ne doit pas avoir été prévisible, sinon les parties auraient dû l’intégrer dans l’équilibre contractuel qu’elles ont construit et ne pourraient se prévaloir de cette négligence.
La seconde condition exige que ce changement de circonstances rende « l’exécution excessivement onéreuse pour la partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». La référence à l’exécution excessivement onéreuse, critère dominant empruntée au droit italien via les Principes Lando, nous semble un bon compromis entre l’exécution simplement plus difficile ou onéreuse, à laquelle le débiteur ne doit pas échapper sous peine de menacer la sécurité des relations juridiques, et l’exécution impossible, qui doit être appréciée à la lumière de la force majeure.
Si ces conditions sont remplies, la partie victime du déséquilibre peut demander une renégociation à son cocontractant. Il semble sage de confier dans un premier temps aux contractants eux-mêmes l’adaptation du contrat, l’intervention du juge ne devant être que subsidiaire. Le texte prévoit que durant la renégociation, la partie qui l’a réclamée doit continuer à exécuter ses obligations : la demande ne doit pas paralyser l’exécution du contrat initial, utile précision qui évitera toute difficulté pratique. En revanche, rien n’est précisé dans le texte sur le déroulement de ces négociations. On peut regretter l’absence d’une référence à la bonne foi, afin notamment d’éviter que la partie bénéficiaire du déséquilibre ne satisfasse à son obligation de renégociation qu’avec l’intention de ne pas aboutir à une révision du contrat.
En cas de refus ou d’échec de la négociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat aux conditions qu’elles fixent ou demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. Mais on voit mal en pratique la partie bénéficiaire du déséquilibre accepter une résolution du contrat ou demander son adaptation qui ne pourrait intervenir qu’à son détriment.
Aussi, la dernière mouture de l’ordonnance, modifiant le texte envisagé dans la version de 2015, prévoit qu’à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut à la demande d’une seule partie réviser le contrat ou y mettre fin. Cette disposition pourra jouer un rôle préventif, obligeant la partie qui profite du déséquilibre à accepter un accord avec son cocontractant, sous peine d’une révision judiciaire hasardeuse. Quoi qu’il en soit, il s’agit sans doute de l’innovation la plus importante, puisqu’elle consacre l’intrusion du juge dans l’équilibre contractuel établi par les contractants. Aussi peut-on regretter que ce pouvoir d’adaptation conféré au juge ne soit pas encadré, soit par un standard objectif comme l’équité ou le raisonnable, soit par une référence à la volonté des parties.
Cette souplesse contractuelle qu’instaure ainsi l’ordonnance s’accompagne également de davantage de justice contractuelle.
II. Renforcer la justice contractuelle :
L’ordonnance tente d’insuffler davantage de justice contractuelle en adaptant notre droit des contrats aux nouvelles réalités sociales (A) comme aux nouvelles relations contractuelles (B).
A) Un droit adapté aux nouvelles réalités sociales :
L’esprit du Code civil encore dominé par les principes philosophiques et économiques de ses rédacteurs de 1804, libéralisme économique et conservatisme social, ne pouvait rester hermétique au besoin d’une justice contractuelle renforcée, manifesté depuis de nombreuses années. Comme l’observait Lacordaire, avec le libéralisme du Code civil, « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère ».
Pour remédier à ces injustices, des textes protecteurs du contractant le plus faible ont été adoptés dès la fin du XIX ème siècle en droit du travail ou dans la seconde moitié du XX ème siècle en droit de la consommation pour protéger le consommateur du professionnel ou en droit de la distribution pour protéger les détaillants contre les distributeurs. Ces solutions retenues par des droits spéciaux ne pouvaient rester sans influence sur le droit commun.
La jurisprudence avait facilité les évolutions, forçant certains textes, s’appuyant sur des notions fondamentales comme l’équité, l’abus ou la bonne foi. Mais le fragile équilibre des sources du droit ne pouvait longtemps se satisfaire de ces palliatifs prétoriens. L’ordonnance opère un rééquilibrage du contrat au profit de la partie la plus faible économiquement ou sensée telle.
Ce souci imprègne de nombreuses dispositions nouvelles : il justifie par exemple l’entrée dans le Code civil de l’obligation pré-contractuelle d’information entre contractants (art. 1112-1). Au-delà, plusieurs illustrations témoignent explicitement de ce souci de protection de la partie faible.
L’ordonnance consacre le contrat d’adhésion (art. 1110) et organise un embryon de régime. L’ordonnance prévoit ainsi que le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé (art. 1190). Cette règle inscrit dans le droit commun une solution déjà retenue par exemple par le droit de la consommation (art. L. 211-1 C. consom.). De même, le Code civil, s’inspirant également du droit de la consommation, donne une définition générale de la clause abusive, susceptible de s’appliquer au-delà des relations entre consommateurs et professionnels dans tous les contrats d’adhésion. « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat est réputée non écrite » (art. 1171).
