Le droit administratif français
Conférence de M. le professeur Pontier lors du colloque sur le droit administratif en France et en Russie. Présentation du système français.
Le droit administratif est d’abord un droit ancien. On a eu beaucoup trop tendance à présenter le droit administratif comme un droit issu des principes de la Révolution, et qui a pu se développer sous le Premier Empire. Sans doute cela n’est pas entièrement faux, les nouvelles conceptions qui se sont affirmées au moment de la Révolution vont retentir sur le droit administratif et le modeler. Mais ce droit est bien antérieur à la Révolution.
Il a existé, dès le 12ème siècle, des règles particulières à certains domaines, notamment en ce qui concerne les diverses « polices » qui s’exercent (par exemple la police des grains, c’est-à-dire des denrées qui, à l’époque, étaient assez rares et donc étaient réglementées), et en ce qui concerne le domaine public. Ces règles étaient certes un peu éparses mais, plus tard, le Conseil d’Etat a pu s’appuyer sur elles pour construire sa jurisprudence.
Par ailleurs il ne faut pas oublier une autre source importante du droit administratif, le droit canonique. Il avait prévu un recours que pouvaient intenter les membres du clergé contre les évêques et ce recours a été l’inspirateur du recours pour excès de pouvoir, qui est l’une des constructions les plus remarquables du juge administratif.
Précisément le droit administratif présente une autre caractéristique très souvent relevée, le fait qu’il est un droit prétorien, c’est-à-dire un droit énoncé par le juge dans son prétoire. Ce trait est assez remarquable, car il différencie le droit administratif du droit privé, notamment du droit civil, et il paraît aller à l’encontre de cette tradition de droit écrit qui caractérise la France.
Ce juge administratif a inventé progressivement des règles applicables aux relations entre l’administration et les citoyens car, conscient de la nécessité de préserver l’intérêt général, il a eu l’intuition que les règles du droit privé, notamment du droit civil, ne permettaient pas de répondre de manière satisfaisante à ce besoin de concilier les droits des administrés avec ceux de l’administration, de l’Etat. C’est cela qu’affirme clairement, pour la première fois, la décision Blanco, en 1873, et qui est une sorte de récapitulation d’arrêts intervenus auparavant.
Un autre trait remarquable de ce droit est que, un siècle et demi après, cette jurisprudence présentait une grande cohérence. Et certains développements jurisprudentiels, par exemple les principes généraux du droit, peuvent être analysés comme une création tout à fait remarquable du juge administratif. Il apparaît donc que l’on ne peut pas parler, pour la France, du droit administratif sans parler du juge administratif. La disparition du juge administratif n’entraînerait certes pas la disparition du droit administratif, mais l’histoire du droit administratif est incompréhensible sans la référence au juge administratif, et les transformations du droit administratif ne peuvent être pensées indépendamment du juge administratif.
Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé, et rapidement. Les défis auxquels sont confrontés le juge administratif et le droit administratif sont multiples. Mais il ne faudrait pas trop rapidement en déduire, comme certains sont tentés de le faire, que le droit administratif recule par rapport à d’autres droits. On constate simultanément des avancées et des reculs, tout dépend des domaines que l’on prend en considération. Ce qu’il importe de mettre en évidence, semble-t-il, ce sont les caractéristiques du droit administratif aujourd’hui. De ce point de vue, deux traits semblent pouvoir être retenus : d’une part, le droit administratif est étroitement lié aux transformations de l’action publique, d’autre part, ce droit est devenu un droit de la protection des citoyens.
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