L’impact de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale
La prescription se définit, juridiquement, comme un « mode d’acquisition ou d’extinction d’un droit par l’écoulement d’un certain laps de temps et sous les conditions déterminées par la loi »[2]. La prescription de l’action publique peut ainsi se définir comme la durée au-delà de laquelle l’action en justice n’est plus recevable. En d’autres termes, il existe certains délais à l’expiration desquels des poursuites pénales relatives à la commission d’une infraction ne peuvent plus être exercées. La loi portant réforme de la prescription en matière pénale en date du 27 février 2017[3] est intervenue pour modifier lesdits délais.
Outre des délais de prescription de l’action publique fixés, force est de constater que le point de départ de ces délais ne l’est pas ; ou du moins ne l’étaient pas. En effet, si dans la loi, jusqu’à la réforme de 2017, les délais de prescription de l’action publique – de droit commun – commençaient à courir à compter du lendemain du jour de l’infraction, la chambre criminelle de la Cour de cassation, depuis 1935, n’a pas hésité à reporter le point de départ du délai de prescription de l’action publique en ce qui concerne les infractions occultes et clandestines par nature, sans jamais les définir. Une infraction sera considérée comme dissimulée si son auteur accomplit délibérément des manœuvres entrainant la découverte de l’infraction impossible. L’infraction occulte est une infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni de l’autorité judiciaire. Par ailleurs, en ce qui concerne les causes d’interruption et de suspension du délai de prescription, la chambre criminelle a interprété les dispositions souvent floues du Code de procédure pénale afin que les auteurs d’infractions pénales normalement prescrites n’échappent pas à la sanction. L’interruption de la prescription signifie que lorsque survient la cause d’interruption, le délai de prescription repart de zéro. La suspension de prescription ne fait pas repartir le délai à zéro, le temps qui s’est écoulé jusqu’au moment où intervient la cause de suspension est pris en compte dans le calcul du délai. Cependant, l’écoulement du délai de prescription cesse pendant toute la durée de l’évènement. Ainsi, la jurisprudence, afin de ne pas assurer l’impunité des auteurs de certaines infractions prescrites, n’hésitait pas à créer un arsenal juridique reportant le point de départ du délai de prescription qui, finalement, s’avérait être contra legem. Des députés ont alors déposé une proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale[4], ce qui a donné lieu à la loi du 27 février 2017. Cette loi ne comporte, certes, que cinq articles, mais ses conséquences sont inversement proportionnelles à sa taille ; fournissant aux juges, des outils considérables.
Ainsi, étant à la recherche d’une plus grande sécurité juridique et d’une meilleure répression des auteurs d’infractions, la loi portant réforme de la prescription en matière pénale a significativement augmenté les délais de prescription de l’action publique (I) et en a également modifié les modalités de computation (II).
I) Les modifications significatives des délais de prescription de l’action publique dans un objectif de répression
La loi du 27 février 2017 met en place des changements ambitieux concernant les délais de prescription de l’action publique des crimes et des délits. En effet, l’article premier de la loi porte le délai de prescription de l’action publique des crimes à vingt ans (A) et double le délai de prescription de l’action publique des délits, le faisant ainsi passer de trois ans à six ans (B).
A) L’allongement des délais de prescription de l’action publique des crimes
L’article 7 alinéa premier du Code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 février 2017 disposait qu’« en matière de crime et sous réserve des dispositions de l’article 213-5 du code pénal, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite ». Le délai de prescription de l’action publique des crimes était donc de dix ans. Le législateur du 27 février 2017 a pris le parti de modifier l’alinéa premier de l’article 7 du Code de procédure pénale dans son intégralité. En effet, désormais, celui-ci dispose que « L’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise ». Ainsi, le délai de droit commun de prescription de l’action publique, pour les crimes, est de vingt ans, c’est-à-dire le double de ce qu’il était. Concernant la forme, il convient de souligner qu’en termes d’intelligibilité et de clarté, des progrès ont été fait par rapport à la rédaction antérieure qui renvoyait à l’article 213-5 du Code pénal.
