Les problèmes juridiques de la régulation des questions d’immigration
Actuellement, au regard de l’influence des processus d’intégration, de la modification des politiques socio-économiques, le processus d’évolution de la législation sur l’immigration se poursuit en Russie. L’article présente les problèmes-clés en la matière dans la Russie contemporaine et formule des propositions d’améliorations possibles du système de réglementation.
Le droit de migration est une institution relativement récente dans la législation russe. Son développement dans les années 90 s’explique par des facteurs objectifs, à savoir la modification des politiques publiques en la matière. La simplification du régime de passation des frontières fut un des fondements de l’activisation des processus migratoires. Au jour d’aujourd’hui, la Russie occupe une des premières places en ce qui concerne le volume des masses migratoires, tant parmi les Etats de la CEI, que d’une manière générale dans le monde. Par ailleurs, les experts estiment que l’intensivité des mouvements migratoires se maintiendra au moins pour les 10 ans à venir.
L’une des conséquences du renforcement de la population migrante est l’augmentation du nombre d’étrangers vivant en Russie de manière temporaire ou permanente. Cela a demandé au législateur russe de mettre en place une réglementation juridique, conformément au droit international, et visant à déterminer le statut juridique des migrants, mais également l’instauration d’une régulation des masses migrantes. Actuellement, les fondements juridiques ont été créés, mais perdurent toute une série de problèmes existent encore, qu’il va être nécessaire de régler. Pour cela, certaines mesures devront être prises.
- Il n’est pas rare de voir, en raison d’une approche différente de certains concepts et catégories juridiques relevant du droit international, émerger des difficultés quant à leur mise en oeuvre dans la législation nationale. Ainsi, en 2010, un problème s’est posé avec la catégorie de « spécialiste hautement qualifié », introduite afin d’accorder à ces citoyens étrangers un statut particulier, simplifié, en matière d’entrée sur le territoire, de résidence, d’exercice d’une profession, de droit au regroupement familial. Jusqu’à ce jour en Russie, les critères juridiques déterminant la qualification professionnelle des étrangers, voulant entrer sur le territoire en tant que spécialiste hautement qualifié, ne sont pas fixés par la loi, alors qu’ils existent dans nombre d’Etats étrangers (les organes du pouvoir d’Etat prennent la décision concernant tant la compatibilité de la formation du demandeur au regard du concept de spécialiste hautement qualifié, que son droit d’entrer en cette qualité sur le territoire).
Selon la législation russe en vigueur, l’obligation, et tous les risques qui en découlent, de déterminer la qualification de la personne étrangère repose sur l’employeur. Pour autant, ces étrangers ne reçoivent pas leur autorisation d’entrée sur le territoire en fonction de leur qualification et de leur formation, mais en fonction du salaire prévu et, dans certains cas, du lieu de travail et du type d’activité (par exemple recherche scientifique, enseignement …). D’un côté, cette approche de la question permet de ne pas surcharger les organes du pouvoir d’Etat avec le contrôle de la qualification des spécialistes étrangers, mais d’un autre côté, cela affaiblit, dans certains cas, les mécanismes de contrôle de l’immigration de travail. Il apparaît également des difficultés liées à la différenciation de la politique d’immigration en fonction de la qualification des personnes visées.
Encore une fois, la question de la création de mécanismes permettant d’apprécier la qualification d’une personne a été soulevé avec l’entrée de la Russie dans l’OMC, quand s’est posé le problème de la détermination de la catégorie des « personnels-clés ». Conformément au Protocole ralliant la Russie à l’accord de Marakkech, instituant l’OMC, du 15 avril 1994, la Russie a pris l’obligation de simplifier le régime d’entrée, de résidence et de travail pour les citoyens étrangers dans le cas de transferts internes à l’entreprise et dans le cas de séjour d’affaires.[1] Dans ce Protocole, le terme de personnel-clé est employé, pour autant cela ne facilite pas la tâche, car il se détermine par renvoi à des catégories juridiques qui demandent des explications supplémentaires (notamment celles de « transfert interne », « ancienneté », « connaissances particulières »)[2]. D’un point de vue méthodologique, il va être difficile de déterminer qui entre dans la catégorie de personnel-clé, et également quelles fonctions en particulier sont considérées comme élevées.
