Les standards européens du procès équitable dans les procédures civiles et commerciales en Russie
L’intégration des standards européens dans la législation procédurale civile et commerciale russe a entrainé un grand mouvement de réformes processuelles ces derenières années, mais la pratique judiciaire, ainsi que la délimitation des concepts, pose encore des difficultés.
Il semble que les standards européens du procès équitable ne concernent que le niveau minimal de la protection judicaire garantie pour chaque personne (physique et morale).
Quand on parle du droit à la justice, dans la conception de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, on aborde également le problème de son application, qui comprend les règles générales de procédure judiciaire ainsi que les exigences plus précises pour leur réalisation (par exemple, la motivation des actes judiciaires).
De plus, le mécanisme d’exécution de la Convention européenne des droits de l’homme comprend non seulement l’adoption des principes de cette Convention par les législations nationales mais aussi leur application. Chaque norme européenne prend en considération le contexte propre à chaque Etat. Par exemple, les Etats-membres de la Convention reconnaissent l’importance des audiences publiques, mais ils acceptent également de limiter ce principe pour protéger des intérêts publics et privés (les personnes mineures, les secrets d’Etat). Les Etats-membres ont également l’obligation de contrôler la réalité des droits garantis par ces normes.
C’est pourquoi, la notion de «standard de justice» comprend la procédure judiciaire, l’organisation judiciaire, les conditions de leur application en pratique, les garanties de leur réalisation et leur efficacité dans le droit national.
La nature des standards européens que l’on utilise dans les procédures civiles et commerciales, figure dans les articles 6 et 13 de la Convention.
Il est possible de dégager deux groupes de standards européens de justice : ceux qui se trouvent fixés par la Convention elle-même et ceux qui se dégagent du fait de l’interprétation des normes du procès équitable par le juge. Ce deuxième type de standards n’a pas le statut de source de droit en droit russe, mais cela ne diminue pas son importance pour l’interprétation, le respect des normes de la Convention par les acteurs du système juridique et pour l’exécution de ses obligations conventionnelles par l’Etat. Cette pratique exerce une influence sur le système judiciaire russe, comme source prioritaire d’interprétation et comme exemple d’application des articles de la Convention lors du rendu de la justice.
La Cour Européenne utilise le terme «d’équité de la procédure judiciaire» dans un sens large quand elle évalue les mécanismes de protection judiciaire en général. Dans ce sens, le droit à une justice équitable est interprété comme le doit à une justice correspondant à l’ensemble des standards européens.
Le cadre minimal des standards d’équité de la justice (dans le sens large) pour les procédures civiles et commerciales comprend les normes suivantes:
-l’indépendance et l’impartialité de la cour (du point de vue objectif et subjectif) ;
-la publicité des débats (ouverture du procès pour les participants et pour le public);
– la motivation des actes judiciaires adoptés lors de l’examen de l’affaire par les juridictions nationales ;
-le caractère raisonnable du délai de la procédure (comprenant l’exécution de la décision judiciaire), garantissant la réduction maximale de la période d’insécurité juridique pour les personnes dont les droits et les libertés ont été violés ou restreints;
-la procédure devant être effectuée par des autorités légales et compétentes;
-l’interdiction d’annuler ou de restreindre le contrôle judiciaire pour les affaires où il s’applique;
-l’accès aux autorités judiciaires nationales et la participation à la procédure
-«un juste équilibre», l’égalité des possibilités procédurales pour chaque partie lors d’un procès contradictoire (notamment le droit de participer au procès dans une langue qui soit compréhensible et accessible);
-le respect des conditions de recevabilité des preuves;
-l’exécution effective du jugement prononcé.
Au fondement de la démarche de la Cour européenne des droits de l’homme se trouve la notion d’« équité » du procès comme critère d’appréciation de l’activité de la justice.
Ceci concerne les procédures civiles, pénales et administratives et elle comprend également les garanties d’équité de la procédure judiciaire dans les tribunaux nationaux d’un point de vue dynamique. Cela veut dire que la procédure judiciaire n’est pas considérée comme équitable si elle ne respecte pas de délais raisonnables, si on a des doutes sur son indépendance, si elle n’est pas mise en oeuvre par un tribunal compétent légalement établi, si ce tribunal ne respecte pas les règles de procédure (par exemple, l’existence les audiences publiques), etc. Par contre, le résultat de la procédure judiciaire ne peut être évalué par la Cour européenne des droits de l’homme au regard de l’équité, du fait de la limite des compétences de la Cour.