Les arguments en faveur d’une augmentation du délai de prescription de l’action publique des crimes étaient divers. En effet, le rapport sur la proportion de loi portant réforme de la prescription en matière pénale souligne notamment que l’article 7 du Code de procédure pénale, à l’époque en vigueur, était un « héritage de l’article 637 du Code de l’instruction criminelle de 1808 » et qu’ainsi, « la prescription décennale apparaît aujourd’hui obsolète »[5]. Le délai alors fixé par l’article 7 du Code de procédure pénale était inadapté aux attentes de la société quant à la répression des infractions les plus graves. En outre, d’importants progrès scientifiques ont été réalisés dans les domaines notamment de l’exploitation de l’ADN et de la conservation des scellés criminels. Enfin, l’espérance de vie a nettement augmenté depuis le jour où le délai de dix ans a été mis en place.
En effet, le délai de prescription de dix ans paraissait bref et notamment au regard de la longueur des procédures. L’encombrement des cabinets des juges d’instruction est une réalité. Il est ainsi probable que, grâce à cette disposition, un plus grand nombre de crimes soit élucidés. Pour autant, il est également possible que, du fait que les juge d’instruction et la justice de façon plus générale, disposant d’un délai plus important, les procédures se rallongent encore ; ce qui serait préjudiciable aux justiciables au regard des procédures qui sont, d’ores et déjà, bien lentes. D’autre part, une difficulté matérielle semble aussi se poser. Le délai de prescription de l’action publique des crimes étant porté à vingt ans, cela signifie que l’ensemble des pièces à conviction retrouvées sur les scènes de crimes devront être conservés pendant vingt ans, même lorsque l’affaire est classée. Il faudra donc probablement trouver de nouveaux locaux, ce qui devrait représenter une nouvelle charge pour le budget de la justice. Il semble légitime de penser que les conséquences pourront aller au-delà d’une simple augmentation théorique des délais de prescription de l’action publique.
Cela étant, cette nouvelle disposition permettrait de faciliter la répression des infractions criminelles. Également, porter le délai de prescription de l’action publique des crimes à vingt ans conduit à aligner celui-ci sur le délai de prescription applicable aux peines criminelles, ce qui est une victoire pour la lisibilité des dispositions régissant la matière pénale. Enfin, il semble qu’en terme de droits fondamentaux, aucune difficulté ne soit à soulever. C’est d’ailleurs ce que rappelle le Conseil d’État dans son avis concernant cette proposition de loi. En effet, ce dernier a précisé que cette modification du droit « ne traduit pas un déséquilibre, entre les nécessités de la répression, d’une part, et les exigences de sécurité juridique et de conservation des preuves propres aux faits que réprime la loi pénale, d’autre part, qu’il soit de nature à soulever une question prioritaire de constitutionnalité »[6].
B) Le doublement des délais de prescription de l’action publique des délits
L’alinéa premier de l’article 8 du Code de procédure pénale disposait, avant la réforme, qu’« en matière de délit, la prescription de l’action publique est de trois années révolues ; elle s’accomplit selon les distinctions spécifiées à l’article précédent ». La nouvelle loi a fait le choix de modifier l’alinéa premier. En effet, désormais, cet article dispose que « L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise ». Ainsi, le délai de droit commun de prescription de l’action publique, pour les délits, est de six ans, c’est-à-dire qu’il y a finalement un doublement.
Les députés ont ainsi estimé qu’un allongement des délais de prescription de l’action publique pour les délits était souhaitable. Certes, il apparaît opportun d’augmenter les délais de droit commun de la prescription de l’action publique en ce qui concerne les délits puisqu’ils apparaissent effectivement comme étant relativement brefs. Cela étant, un problème semble se poser au regard de l’extrême diversité d’infractions qui sont regroupés dans la catégorie des délits. Il peut en effet paraître peu modéré de permettre de poursuivre un individu qui s’est opposé à l’exécution de travaux publiques, six ans après la commission des faits[7]. Également, accepter qu’un commerçant dépose une plainte pour le délit de filouterie[8] cinq ans et demi après la commission des faits semble un peu excessif au regard de la gravité de l’infraction. Pour autant, il est incontestable que le délai de trois ans, pour les délits les plus graves, est insuffisant. Il convient par exemple de penser aux agressions sexuelles[9]. La gravité des infractions est inégale ; le degré de difficulté pour dénouer ces affaires est sensiblement différent et les niveaux de répression sont également très éloignés. La solution qui consiste à adopter deux délais de prescription de l’action publique différents en fonction de la gravité des délits a pourtant été envisagée par les rédacteurs de la proposition de loi. C’est d’ailleurs ce système qui est appliqué dans certains pays voisins tels que l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Portugal. Cependant, et c’est la raison pour laquelle cette possibilité n’a pas été concrétisée, dédoubler les délais de prescription des délits complexifierait la situation actuelle. En effet, ils ont décidé d’œuvrer en faveur d’une plus grande clarté et d’une meilleure lisibilité du droit, ce qui ne peut leur être reproché.
