Les lois françaises sur les fausses nouvelles : une fausse « bonne » nouvelle ?
Les lois organiques et ordinaires du 22 décembre 2018, relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, tant décriées, tout juste applicables pour les élections au Parlement européen du 26 mai 2019, ont pour objectif de lutter contre la manipulation de l’information et à contenir la diffusion de fausses informations en période de campagne électorale afin que les citoyens ne soient trompés ou manipulés dans l’exercice de leur vote par la diffusion massive de telles nouvelles. L’objectif affiché est d’assurer la clarté du débat électoral et le respect du principe de sincérité du scrutin.
Ces lois s’inscrivent dans un récent phénomène massif de propagation de fausses informations qui, loin d’être nouveau, s’est considérablement développé à l’ère numérique. L’expression « fake news », ou en français « infox », contraction de « information » et « intoxication » a été popularisée par Donald Trump. Les informations fallacieuses font aujourd’hui partie intégrante des campagnes électorales dans le monde. Durant la campagne présidentielle américaine de 2016 les fake news ont largement été utilisées par le candidat Trump contre sa rivale démocrate et relayées par les réseaux sociaux[1] ou certaines chaines de télévision. De même, les fausses informations ont largement inondé la campagne électorale française pour l’élection à la Présidence de la République de 2017 et se sont multipliées à l’approche du scrutin. A titre d’exemple, Marine Le Pen a ainsi pu relayer une fausse rumeur, partagée des milliers de fois en quelques heures, sur l’existence d’un compte bancaire d’Emmanuel Macron au Bahamas ou encore affirmer que sa campagne électorale était financée par l’Arabie Saoudite… Peu après son élection, le Président Macron, en présence de Vladimir Poutine, a reproché à deux médias détenus par l’Etat russe (Russia Today et Sputnik) d’avoir propagés de fausses nouvelles pendant la campagne en tentant d’influencer l’issue de l’élection[2].
De nombreux Etats ont connu des phénomènes similaires, accentués en période de dispute électorale et, à l’invitation de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, se sont dotés de législations anti-fake news[3], qu’il conviendraient certainement d’harmoniser en raison de la logique transfrontalière du phénomène. Il faut également préciser que certains médias soumis à des obligations déontologiques ont mis en place des outils de fact-checking afin de décoder les vraies des fausses nouvelles.
Mais ce nouveau dispositif français fait l’objet de vives polémiques. A ce titre, en avril 2019, le réseau social « Twitter » a appliqué de manière rigoriste ce nouvel arsenal législatif en empêchant la diffusion d’une campagne de sensibilisation du ministère de l’Intérieur afin d’inciter les internautes à s’inscrire sur les listes électorales pour les élections européennes. « Twitter » a estimé, dans un premier temps, que la campagne risquait d’enfreindre la nouvelle loi française contre les fausses informations pour se raviser quelques jours après[4]. Cet exemple montre toute la difficulté d’application de ce nouveau dispositif législatif, souvent qualifié d’inutile et portant atteinte, pour certains, à la liberté d’expression, précieuse dans une démocratie en période électorale.
Tout d’abord, ces lois ont pu être considérées comme inutiles et superfétatoires[5]. En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse permet de punir la propagation de fausses informations lorsqu’elles sont susceptibles de troubler « la paix publique » ou, encore, institue un droit de réponse pour une personne mise en cause dans une publication. De même, l’article L 97 du Code électoral dispose que « ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros ». Par ailleurs, les recours en diffamation ou contre les atteintes à la vie privée permettent, de manière générale, de lutter contre certaines fausses informations et, si les faits sont avérés le juge civil des référés peut être saisi. Cependant, ces derniers recours sont rendus compliqués par le fait que, très souvent, les rédacteurs d’une fausse nouvelle se sont pas identifiables.