- A ce jour en Russie, il n’est pas prévu de régime préférentiel pour les citoyens étrangers ayant terminés un Institut d’étude supérieur en Russie, ni faisant leurs recherches ou ayant terminé une école doctorale[3]. Selon le régime général, ils sont obligés de quitter le territoire de la Fédération de Russie après la fin de leur formation. Alors que de nombreux pays prévoient la possibilité de rester sur le territoire du pays et d’y trouver un emploi dans l’année qui suit la fin des études (il s’agit par exemple de l’Australie, du Canada, de l’Allemagne ou de la Grande Bretagne). Par ailleurs, lors de leur formation, il n’est pas rare que les étudiants aient le droit d’exercer une activité professionnelle, même si celle-ci est soumise à des limitations. Dans le cadre d’un combat pour un personnel qualifié, il serait intéressant de tenir compte de cette expérience, car sur la base d’une bonne formation des étudiants il est possible de constituer un potentiel scientifique de recherche et d’augmenter le potentiel d’innovation.
Au regard des intérêts stratégiques du développement socio-économique de l’Etat, il semble légitime d’envisager l’adoption de mesures renforçant l’attractivité du pays, pour les citoyens étrangers désireux d’obtenir un enseignement à l’étranger, notamment en instaurant un régime préférentiel d’embauche pour les diplômés des Instituts russes d’enseignement supérieur ou d’enseignement professionnel. Il serait également intéressant d’envisager pour ces personnes la possibilité de résider sur le territoire russe un certain temps après l’obtention de leur diplôme.
- L’un des instruments de régulation de la population par l’immigration est le regroupement familial.
D’une manière générale, le droit au regroupement familial, indépendamment des quotats, ne concerne pas les personnes résidant temporairement en Russie ou munie d’un titre temporaire de séjour, à moins que la législation russe et les accords internationaux n’en disposent autrement.[4] En matière d’exemple d’exceptions, il est possible de citer :
- les personnes entrant dans le cadre de la Convention sur le statut juridique des migrants travailleurs et des membres de leur famille (signée à Saint Petersbourg le 19 novembre 2010) ;
- les spécialistes étrangers hautement qualifiés ;
- les participants au programme national de déplacement volontaire des concitoyens, résidant à l’étranger.
Par ailleurs, la législation n’oblige pas à tenir compte de la situation familiale de la personne concernée lors d’une décision de déportation ou d’expulsion.
Dans certains cas, l’expulsion de personnes du pays dans lequel vit leur famille peut constituer une violation de l’article 8.1 de la Convention européenne (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondace »). Pour autant cet article ne peut s’interpréter comme créant une obligation générale du respect du choix fait par les époux du pays de résidence, qui n’est pas le leur.[5] La Convention ne prévoit pas le droit de vivre dans n’importe quel pays.[6]
Comme l’a relevé la CEDH, notamment dans l’affaire Moustaquim c. Belgique[7], le droit pour un individu d’entrer ou de résider dans n’importe quel pays, en tant que tel, n’est pas garanti par la Convention européenne. L’Etat a le droit, dans le cadre des normes du droit international, d’établir les règles d’entrée et de résidence sur le territoire, tout autant que de l’expulsion. Les normes du droit international prévoient même la possibilité d’une séparation des enfants et des parents, si elle découle d’une décision prise par un des Etat concernés, sur l’expulsion ou l’extradition d’un des parents, des deux parents ou de l’enfant[8], alors que le lien unissant les parents et les enfants est reconnu comme un lien familial particulièrement fort.[9]
La Cour constitutionnelle russe, conformément aux dispositions précitées, enjoint les organes publics et les juridictions à tenir compte, au nom du principe d’humanisme, de la situation familiale, de l’état de santé du ressortissant étranger ou de l’apatride lors de l’examen d’un décision concernant soit l’extradition, soit l’attribution d’une titre de séjour[10]. Ce qui, pour autant, ne libère pas l’individu concerné de ses obligations.