Par ailleurs, ce en qui concerne la délinquance astucieuse et notamment le droit pénal des affaires, l’augmentation des délais de prescription de l’action publique des délits semble bienvenue. En effet, il s’agit souvent d’infractions indécelables. Cela étant, comme il s’agit d’infraction dissimulées, le fait de pouvoir retarder le point de départ du délai de prescription aurait pu être suffisant. Enfin, et le rapport de M. A. TOURRET le reconnaît, « le doublement du délai de prescription de l’action publique en matière délictuelle risque de se traduire par une augmentation du nombre des plaintes ou des dénonciations tardives, y compris pour des faits d’une gravité relative ».
II) Les changements relatifs aux modalités de computation des délais de prescription de l’action publique
Au-delà de la simple augmentation des délais de prescription de l’action publique des crimes et délits, la loi du 27 février 2017 consacre législativement le report du point de départ du délai de prescription (A) ainsi que de nouvelles causes de suspension et d’interruption de ce même délai (B).
A) Une évolution majeure en matière de report du point de départ du délai de la prescription
L’alinéa premier de l’article 7 du Code de procédure pénale disposait, en matière de point de départ de la prescription de l’action publique des crimes, que le point de départ de la prescription commençait à courir « à compter du jour où le crime a été commis ». L’article 8 du même Code, portant sur les délits, renvoyait expressément à l’article précédent. À la lecture de ces articles, le principe semblait clair puisque le point de départ du délai de prescription de l’action publique se situait au jour de la commission de l’infraction, sauf dispositions législatives dérogatoires. Cela étant, la mise en pratique de ce principe était complexe, notamment lorsque l’apparition des éléments constitutifs de l’infraction était étalée dans le temps. Le jour de l’infraction doit s’entendre du jour où tous les éléments constitutifs de ladite infraction sont réunis. Lorsqu’il s’agit d’infraction instantanée, c’est-à-dire une infraction qui se déroule en un trait de temps, le point de départ du délai de prescription commence à courir au lendemain du jour où l’infraction a été commise. Il ne semble pas y avoir de difficultés, à l’exception peut-être des cas dans lesquels le résultat de l’infraction apparaît après sa commission. En revanche, pour une infraction continue, c’est-à-dire une infraction dont la consommation suppose une certaine durée, attestant que la volonté délictueuse se prolonge dans le temps[10], la détermination du point de départ du délai de prescription semble confuse. En outre, l’interprétation jurisprudentielle a largement contribué à cultiver la complexité de la détermination du point de départ du délai de prescription de l’action publique. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation n’hésitait pas à décaler le point de départ du délai de prescription de l’action publique afin que les auteurs d’une infraction puissent, malgré une prescription acquise, encourir une sanction. D’autre part, eu égard aux différents types d’infractions, la jurisprudence a pu interpréter le point de départ du délai de prescription en fonction des circonstances de commission. Ainsi, la chambre criminelle a, pour les infraction dites « astucieuses », reporté le point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où l’infraction est apparue, dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Cette interprétation, qu’elle soit justifiée ou non, est née en dehors de tout fondement légal et en contradiction évidente avec l’article 7 du Code de procédure pénale alors en vigueur. Par infraction astucieuse, il fallait entendre, premièrement, les infractions occultes par nature, et deuxièmement, les infractions dissimulées. Pour autant, la frontière entre les deux catégories d’infraction astucieuse ne semblait pas étanche, rendant la théorie jurisprudentielle encore plus complexe. Cette jurisprudence portait atteinte aux exigences de sécurité juridique, d’accessibilité du droit et de confiance légitime. C’est face à un tel contexte que le législateur a estimé nécessaire de prendre des mesures législatives.