Ensuite, les lois organiques et ordinaires du 22 décembre 2018 ont pu être très critiquées, notamment dans leur philosophie consistant à porter atteinte à la liberté d’information en pleine période électorale pendant laquelle la confrontation des idées et des opinions constitue un élément essentiel du débat démocratique. Sur ce point, le Conseil constitutionnel, dans deux décisions du 20 décembre 2018[6], a pu déclarer ces lois conformes à la Constitution française en rappelant que « la liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique et au cours des campagnes électorales. Elle garantit à la fois l’information de chacun et la défense de toutes les opinions mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d’y répondre et de les dénoncer »[7]. Les Sages ont assorti leurs décisions de conformité de nombreuses réserves au point qu’il est possible de se demander comment ces lois pourront être appliquées.
Cet ensemble législatif met en place deux versants essentiels que sont la création d’une procédure de référé devant le juge civil pour faire cesser une fausse information dont l’applicabilité semble hasardeuse (I) et un nouveau devoir de coopération, très incertain, de certains médias en matière de lutte contre les fausses informations(II).
I. Un nouveau référé à l’applicabilité hasardeuseUne nouvelle voie de référé instaurée devant le juge civil vise à « faire cesser la diffusion artificielle et massive, par le biais d’un service de communication au public en ligne, de faits constituant des fausses informations ». Ce nouveau recours engendre deux complications tenant à son efficacité et à la délimitation de la notion de fausse information.
A. La difficulté de l’efficacité du référé pour faire cesser la fausse informationLa nouvelle action en référé, qui a été circonscrite sur le fond et le temps, est critiquable dans la mesure où elle permet au juge d’aller à la fois vite et à la fois trop lentement pour faire cesser l’information fallacieuse circulant sur internet.
L’action en référé s’applique uniquement aux élections de portée nationale c’est à dire pour les élections présidentielles, législatives, sénatoriales, européennes et pour les opérations référendaires d’envergure nationale. Aussi, les élections locales ne sont pas concernées. La volonté du Parlement français a clairement été de restreindre la lutte contre les fake news pour les élections considérées comme majeures et concernant les candidats à ces fonctions électives. L’action est également limitée dans la période pré-électorale et électorale de 3 mois précédant le premier jour des élections générales et jusqu’à la date du tour de scrutin ou celles-ci sont acquises (pour les scrutins à 2 tours).
Le juge unique des référés, qui est la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, spécialisée en droit de la presse, a 48 heures pour se prononcer à compter de la saisine. Ce délai est à la fois long et court. Il est long car, sur internet, la viralité de l’information peut être très importante. Le Conseil d’Etat dans son avis, publié, du 19 avril 2018[8] indique que « la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, risque d’intervenir trop tard, eu égard à la vitesse de propagation des fausses informations, voire à contretemps, alors même que l’empreinte de ces informations s’estompe dans le débat public ». A ce titre, comme le relève Roseline Letterron, « le Conseil constitutionnel aurait pu trouver, dans ces propos, un fondement juridique pour un test de proportionnalité en censurant la loi comme manifestement inappropriée à l’objectif poursuivi »[9] mais il n’a pas suivi ce chemin.
Le délai est trop court car, sauf pour ce qui concerne les informations minoritaires dont la fausseté serait patente, on ne voit pas comment le juge pourra en deux jours différencier une information diffusée de manière erronée, sans intention de nuire, d’une réelle fausse nouvelle répandue sciemment. Par ailleurs et en matière de preuve, le demandeur devra prouver négativement l’information et il risque d’être confronté à la quasi impossibilité de le faire. Comment prouver, par exemple, qu’on ne possède pas de compte offshore ? Finalement, les actions classiques en diffamation peuvent apparaître plus pertinentes en la matière.
En outre, le juge des référés, s’il parvient à se forger une conviction, se voit doté d’importants pouvoirs à l’encontre des personnes physiques ou morales. Il peut, par exemple, supprimer un contenu et interdire sa remise en ligne, fermer le compte d’un utilisateur, bloquer l’accès au site internet, prononcer le déréférencement d’un site, etc. Mais, eu égard aux contraintes énoncées, pourra t-il vraiment se servir de ces outils? D’autant, qu’il a à surmonter une autre difficulté de taille qui est la qualification de la fausse information.