- Le droit au regroupement familial est intimement lié au problème des mariages fictifs, conclus dans le but d’obtenir un régime simplifié d’entrée ou de résidence sur le territoire russe. Par exemple, une personne mariée avec un ressortissant russe et résidant sur le territoire de la Fédération de Russie peut obtenir un titre de séjour indépendamment des quotats établis par le Gouvernement. Par ailleurs, démontrer le caractère fictif du mariage devant un tribunal est extrêmement difficile, parfois impossible. Une des manières les plus simples d’y remédier, serait, par exemple, de prévoir un délai à compter du mariage à l’écoulement duquel, seulement, le droit à un régime simplifié de résidence serait ouvert. Cette pratique est largement répandue à l’étranger. En Irlande, par exemple, il n’est possible de faire une demande de nationalité que trois ans après le mariage. En Norvège, il faut attendre deux ans de vie commune pour pouvoir faire une demande entrant dans un régime simplifié. Ces règles n’existent pour l’instant pas en Russie.
- En analysant les procédures d’autorisation dans le cadre des migrations intérieures, il est impossible de ne pas porter attention à la question de l’enregistrement. Rappelons qu’après la chute de l’Union soviétique et pratiquement jusqu’à la fin des années 90, un régime très strict et contraignant d’enregistrement est resté en vigueur. Puis les mécanismes se sont petit à petit libéralisés pour passer d’un régime d’autorisation à un régime de simple déclaration de lieu de résidence. La dernière étape, à ce jour, est le renforcement du régime d’enregistrement du lieu de résidence en 2011-2012.
On notera que les mesures prises concernant la procédure d’enregistrement se fondent, essentiellement, sur la nécessité pour l’Etat de remplir ses fonctions dans les domaines de la défense et de la sécurité, de la garantie de la légalité et de l’ordre, mais également en vue de garantir l’exécution par les gens de leurs obligations. En ce sens, l’information concernant le lieu de résidance des individus est nécessaire pour les services de l’armée (l’appel pour le service militaire), pour les services fiscaux, dans le cadre du processus électoral, pour l’enregistrement des moyens de transport. Ces informations sont également incontournables dans le cadre processuel, car la plupart des actions en justice tiendront compte du lieu de la résidence d’au moins une des parties. Par ailleurs, ces informations sont également nécessaires pour que les citoyens puissent avoir recours aux différentes aides sociales, la réalisation de leur droit au logement, qui dépendent des Sujets de la Fédération et des municipalités.
Il est évident que l’exécution efficace par l’Etat de ses fonctions nécessite une information exacte sur le lieu de résidence des citoyens. C’est en ce sens que des mesures renforçant les moyens de contrôle sont adoptées ces derniers temps. Toutefois, l’amélioration de l’efficacité du système d’enregistrement ne peut s’accompagner uniquement de mesures répressives, mais il doit également s’appuyer sur l’exécution spontanée de leurs obligations par les individus.
Ainsi, il n’est possible d’enregistrer son lieu de résidence que dans des établissements ou dans des habitations individuelles, alors que le lieu de domiciliation ne peut être enregistré que dans des lieux d’habitations.[11]
Le système d’enregistrement ne peut donc concerner les individus qui n’ont pas de lien juridique avec une habitation concrète ou un établissement concret. Ces individus n’ont ni enregistrement de résidence, ni enregistrement de domicile et ne peuvent l’obtenir. Cela arrive, par exemple, dans la période entre la vente d’un bien immobilier et l’acquisition d’un autre ou encore dans les nouvelles constructions lorsque pour une raison ou pour une autre il n’est pas possible d’établir le droit de propriété pendant une longue période.
Il semblerait utile aujourd’hui d’élargir le nombre d’endroits dans lequel une personne peut s’enregister, en tout cas en ce qui concerne la résidence. Il serait également bon de ne pas faire d’exception uniquement pour les populations qui ont un mode de vie semi ou totalement nomade. Cela permettrait à des personnes qui ne peuvent objectivement enregistrer de lieu de résidence ou de domiciliation de pouvoir quand même remplir leurs obligations d’enregistrement. Ce qui permettrait à cette institution de réaliser son but principal, à savoir l’établissement du lieu de résidence réelle des individus.
Il est possible d’evisager un régime différencié d’enregistrement, simplifié lorsque le lieu est un lieu d’habitation. Des spécificités sont envisageables quand : les personnes n’ont pas de lieu d’habitation en propriété ou sur le fondement d’un autre droit (par exemple SDF) ; les personnes vivent réellement dans les lieux qui ne sont pas des lieux d’habitation ou des biens immeubles ; les personnes ont un travail saisonnier ; etc.