Chaque Etat est libre de choisir les voies et moyens d’action pour la protection des personnes qui ressortent de sa juridiction, dont les droits ont été violés, notamment en ce qui concerne le procès équitable. C’est pourquoi les normes créées par le Conseil de l’Europe peuvent et doivent être déployées au niveau national, ce qui impose la nécessité d’évaluer la législation nationale.
Le principal moyen de mise en œuvre des standards européens dans la législation russe et la pratique judiciaie est l’intégration dans le système juridique national de l’article 6 de la Convention à la lumière de son interprétation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Ceci exige l’évaluation de la législation portant sur le système judiciaire, les procédures judiciaires et l’utilisation des normes procédurales européennes comme référence pour l’ajustement de l’application des lois. Cela entraîne également un nouveau développement de la doctrine concernant la procédure, notamment en ce qui concerne l’élargissement des frontières du droit à la protection judiciaire.
Toute une série de standards européens a été adoptée par la législation nationale, d’autres découlent du contenu des normes procédurales.
Par exemple, une des missions des juridictions commerciales dans la législation russe est «un procès équitable et public dans des délais raisonnables et par un tribunal indépendant et impartial» (article 2 al.3 du Code de procédure commerciale de la Fédération de Russie).
Le principe constitutionnel des audiences publiques (article 123 de la Constitution de la Fédération de Russie) a trouvé des développements dans les règles de droit procédural qui prévoient le prononcé public des jugements (article 11 al. 8, article 176 al. 1 du Code de procédure commerciale de la Fédération de Russie, article 199 al. 1, article 224 al.3 du Code de procédure civile), la présence du public lors de l’audience (alinéas 1 et 7 de l’article 11 du Code de procédure commerciale, article 10, alinéas 4-5 de l’article 253 du Code de procédure civile, article 12 de la loi fédérale du 22.12.2008 № 262-FZ «De l’accès à l’information concernant le fonctionnement des tribunaux dans la Fédération de Russie»), la publication obligatoire des décisions des juridictions commerciales concernant la contestation des actes normatifs (article 196 du Code de procédure commerciale, article 253 al. 3 du Code de procédure civile), la publication des opinions dissidentes du juge en charge de l’affaire examinée par le Présidium de la Cour supérieure d’arbitrage dans le cadre d’une procédure de Nadzor (contrôle/révision) (article 303 al. 9 du Code de procédure commerciale), l’autorisation du ralliement public de groupes de personnes intéressées pour protéger leurs droits et intérêts légitimes par la publication de l’information dans les médias (article 225.14 al.3 du Code de procédure commerciale) et autres.
Avec cela, le standard européen concerné laisse aux tribunaux nationaux un large pouvoir pour trouver un équilibre entre l’importance des audiences publiques et les intérêts des personnes participant au procès. La Convention prévoit la limitation des audiences publiques quand il s’agit de la morale publique, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, des intérêts des mineurs, de la protection de la vie privée et même à titre d’exception de l’intérêt de la justice (article 6 al.1). Pour sa part, le Code de procédue commerciale prévoit les audiences à huis clos dans l’intérêt de la protection du secret d’Etat, du secret commerciale, de service ou autre secret légalement protégé (article 11 al. 2). D’autres restrictions à la publicité des audiences peuvent exister, si elles sont prévues par la législation fédérale. Dans la procédure civile, il y a aussi des cas particuliers qui interdisent les audiences publiques si l’on estime que la publicité peut empêcher d’avoir une audience correcte, divulguer un secret ou léser les intérêts du citoyen (article 10 al. 2 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie).
Dans le cadre des mesures d’ordre générale prises en vue de la réduction de la violation des délais raisonnables de procédure, beaucoup de modifications ont été apportées à la législation processuelle russe. Il s’agit en particulier de l’obligation du rendu de la justice et de l’exécution des actes judiciaires dans des délais raisonnables (article 2, article 4 al. 1, article 6.1 al.1, article 14 al.3, article 304 al. 2 du Code de procédure commerciale de la Fédération de Russie; article 6.1 du Code de procédure civile), la possibilité pour une personne dont le droit au délai raisonnable de la procédure et de l’exécution des décisions de justice a été violé d’obtenir réparation du préjudice subi (article 1 al.1 de la loi fédérale du 30.04.2010 № 68-F3 « De la compensation pour la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable ou à l’exécution des actes judiciaires dans un délai raisonnable »; article 4 al.1 du Code de procédure commerciale ; article 3 al.1 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie) et la mise en place d’une procédure d’examen de ces plaintes (au niveau national) pour non-respect des délais (Chapitre 27.1 du code de procédure commerciale, chapitre 22.1 du Code de la procédure civile).