B. La difficulté de la délimitation de la fausse information influençant l’issue du scrutinLa définition de la fausse information est capitale et relève de la gageure[10]. Elle est pourtant essentielle dans l’opération de qualification juridique opérée par le juge. Le législateur considère qu’il s’agit « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir, (…) diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution cette définition de la fausse information mais en l’assortissant de nombreuses réserves tendant à limiter son champs d’application.
En premier lieu, il juge que la procédure de référé ne peut viser que « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir ». Sur ce point, il est tout à fait possible d’admettre une limitation de la liberté d’expression au nom de la sincérité du scrutin, que le juge constitutionnel rattache pour la première fois à l’article 3 de la Constitution. La Cour européenne des droits de l’homme a pu juger dans un arrêt du 6 septembre 2005, Salov c/Ukraine, que le fait de fournir des informations authentiques constitue, en période électorale, un but légitime dans une société démocratique conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. En revanche, on voit très mal le juge judiciaire, peu habitué à ce type de questions, se prononcer sur l’impact d’une fausse information sur la sincérité du scrutin qui n’a pas eu lieu. En effet, les juges constitutionnel et administratif, juges électoraux en France, se prononcent toujours a posteriori, lorsque le résultat de l’élection est connu et quand un candidat le conteste. L’appréciation se réalise au vue de l’écart de voix existant entre les candidats qui peut, s’il est faible, entraîner l’annulation de l’élection notamment en cas de manœuvres frauduleuses.
En deuxième lieu, le Conseil Constitutionnel précise que les allégations visées par la loi « ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective ». Par cette réserve, le Conseil s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour qui la liberté d’expression ne laisse guère de place à des restrictions dans le domaine du discours politique, sauf discours de haine[11]. De plus, cette notion retenue de fausse information apparaît cohérente avec la distinction qu’opère la Cour européenne entre les jugements de valeur qui, sauf exception, sont impossibles à prouver et qui peuvent porter atteinte à la liberté d’opinion et les déclarations de faits, dont la matérialité doit pouvoir se vérifier[12]. En cela, la fausse nouvelle est celle qui va être mensongère, erronée ou inexacte et dont la matérialité des faits est prouvable même si la preuve apparaît bien compliquée à trouver en matière de fake news. Autrement dit, la notion de vérité est abstraite et teintée d’une très grande subjectivité contrairement aux faits, objectifs, concrets, plus simples à décrire et à prouver même si le juge sera certainement confronté à un vrai casse-tête de qualification !
En troisième lieu, pour les Sages « seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée ». Le caractère cumulatif de ces conditions signifie que « le dispositif ne vise pas les militants ou les candidats en tant que tels, mais les processus artificiels ou automatiques relevant d’une stratégie de déstabilisation de masse, les « bots » ou la publicité »[13].
Force est donc de remarquer que le nouveau référé inventé en matière de fausses nouvelles émises en période électorale, détient une applicabilité hasardeuse puisqu’il sera compliqué pour le juge de le mettre en œuvre en parvenant à qualifier une information ayant une influence sur l’issue du scrutin, de surcroit en apportant la preuve objective de sa fausseté. La loi n’en reste pas moins difficile à appliquer s’agissant de son second versant créant un devoir de coopération pour certains médias.
II. Un nouveau devoir de coopération incertain des médias en matière de lutte contre les fausses informationsLe dispositif législatif instaure des nouvelles modalités de coopération des médias afin de lutter contre les fake news qu’ils colporteraient. Aussi, les services audiovisuels contrôlés par un Etat étranger ne participant pas à cette lutte et contribuant à l’inverse à colporter des fausses nouvelles peuvent désormais être sanctionnés par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). De même, de nouvelles obligations de coopération des plateformes en ligne ont été créées. Des incertitudes subsistent sur ces deux points.
A. Les nouveaux pouvoirs du CSA dans le domaine audiovisuelLe nouveau droit prévoit une augmentation des compétences du CSA hors et pendant la même période électorale telle qu’étudiée auparavant.