La loi en date du 27 février 2017 n’a pas remis en cause la jurisprudence établie, estimant que celle-ci était nécessaire à la répression des infractions et à la poursuite de leurs auteurs. Par ailleurs, fixer invariablement le point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour de la commission de l’infraction aurait « encouragé la délinquance opaque et habile et entravé la répression des infractions les plus ”astucieuses” »[11]. Un nouvel article 9-1 a ainsi été inséré dans le Code de procédure pénale, qui dispose, en son troisième alinéa, que « par dérogation au premier alinéa des articles 7 et 8 du présent code, le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise ». Cette nouvelle disposition aura sans doute vocation à s’appliquer à d’autres infractions, en plus des infractions à caractère économique et financier auxquelles la Cour de cassation a déjà appliqué une telle solution. C’est d’ailleurs ce qu’estime le Conseil d’État lorsqu’il « observe que les définitions de l’infraction occulte et de l’infraction dissimulée […] sont destinées à s’appliquer, s’agissant plus particulièrement des infractions dissimulées, à toutes les infractions »[12].
Concernant les infractions occultes et dissimulées, il convient de souligner que le quatrième alinéa de l’article 9-1 du Code de procédure pénale dispose désormais que « est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire ». Le dernier alinéa de l’article 9-1 du Code de procédure pénale qualifie de dissimulée « l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ». La définition proposée par la loi consacre la jurisprudence élaborée par la Cour de cassation concernant les infractions dissimulée. Pour preuve, le Conseil d’État a observé que « les définitions de l’infraction occulte et de l’infraction dissimulée […] reprennent les principes et raisonnements qui fondent la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière »[13]. Pour autant, un certain nombre de critiques semblent pouvoir être formulées. En effet, tous les types d’infraction pourront revêtir le caractère d’infraction dissimulée ; le Conseil d’État lui-même le concède. À l’exception notable des actes terroristes, il semble qu’un très petit nombre de délinquant agisse au grand jour. L’extrême majorité des infractions semble donc pouvoir alors être englobée dans la définition de l’infraction dissimulée, ce qui reviendrait finalement, en pratique, à porter les délais de prescription à douze ans pour les délits et à trente ans pour les crimes.
B) La consécration de la jurisprudence relative à la suspension et à l’interruption du délai de prescription de l’action publique
La loi modifie significativement les calculs de l’écoulement en ajoutant, notamment, des possibilités d’interrompre le délai de prescription de l’action publique. Si les dispositions antérieures ainsi que la jurisprudence y afférente étaient relativement floues, force est de constater que, désormais, la loi est claire. En effet, le délai de prescription de l’action publique, lorsqu’il a commencé à courir, peut être interrompu par certains actes limitativement énumérés à l’article 9-2 du Code de procédure pénale, créé par la loi du 27 février 2017. Celui-ci dispose que « Le délai de prescription de l’action publique est interrompu par : 1° Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l’action publique […] ; 2° Tout acte d’enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction ; 3° Tout acte d’instruction prévu aux articles 79 à 230 du présent code, accompli par un juge d’instruction, une chambre de l’instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction ; 4° Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s’il n’est pas entaché de nullité. Tout acte, jugement ou arrêt mentionné aux 1° à 4° fait courir un délai de prescription d’une durée égale au délai initial. Le présent article est applicable aux infractions connexes ainsi qu’aux auteurs ou complices non visés par l’un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt ». Ainsi, il peut s’agir d’un acte émanant du ministère public ou de la partie civile, d’un acte d’enquête, d’un acte d’instruction, ou encore d’une décision de justice. Cependant, il apparait clairement que l’ensemble de ces actes poursuivent un seul et même objectif puisqu’ils doivent tendre effectivement à la constatation des infractions ou à la recherche et à la poursuite de leur auteur. Si l’acte ne tend pas effectivement à l’un de ces buts énoncés, il ne pourra pas être qualifié, selon la rédaction du texte, d’acte interruptif de prescription de l’action publique. Si, de façon éparse, la jurisprudence avait déjà conféré à certains de ces actes, un effet interruptif, cette nouvelle définition conduit à actualiser le droit appliqué et à sécuriser la liste des actes interruptifs. En outre, il convient de souligner que les actes interruptifs de prescriptions, outre les effets qu’ils produisent dans le temps, ont également et classiquement des effets à l’égard des individus impliqués dans l’infraction. Les co-auteurs et complices, en vertu du dernier alinéa de l’article 9-2 du Code de procédure pénale, n’échappent pas à cette règle. Ainsi, grâce à cette disposition, l’acte qui ne vise pas directement une personne impliquée dans l’infraction produit, malgré ce, des effets à son égard[14]. Enfin, l’effet interruptif des actes précités s’attache non seulement aux infractions visées stricto sensu, mais également aux infractions connexes.