Enfin, dernière illustration de cette volonté de protéger le contractant le plus faible, la violence considérée comme un vice de consentement n’est plus seulement la violence physique ou la violence morale comme dans la version de 1804. Un contractant peut également demander la nullité du contrat pour violence lorsque son cocontractant « abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son contractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (art. 1143). La violence économique peut désormais être prise en compte par le juge pour annuler un contrat.
Au-delà de cette nécessaire adaptation aux nouvelles réalités sociales, l’ordonnance propose également un droit des contrats adapté aux nouvelles relations contractuelles.
B) Un droit adapté aux nouvelles relations contractuelles :
Le contrat était conçu par l’analyse classique comme une rencontre de deux intérêts antagonistes qui tentent de l’emporter l’un sur l’autre. Cette analyse est battue en brèche depuis de nombreuses années déjà, René Demogue ayant présenté le contrat comme « une petite société où chacun doit travailler dans un but commun » [5]. A sa suite, un courant de talentueux auteurs, prônant le solidarisme contractuel, considère le contrat comme une œuvre de coopération entre partenaires, réclamant notamment un renforcement du devoir de loyauté entre contractants.
L’ordonnance insuffle davantage de solidarisme contractuel dans les textes mêmes du Code civil. Le Code civil de 1804 n’accordait un rôle à la bonne foi que lors de l’exécution du contrat (art. 1134 al. 3 anc.), Portalis ayant considéré lors des travaux préparatoires que reconnaître un rôle à la bonne foi lors de la formation du contrat serait redondant avec la théorie des vices du consentement. La bonne foi est longtemps restée un principe en sommeil dans notre droit.
L’ordonnance, dans le droit fil des évolutions jurisprudentielles et des projets européens consacre une importance extension du rôle de la bonne foi dans les contrats. L’article 1104 consacre la bonne foi dans les dispositions liminaires de la théorie générale du contrat, l’érigeant ainsi en principe directeur aux côtés de la force obligatoire ou de la liberté contractuelle. La bonne foi a vocation à s’appliquer non plus seulement à l’exécution du contrat mais à toute sa vie, de sa négociation à son extinction.
Au delà de cette consécration générale, la présence de la bonne foi est en outre sous-jacente dans de nombreuses dispositions spéciales. Nous avons par exemple relevé que les négociations pré-contractuelles son placées sous le respect du principe général de bonne foi.
*******
La rénovation de notre droit des contrats est opportune et fondamentale à plusieurs titres.
D’abord, la théorie générale du contrat ainsi dépoussiérée pourra retrouver pleinement son rôle de droit commun quelque peu menacé par les forces centripètes divergentes du droit des affaires ou du droit de la consommation. Le contrat du Code civil doit redevenir ou au moins demeurer la figure tutélaire rassurante à laquelle parties ou juges, en proie au doute, pourront toujours se rattacher.
Ensuite, l’ordonnance permet d’harmoniser les textes relatifs au droit des contrats avec le droit des personnes et de la famille, plusieurs fois révisé depuis une cinquantaine d’années, restaurant dans notre Code civil une cohérence quelque peu brouillée par la juxtaposition d’articles aux millésimes différents. On peut à ce titre espérer que l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité, diffusé dans sa dernière version en mars 2017, soit adoptée rapidement.
Enfin, défendant des acquis forgés par des siècles de réflexion juridique mais ouvert aux solutions modernes et aux apports des projets européens, l’ordonnance constitue un élément de réflexion doctrinale incontournable dans la découverte, dans la construction d’un jus commune avec nos partenaires européens.
[1] Com. 5 avr. 1971, Bull. Civ., IV, n° 263, D 1972, 353, note J. GHESTIN, JCP 1972, II, 16975, note J. BORE.
[2] Ass. pl. 1er déc. 1995 (4 arrêts), D 1996, 18, note L. AYNES, JCP 1995, II, 22565, concl. JEOL, note J. GHESTIN, RTDCiv. 1996, 153, obs. J. MESTRE.
[3] Arrêt Canal de Craponne, Civ., 6 mars 1876, D 1876 , 1, 193, note GIBOULOT.
[4] Civ., 1, 16 mars 2004, D 2004, 1754, note D. MAZEAUD, RTDCiv. 2004, 290, obs. J. MESTRE, JCP 2004, I, 173, obs. J. GHESTIN. Ad., déjà, Com. 3 nov. 1992 (arrêt Huard), JCP 1993, II, 22164, note G. VIRASSAMY, RTDCiv. 1993, 124, obs. J. MESTRE : l’exploitant d’une station service qui ne pouvait plus être compétitif du fait des prix du carburant imposés par son fournisseur exclusif peut obtenir des dommages et intérêts de son partenaire qui lui avait refusé la révision du contrat (dans le même sens, Com. 26 oct. 1999, D 2000, 224, note L. AYNES, JCP 2004, II, 10230, note J. CASEY).
[5] Traité des obligations en général, t. 6, Paris, 1911, n° 3.
Recent Comments