Tout d’abord, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut rejeter une demande tendant à la conclusion d’une convention si la diffusion du service de radio ou de télévision comporte un risque grave d’atteinte à la dignité de la personne humaine, à la liberté et à la propriété d’autrui, au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à la protection de l’enfance et de l’adolescence, à la sauvegarde de l’ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions. Lorsque la conclusion de la convention est sollicitée par une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou placée sous l’influence de cet Etat, le conseil peut, pour apprécier la demande, tenir compte des contenus que le demandeur, ses filiales, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de celle-ci éditent sur d’autres services de communication au public par voie électronique.
Le Conseil constitutionnel a validé cette nouvelle compétence du CSA qui s’applique même hors période électorale et « il peut sembler surprenant que le domaine des relations extérieures de la France soit géré par le CSA »[14]. En effet, la question primordiale porte sur la légitimité d’une autorité administrative indépendante pour apprécier la notion d’intérêt fondamentaux de la nation. En la matière, le CSA dispose t-il des moyens et du savoir-faire pour s’immiscer dans des considérations de nature diplomatico-stratégiques relevant, de fait, du ministère des affaires étrangères ?
Par ailleurs, durant la période pré-électorale et électorale, le CSA, s’il constate que le service ayant fait l’objet d’une convention conclue avec une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou placée sous l’influence de cet Etat diffuse, de façon délibérée, de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, peut, pour prévenir ou faire cesser ce trouble, soit refuser de conclure une convention si cette interdiction est nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la nation, soit ordonner la suspension de la conclusion de la convention pendant un mois, soit prononcer, après mise en demeure, la résiliation unilatérale de la convention.
Ces nouvelles compétences de « quasi » juge électoral du CSA ont pu être critiquées. Comme le souligne le Conseil d’Etat, « le critère tiré de l’influence exercée sur la personne morale concernée par un Etat étranger apparaît inédit et incertain dans ses contours ». Certes ces nouvelles dispositions ont pour écho l’affaire de l’influence des fausses nouvelles colportées par des médias étrangers durant la campagne présidentielle française de 2017 mais on peut rester perplexe et légitimement se questionner sur la future utilisation de ces nouveaux pouvoirs de sanctions par les membres du CSA qui auront à apprécier l’influence d’une nouvelle diffusée par un média étranger sur une élection à venir. D’autant que le Conseil constitutionnel a précisé que « par symétrie avec les réserves dont il a assorti la validation de celui-ci, il juge que compte tenu des conséquences d’une mesure ayant pour effet de faire cesser la diffusion d’un service de radio ou de télévision en période électorale, les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d’expression et de communication, justifier une telle décision de suspension que si leur caractère inexact ou trompeur ou si le risque d’altération de la sincérité du scrutin est manifeste ». En exigeant le caractère manifeste du caractère inexact ou trompeur de la fausse information et de son risque d’altération sur la sincérité du scrutin, le Conseil constitutionnel restreint largement la liberté d’interprétation du CSA aux fake news énormes. Comme le relève, à juste titre, Manon Altweeg-Boussac, « comment s’assurer de cet éclairage non manifestement trompé ou manipulé des électeurs ? S’agira-t-il de les prémunir contre un mensonge manifeste ? Ou contre l’effet politique, jugé délétère, qui s’en dégage ? Dans le premier cas, les électeurs seraient protégés contre leur propre manque de discernement face à une information que l’on présente pourtant comme objectivement et manifestement fausse, dans le second cas, ils seraient protégés contre leur propension à être consciemment ou non (mais qui pourra le dire ?) touchés par l’intention (et donc sur le terrain de l’opinion ?) politique du message. Le terrain est glissant. La seconde réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel ajoutant que l’altération de la sincérité du scrutin doit, elle aussi, être « manifeste » ne change rien à ce problème. Et l’on perçoit qu’il était stratégiquement difficile d’interdire la diffusion des fausses informations en se fondant uniquement sur le versant récepteur de la liberté de communication, à moins d’entrer dans une introspection délicate des consciences politiques opposant étrangement émetteur et récepteur de l’information politique sous l’arbitrage de nos institutions »[15].
