L’auberge espagnol du renouveau
Ce qu’ils ont en commun, l’unique chose, devrait-on dire ? L’ambition. Une ambition personnelle féroce. Plutôt une qualité, dira-t-on. Certes. Il en faut, de l’ambition, pour prétendre incarner, sur son nom, ses qualités, son parcours, un destin pour notre pays. J’applaudis l’ambition lorsqu’elle est au service des convictions. J’ai un peu plus de mal lorsque l’ambition asservit les idées et désacralise les valeurs, lorsqu’elle se suffit à elle-même, lorsqu’elle est la cause et la justification de sa victoire, lorsqu’elle permet toutes les virevoltes et les reniements.
J’ai du mal à cacher ma stupéfaction en voyant les adversaires d’hier se congratuler aujourd’hui au nom de la « main tendue » par Emmanuel Macron, aussi bien à droite qu’à gauche, à la société civile qu’aux macronistes de la dernière heure. Une telle ubiquité dans les avants-bras, c’est surnaturel. Pour un peu, on croirait voir L’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci. On ne peut en tous cas que louer cet art du déploiement dans l’espace : il permet d’attraper dans tous les recoins. Et force est de constater que la pêche a été bonne. A l’heure où Paris se démène pour organiser les JO de 2024, je me félicite que notre pays compte une délégation aussi pointue de gymnastes experts en acrobaties : l’art de la contorsion politique vient de connaître son apogée.
Regardons d’un peu plus près ce microcosme tout juste nommé, imprudemment présenté comme une « nouvelle voie », « un renouveau », voire « une résurrection » politique pour les plus exaltés et qu’y trouve-t-on ? Des vieux routiers de la politique, qui ont enfin misé sur le bon cheval c’est-à-dire sur quelqu’un d’autre qu’eux-mêmes ; des énarques ou des diplômés de grandes écoles, à l’image de notre Président qui trouve là un cocon confortable, une reproduction à l’identique de son propre parcours. Et un ancien animateur de télévision dont on peut tout dire sauf qu’il est novice en politique, approché qu’il a été par Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy, puis François Hollande à défaut de gagner les Primaires EELV. Du « renouveau », vraiment ?
Reconnaissons cependant à Emmanuel Macron d’avoir réussi son coup : à prétendre dépasser le clivage droite/gauche, il a en réalité profondément divisé les partis politiques historiques et notamment Les Républicains, qui risquaient sinon d’incarner la seule alternative à ce président du consensus. Les exclusions, malheureusement inévitables, sont les premières secousses de ce séisme à venir. Mais saper les appareils politiques ne veut pas pour autant dire en faire disparaître les valeurs : oui, n’en déplaisent aux thuriféraires du locataire de l’Elysée, être « à gauche » ou « à droite » de l’échiquier politique a une signification pour nos concitoyens. Briser les barrières symboliques, historiques, éthiques, entre les partis est un jeu dangereux : car qui restera-t-il pour incarner les intimes convictions des Français d’être, de se reconnaître « de gauche » ou « de droite » ? Les partis des extrêmes, toujours en embuscade et fermement campés, eux, sur leurs identités.
On ne bâtit rien sur du vide, encore moins sur des ruines : le pari de la dilution des partis au profit d’un ventre mou où les ambitions de chacun remplacent une vision cohérente de l’avenir de la France est un pari risqué. J’espère que l’avenir ne nous imposera pas de le payer au prix de notre liberté.
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