Contrairement à l’interruption de la prescription de l’action publique, la suspension de prescription ne fait pas repartir le délai à zéro ; le temps qui s’est écoulé jusqu’au moment où intervient la cause de suspension est pris en compte dans le calcul du délai. Cependant, l’écoulement du délai de prescription cesse pendant toute la durée de l’évènement. Si qu’aucune disposition du Code de procédure pénale, avant la loi du 27 février 2017, ne définissait spécialement les cas de suspension du délai de prescription de l’action publique, la Cour de cassation avait retenu une solution inédite dans un arrêt en date du 7 novembre 2014. En l’espèce, l’assemblée plénière devait déterminer si sept des huit infanticides commis par une mère, dans des circonstances exceptionnelles, plus de dix ans avant le premier acte interruptif, avaient acquis la prescription et ne pouvait plus être poursuivis. L’Assemblée plénière, dans cet arrêt, a jugé que « si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ». À l’évidence, « selon l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, la clandestinité des naissances et des morts caractérisait un obstacle insurmontable à l’engagement des poursuites. De ce fait, le délai de prescription s’est trouvé suspendu jusqu’à la découverte des corps. L’Assemblée plénière consacre ainsi un principe de suspension du délai de prescription, en cas d’impossibilité absolue d’engager ou d’exercer des poursuites pour les infractions de nature criminelle. »[15]. Une solution devait être trouvée afin de contourner la prescription de l’action publique de crimes qui portaient à ce point atteinte aux valeurs de la société ; solution qu’a trouvé l’Assemblée plénière en se fondant sur la suspension du délai de prescription de l’action publique dû à un obstacle insurmontable, qui paraît présenter les caractéristiques de la force majeure. Cela étant, comme le souligne M. J. DANET, à aucun moment l’Assemblée plénière ne considère ces meurtres comme répondant à la définition jurisprudentielle des infractions occultes ou dissimulées dont le point de départ du délai de prescription est reporté. Pour autant, les effets pratiques sont sensiblement similaires puisque l’obstacle insurmontable a commencé à exister avant que le délai de prescription de l’action publique des meurtres n’ait commencé à courir.
C’est face à ce contexte que le législateur, par la loi du 27 février 2017, a inséré l’article 9-3 dans le Code de procédure pénale qui consacre la solution jurisprudentielle dégagée dans cet arrêt. En effet, le texte dispose que « Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement de ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription ». Cet article fournit des causes générales de suspension du délai de prescription de l’action publique, à l’image de ce que la jurisprudence a déterminé dans ses arrêts. Il convient de concéder au législateur que la sécurité juridique n’en est que plus assurée, donnant un fondement légal aux règles jurisprudentielles. Comme le souligne le rapport[16], cette nouvelle disposition délimite avec précisions le périmètre des causes de suspension du délai de prescription de l’action publique. Ainsi, l’obstacle devra être soit un obstacle de fait insurmontable ; soit un obstacle de droit, rendant impossible soit la mise en mouvement de l’action publique, soit l’exercice de l’action publique. Cette disposition permet ainsi à la jurisprudence d’appliquer en toute légalité la solution dégagée dans l’affaire dite de l’octuple infanticide[17].
[1] Cesare BECCARIA, Des délits et des peines, éditions DUBOUCHER, 2002, p.44-45
[2] Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, éditions PUF, 2011
[3] Loi n°2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale
[4] Proposition de loi 2931 du 1er juillet 2015
[5] Rapport de M. A. TOURRET sur la proposition de loi de MM A. TOURRET et G. FENECH portant réforme de la prescription e matière pénale, n°2931, p.40
[6] CE, avis, 1er octobre 2015, n°390335
[7] Délit prévu à l’art 433-11 du CP, dont la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende
[8] Délit prévu à l’article 313-5 du CP dont la peine encourue est de six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende
[9] Délit prévu à l’article 222-27 du CP dont la peine encourue est de 7 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende (lorsqu’il n’y a pas de circonstance aggravante)
[10] Op. sid. 3
[11] Rapport sur la proposition de loi (n°2931) portant réforme de la prescription en matière pénal, p.91
[12] CE, avis, 1er octobre 2015, n°390335
[13] Ibidem
[14] Cette solution avait déjà été retenue par la jurisprudence – Cass. crim.,11 juillet 1972, n°72-90.719
[15] Communiqué relatif à l’arrêt n°613 (14-83.739) de l’Assemblée plénière du 7 novembre 2014
[16] Rapport n°3540 sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale (n°2931), p.87
[17] Ass. plén. 7 novembre 2014, n°14-83.739
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