Or, malgré ces modifications, la législation russe n’a pas pris en compte toutes les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, la Cour européenne estime que ces normes concernent aussi les procédures préalables au procès, les enquêtes judiciaires dans toutes les instances et l’exécution des jugements[1]. Or l’article 6.1 l’alinéa 3 du Code de procédure commerciale et l’article 6.1 l’alinéa 3 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie disposent que les délais raisonnables de la procédure comprennent la date de réception de la demande au tribunal de première instance jusqu’au jour de la dernière décision concernant l’affaire. Ainsi, la législation nationale limite la procédure judiciaire (dans le contexte des délais raisonnables) exclusivement aux étapes de procès: dépôt de la plainte, préparation des dossiers, jugement et appel du jugement.
De plus, pour la plupart des personnes considérées comme « victimes » dans le sens de la Convention, le système de compensations mis en place en Russie pour la violation du délai raisonnable n’est pas considéré comme un moyen efficace de défense. Les garanties prévues par la législation russe ne concernent pas les cas où l’exécution d’un acte demande une intervention des institutions publiques (et pas seulement les moyens budgétaires de l’Etat). Pourtant, ces situations entraînent une violation des délais raisonnables en matière de protection judiciaire, telle qu’elle ressort de la jurisprudence de la CEDH.
Le standard de l’indépendance des juges, comme fondement de l’activité des organes de justice, est inscrit dans la Constitution de la Fédération de Russie (articles 10, 120-122, 124) et a été développé dans la législation sur le système judiciaire et les procédures judiciaires (article 1 al.2, article 5, article 33 al.1 de la Loi constitutionnelle fédérale « Du système judiciaire de la Fédération de Russie »; article 6, article 46 al.1 de la Loi constitutionnelle fédérale « Des juridictions d’arbitrage de la Fédération de Russie »; al.4 de la Loi constitutionnelle fédérale du 07.02.2011 № 1- LCF « Des juridictions de droit commun de la Fédération de Russie »; article 9, article 10 de la Loi constitutionnelle fédérale « Du statut des juges de la Fédération de Russie »; article 5, article 9, al. 3, article 167 al.3-5 du Code de procédure commerciale; article 8 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie).
Il existe pourtant des divergences entre cette règle européenne et les procédures civiles et commerciales russes. Cette différence concerne les règles de formation des tribunaux et les procédures de révision des décisions effectuées par les instances supérieures.
Le principe de la justice par les tribunaux (ou d’après la Convention, « la justice fondée sur des tribunaux légalement établis») est garanti par la Constitution de la Fédération de Russie (article 118 al.1, article 119, article 47, article 32 al.5), par les Lois constitutionnelles fédérales « Du système judiciaire de la fédération de Russie », « Des juridictions d’arbitrage de la Fédération de Russie », « Des jurdidictions de droit commun de la Fédération de Russie », par la Loi constitutionnelle fédérale « Du statut des juges de la Fédération de Russie », par les Codes en vigueur. Ce principe est décliné dans les normes qui définissent le système judiciaire de la Fédération de Russie, déterminent le régime d’attribution des compétences des juges et les exigences opposables aux candidats à cette fonction, la compétence des différents tribunaux et le droit des citoyens à la participation aux procès.
Pour autant, cette norme européenne prévoit non seulement la composition des tribunaux en fonction de chaque affaire concrète, mais aussi les limites de la compétence des tribunaux. En ce sens, il faut ajouter qu’il existe encore aujourd’hui dans le système judiciaire russe un problème de délimitation des compétences entre les tribunaux de droit commun et les juridictions d’arbitrage (cela concerne certaines affaires telles que celles mettant en jeu des relations de droit public, la protection des droits intellectuels, etc.). Il existe aussi des conflits ds compétences entre les tribunaux d’Etat et les organes non-judiciaires régulant certains confllits (comme les tribunaux d’arbitrage), ce qui empêche toute définition correcte d’un tribunal établie par la loi.