En tout état de cause, les décisions du CSA restent sous le contrôle du juge administratif ce que ne manque pas de rappeler le Conseil d’Etat dans son avis précité.
Encore une fois, donc, l’incertitude règne sur l’utilisation et l’interprétation future des nouvelles prérogatives du CSA.
En outre, prenant acte que l’accès à l’information sur internet a bouleversé le rapport des citoyens au pouvoir politique, le Parlement a renforcé le devoir de coopération des plateformes en ligne en matière de lutte contre les fake news.
B. Le renforcement des devoirs des plateformes en ligneLes fake news pullulent sur les plateformes internet (facebook, twitter, youtube…) durant les périodes d’élection, ce qui nuit à la lisibilité et à la sincérité du débat démocratique. Le Parlement a ainsi entendu leur assigner de nouvelles obligations afin d’amoindrir ce constat. Plusieurs outils ont été pensés.
Tout d’abord, les opérateurs doivent mettre en œuvre des mesures positives de lutte contre les fausses informations. Selon la loi, « ils mettent en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à leurs utilisateurs de signaler de telles informations, notamment lorsque celles-ci sont issues de contenus promus pour le compte d’un tiers. Ils mettent également en œuvre des mesures complémentaires pouvant notamment porter sur : 1° La transparence de leurs algorithmes ; 2° La promotion des contenus issus d’entreprises et d’agences de presse et de services de communication audiovisuelle ; 3° La lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations ; 4° L’information des utilisateurs sur l’identité de la personne physique ou la raison sociale, le siège social et l’objet social des personnes morales leur versant des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général ; 5° L’information des utilisateurs sur la nature, l’origine et les modalités de diffusion des contenus ; 6° L’éducation aux médias et à l’information. Ces mesures, ainsi que les moyens qu’ils y consacrent, sont rendus publics. Chaque opérateur adresse chaque année au Conseil supérieur de l’audiovisuel une déclaration dans laquelle sont précisées les modalités de mise en œuvre desdites mesures ».
Par ailleurs, si les plateformes dépassent un certain nombre de connexions par jour, elles doivent désigner un représentant légal en France et doivent rendre transparents les algorithmes utilisés pour lutter contre les fausses informations.
Le contrôle de ces nouvelles missions appartient au CSA qui dispose essentiellement ici d’un pouvoir de recommandation et non de sanction.
Ces nouvelles règles ont pu faire l’objet de critiques. Outre celles concernant l’érection du CSA en tant que nouveau régulateur des fake news, ce sont surtout celles provenant du Conseil d’Etat qui sont les plus marquantes. En effet, ce dernier a pu alerter le pouvoir politique sur la trop grande liberté laissée aux plateformes dans l’appréciation de la lutte contre les fausses nouvelles. Ces plateformes ne sont, sauf connaissance manifeste, responsables des contenus des informations fausses ou vraies publiées en ligne. Le mécanisme de signalement n’a donc pas pour objet de retirer l’information mais d’informer et d’alerter les internautes. Mais, la responsabilité du signalement reposera sur les utilisateurs et non sur l’hébergeur ce qui peut faire douter de l’efficacité du mécanisme. Aussi, ce nouveau droit « permet hélas difficilement de contraindre les géants du web à d’avantage de responsabilité et de transparence. Seules des mesures prises à l’échelle internationale pourraient y contribuer »[16].
Au final, alors que certaines études démontrent le faible impact des fake news sur le résultat d’un scrutin[17], ces lois françaises sur les fausses nouvelles ne constitueraient-elles pas une « fausse » bonne nouvelle ?