[1] Le transfert interne à l’entreprise peut servir de fondement pour l’entrée temporaire des personnes qui ne sont pas citoyens de la Fédération de Russie, sous réserve du critère du but de l’entrée sur le territoire, à savoir, lorsqu’un ressortissant étranger pénètre dans les buts suivants: 1) la fourniture de services grâce à un intermédiaire commerciale sur le territoire de la Fédération de Russie pour une durée de trois ans avec une extension possible, à condition que les personnes concernées : soient considérées comme des membres clés du personnel ; soient temporairement transférés à un intermédiaire commerciale établi sur le territoire de la Fédération de Russie, sous la forme d’une filiale, d’une structure associée ou affiliée d’un autre membre du groupe, qui effectue ce transfert interne de personnels, qui en pratique sont impliqués dans la fourniture de services liés à la Fédération de Russie ; au moins un an au cours de la période précédant immédiatement le transfert interne à l’entreprise, a été embauchée la personne morale qui exerce le transfert interne, et 2) représenter les intérêts de la personne morale d’un autre pays membre de l’OMC, qui exerce ce tranfert interne à travers la structure commerciale sur le territoire de la Fédération de Russie pour une durée maximale allant jusqu’à trois ans avec une extension possible, à condition que les personnes concernées : exercent une fonction de direction de la représentation commerciale ou travaillaient comme dirigeant de la personne morale ressortant d’un autre pays membre de l’OMC, qui exerce ce transfert interne ; sont temporairement transférés à un bureau dans la Fédération de Russie ; si pendant au moins un an lors de la période précédant immédiatement le transfert interne à l’entreprise, ils ont été embauchés par la personne morale qui exerce le transfert interne. Dans le cas d’un transfert interne, le nombre total d’individus, y compris le chef de la mission, ne doit pas dépasser cinq employés, et à l’égard des activités bancaires – pas plus de deux .
[2] La notion de personnel-clé, conformément au protocole sur l’adhésion de la Fédération de Russie à l’Accord de Marrakech, reconnaît les catégories suivantes: ceux qui travaillent à des postes élevés dans la représentation commerciale visée (à savoir une filiale ou une succursale) ; ceux qui exercent la gestion de cette représentation commerciale principalement sous la supervision générale, ou recevant des conseils, du conseil d’administration, des actionnaires ou leur équivalent; ceux qui travaillent dans cette représentation commerciale (filiale de la société ou une filiale associée), et ayant un niveau élevé de compétences et / ou des compétences exceptionnelles, essentielles à la prestation de services dans la représentation commerciale.
[3] Le régime des thèses en Russie se différencie entre la première thèse et la seconde thèse – thèse d’Etat.
[4] Cela concerne notamment le système actuel des quotats lors de la délivrance des titres temporaires de séjour pour les citoyens étrangers ou apatrides, un système simplifié n’étant prévu que dans certains cas précis.
[5] Décision de la CEDH Abdulaziz, Cabales and Balkandali v. United Kingdom, Series A, N 94, p. 34, § 68; {Gul} v. Switzerland, Reports 1996-I, p. 173, § 38.
[6] Décision de la CEDH Gill v. Switzerland. Reports 1996-I, pp. 174 – 175, § 38; Boultif v. Switzerland, жалоба № 52473/00, ECHR 2001-IX, § 39
[7] Moustaquim v. Belgium. Series A, N 193, p. 18, § 36.
[8] Voir l’article 9 de la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant
[9] Berrehab v. Netherlands, Series A, N 138, p. 15, § 21.
[10] Ces règles concernent également les titres de séjour temporaires, voir la décision de rejet de la Cour constitutionnelle du 2 mars 2006 n° 55-0
[11] Le terme de lieu d’habitation, utilisé dans la loi fédérale du 25 juin 1993 concernant le droit des citoyens russes à la liberté de déplacement, du choix de résidence et de doiciliation dans le cadre de la Fédération de Russie, est défini par le Code d’habitation : un espace est considéré comme un lieu d’habitation lorsqu’il existe un espace isolé, qui constitue un bien immeuble adapté à la vie courante et permanente des citoyens (correspond aux normes sanitaires et techniques).
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