Les principes du contradictoire devant les juridictions de droit commun et les juridctions d’arbitrage, l’égalité de tous devant la loi et la justice, l’égalité des moyens de procédure entre les parties sont inscris dans la Constitution de la Fédération de Russie, dans le Code de procédure commerciale de Fédération de Russie et dans le Code de procédure civile ainsi que dans les normes processuelles, qui garantissent la réalisation de ce principe par différents moyens :
- La reconnaissance d’un droit égal à la protection judiciaire pour toutes les personnes physiques et morales ;
- La mise à disposition des parties d’une vaste gamme de moyens de procédure ;
- La mise à disposition des moyens nécessaires à la participation dans un procès des personnes ne parlant pas russe. On leur donne la possibilité de choisir leur langue maternelle pendant les procédures et (pour les autres participants) de comprendre les preuves écrites en langue étrangère ;
- Les exigences de mise à disposition des éléments de preuve par les parties dans un délai raisonnable avant l’audience ;
- La reconnaissance de la nécessité d’écouter la partie adverse pendant le procès, etc.
Les exigences des normes européennes de justice (qui concernent la possibilité de faire appel[2]) conduisirent à la nécessité de largement modifier la législation procédurale.
Le contenu du principe de sécurité juridique concernant la législation procédurale de commerce, figure dans les normes qui:
- limitent la durée de la procédure des tribunaux commerciaux de toutes les instances (articles 152, 267, 285, 299 al.1, 303 al.2 du Code de procédure commerciale de Fédération de Russie et autres) ;
- limitent la durée de certaines procédures intermédiaires (articles 93 al.1, 127 al.1, 176 al.2, 177 al.1, 186 al.2 du Code de procédure commerciale de Fédération de Russie),
- reconnaissent aux personnes ayant intérêt à agir la possibilité de faire appel (articles 259 al.1, 276 al.1, 292 al.3, 312 al.1 du Code de procédure commerciale de Fédération de Russie) ;
- confirment le caractère extraordinaire de la procédure de révision (nadzor) (articles 299 al.6-6.1, 304 al.1 du Code de procédure commerciale de Fédération de Russie) et qui n’autorisent pas de reconduire le procès en se fondant sur les mêmes motifs (article 299 al.9 du Code de procédure commerciale de Fédération de Russie) ;
- ne prévoient la possibilité de révision de la procédure de contrôle que par les personnes intéressées ou que par les personnes autorisées par la loi en vue de la protection de l’intérêt public (article 292 al.1 du Code de procédure commerciale de Fédération de Russie).
Pourtant, le problème de la pleine application de ces normes garde son actualité dans le domaine de fonctionnement des tribunaux de droit commun et en partie pour les juridictions d’arbitrage.
L’analyse des recours concernant la violation des droits à un procès équitable (jugées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme) illustre que la pratique des tribunaux ne correspond pas encore totalement aux normes européennes et ce malgré les nombreuses modification de la législation processuelle. La question la plus sensible se pose par rapport à la qualité de l’application pratique du potentiel des normes qui règlent les procédures devant les tribunaux.
Parmi les problèmes actuels on trouve: le refus ou la limitation d’accès à la justice à cause de la distinction floue entre les tribunaux, le dépassement des délais de la procédure et l’exécution de la décision rendue, la limitation des recours indemnitaires contre les retards et dysfonctionnements, la surcharge des tribunaux, etc.
Ces questions et beaucoup d’autres à propos de l’application des normes européennes de la justice concernant la législation procédurale et la pratique des tribunaux russes seront présentées plus en détail dans cette rubrique.
[1] Regardez par exemple : l’alinéa 32 de la décision du 21.02.1975 concernant l’affaire « Golder contre Royaume-Uni »//La Cour européenne des droits de l’homme. Les décisions sélectionnées. T.1. M., 2000. P.42-43; l’alinéa 98 de la décision du 28.06.1978 concernant l’affaire « Konig contre l’Allemagne »// La Cour européenne des droits de l’homme. Les décisions sélectionnées. T.1. M., 2000. P.153-154 ; les alinéas 40-41 de la décision du 19.03.1997 concernant l’affaire « Hornsby contre la Grèce// La Cour européenne des droits de l’homme. Les décisions sélectionnées. T.2. M., 2000. P.431.
[2] Regardez par exemple : alinéa 51 de la décision du 24.07.2003 concernant l’affaire « Ryabykh contre la Fédération de Russie » // La revue du droit russe. 2003. № 5. P. 136 ; la décision du 21.07.2005 « OAO Roseltans » contre la Fédération de Russie » //Le bulletin de la Cour européenne des droits de l’homme. 2006. № 3. P. 36-42.
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