L’objectif de ce dispositif juridique est
louable. Il tente de répondre à la circulation sereine de l’information
objective en période de campagne électorale permettant à l’électeur de se
prononcer en toute conscience, dans son for intérieur, sans être manipulé et
influencé notamment par les réseaux sociaux. Mais, ce nouveau droit des fakes news à la française,
superfétatoire par rapport à la législation existante, pose plus de questions
quant à l’applicabilité hasardeuse du référé créée et sur l’incertitude de la
coopération des médias pour lutter contre les fausses nouvelles qu’il ne répond
de manière fiable à son objectif. De façon plus cynique, on peut se demander si
« ces nouvelles lois protègent les
électeurs contre les émetteurs de fausses informations ou contre leur propre
manque de discernement »[18]. Il aurait été peut-être plus utile de
renforcer la législation existante ou encore de proposer une mesure au niveau européen
car les fausses nouvelles ne s’arrêtent pas au frontières des Etats comme
l’avait affirmé une célèbre fake news
française colportée sur le nuage de pollution provenant de la centrale nucléaire
de Tchernobyl ! Mieux, comme l’indiquent
de nombreux experts, la lutte contre les fausses informations passe avant tout
par une éducation citoyenne aux médias. Au lieu de nourrir le concept de fake news, en cette ère annoncée de
post-vérité, il conviendrait certainement mieux de réfléchir sur les causes du
trouble informationnel actuel[19]
afin de lutter efficacement contre les fausses informations.
[1] I. FASSASSI, « Les effets des réseaux sociaux dans les campagnes électorales américaines », Les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°57, 2017, p. 69.
[2] Conférence de presse conjointe au Château de Versailles du 29 mai 2017.
[3] Sur ce point, voir le rapport très complet de l’Observatoire européen de l’audiovisuel du 13 septembre 2018, « Comment l’Europe lutte-t-elle contre les #fakenews (fausses nouvelles) ? , Les reportages dans les médias, des faits, rien que des faits ? ».
[4] Le 4 avril 2019, Twitter a publié le communiqué suivant : « Promouvoir et protéger l’intégrité des #EUelections2019 est au coeur de notre mission pour les prochains mois. Il s’agit notamment d’encourager la participation des électeurs. Suite à la loi ‘Manipulation de l’information’, nous avons décidé d’interdire toute publicité ciblée en France dont les campagnes appelant à aller voter. Après de nombreux échanges, nous avons décidé d’autoriser désormais les publicités encourageant la participation électorale ».
[5] En ce sens : C. BIGOT, « Légiférer sur les fausses informations en ligne, un projet inutile et dangereux », Dalloz, 15 février 2018, n°6.
[6] Conseil constitutionnel, 20 décembre 2018, n°2018-773 DC, n° 2018-774 DC.
[7] Ibid., par. 22.
[8] Conseil d’Etat, Ass. Gen., 19 avril 2018, Avis sur les propositions de loi relatives à la lutte contre les fausses informations, par. 18.
[9] R. LETTERRON, Blog juridique « Liberté, libertés chéries », post du 22 décembre 2018.
[10] T. HOCHMANN, « Lutter contre les fausses informations : le problème préliminaire de la définition », RDLF, 2018, Chron. n°16.
[11] Cour EDH, 9 janvier 2018, Meslot c/France et Cour EDH, 21 juillet 2009, Féret c/ Belgique.
[12] Cour EDH, 27 mai 2001, Jérusalem c/ Autriche.
[13] R. RAMBAUD, « Lutter contre la manipulation de l’information », AJDA, n°8, 2019, p. 453, p. 458.
[14] R. LETTERON, op.cit.
[15] M. ALTWEGG-BOUSSAC, « Vérité et sincérité v. liberté politique. Quelques observations sur le dispositif anti-fake news en période électorale », blog Juspoliticum, 21 mars 2019.
[16] D. DE BELLESCIZE, « Fake news : une loi polémique qui pose plus de questions qu’elle n’en résout », Constitutions, n°4, p. 559, p. 569.
[17] V. J. HARSIN, « Un guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie », Pouvoirs, 2018, n°164, p. 99.
[18] M. ALTWEGG-BOUSSAC, « Vérité et sincérité v. liberté politique. Quelques observations sur le dispositif anti-fake news en période électorale », blog Juspoliticum
[19] N. VANBREMEERSCH, « De quoi les fake news sont-elles le nom ? », Le Débat, 2018, n°200, p. 15-16.
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