Le feuilleton des primaires
Depuis l’automne 2016, pas un seul jour sans qu’une nouvelle page ne viennent s’ajouter au scenario de ce mode de sélection des candidats pour la présidentielle de 2017. Le feuilleton est passé par tous les genres. La tragédie, lorsque s’est posée la question de savoir si le Président de la République (François HOLLANDE) pouvait ou devait se présenter à la primaire de La belle alliance populaire, pour finalement renoncer et laisser le Premier ministre (Manuel VALLS) prendre sa place – pour échouer – dans la bataille. La comédie, voire la farce, lorsque le vainqueur surprise de la primaire des écologistes (Yannick JADOT) a finalement renoncé à sa candidature pour se ranger auprès du vainqueur surprise de l’autre primaire de la gauche (Benoit HAMON). Le drame, avec la victoire annoncée pour la présidentielle de 2017 puis la candidature enlisée du vainqueur de la primaire de la droite et du centre (François FILLON), et la nécessité, pour le battu (Alain JUPPE), de répéter à plusieurs reprises qu’il ne serait pas candidat.
Le sentiment des spectateurs du feuilleton a également évolué au fil des épisodes. Les réactions doctrinales sont, à cet égard, révélateur d’une transformation des représentations par rapport aux primaires. Objet de curiosité, elles ont d’abord connu une période de scepticisme. Pour certains constitutionnalistes, la primaire de la gauche organisée en 2011 aurait détruit l’autorité du Président de la République et elle expliquerait l’émergence des « frondeurs » au sein de la majorité législative de l’Assemblée nationale. Puis le principe des primaires a fait l’objet d’un enthousiasme quasi-religieux. Plusieurs raisons expliquent cet engouement, qui a suscité une abondante littérature durant l’année 2016 : le mimétisme constitutionnel (même si la comparaison en ce domaine invite à la prudence, il faut constater qu’en Italie, en Grèce, en Grande Bretagne les primaires « servent » l’alternance) ; le caractère prétendument « démocratique » de ce mode de sélection des candidats (l’avancée démocratique étant néanmoins limitée à la démocratie interne aux partis politiques ; il est vrai que les électeurs choisissent leur candidat et que ce dernier n’est pas nécessairement le chef du parti) ; le règlement pacifié de la question du leadership d’un camp (le vainqueur de la primaire s’impose comme le candidat légitime) ; le succès du précédent de 2011 (François HOLLANDE, vainqueur de la primaire socialiste a remporté dans la foulée l’élection présidentielle de 2012). En outre, les primaires contribueraient à pallier l’absence de dirigeant charismatique qui, par ses qualités personnelles, serait en mesure d’imposer l’autorité dans son camp politique.
Dans leur déroulement, les primaires furent un succès. Elles ont réussi à pacifier la sélection dans les grandes formations politiques en imposant des règles du jeu claires et calquées sur les modalités appliquées lors des deux tours de scrutins de l’élection présidentielle. Le droit a permis une pré-sélection minutieuse et une sélection incontestable des candidats. Pourtant, les potentiels risques de violations aux droits et libertés étaient nombreux : l’utilisation par les partis politiques des listes électorales, l’ouverture de bureaux de vote en dehors des scrutins « officiels », la constitution de fichiers d’électeurs, le financement des primaires… autant d’opérations qui pouvaient court-circuiter la réussite de ces investitures. La qualité de l’organisation doit être – à juste titre – saluée. Les contentieux furent déminés par des instances ad hoc. La Haute Autorités a ainsi réglé en amont la question du contrôle des parrainages des candidats de la droite et du centre ; elle a tranché – contre l’avis du président du parti des Républicains (Nicolas SARKOZY) – celle de l’organisation du scrutin pour les français établis hors de France ; elle a fixé un plafonnement des dépenses pour les candidats. Et de façon générale, la transposition pour les candidats des règles électorales appliquées pour l’élection présidentielle (exigence de parrainages, ouverture d’un compte de campagne, application de la règle d’équité durant la campagne médiatique) a facilité la légitimité du processus au sein de chaque formation politique.
En dépit d’un incontestable succès populaire et médiatique (pour la primaire de la droite et du centre, 4,29 millions d’électeurs au premier tour et 4,36 millions d’électeurs au second tour), la tournure des évènements politiques influencera-telle la manière de (re)penser les primaires ? Depuis le début de l’année 2017, personne n’évoque la nécessité d’en inscrire le principe dans la loi (comme en Argentine) ou dans la Constitution (comme en Colombie). Certains s’interrogent sur l’opportunité d’organiser encore un tour préliminaire de qualification pour les élections à venir. Car les primaires se sont présentées comme un piège qui enferme toute possibilité pour les partis politiques de réagir face à un échec avéré ou face à un candidat qui entend faire jouer à la légitimité d’une partie du corps électoral d’un jour des fonctions politiques, juridiques et symboliques qu’elle n’a pas. La victoire d’un candidat hors primaire (Emmanuel MACRON) rend l’avenir de ce mode de sélection incertain. Mais la France, à l’instar des autres démocraties européennes, peut-elle s’en passer ?
A lire sur le sujet, « Dossier. Actualité des primaires », Revue du droit public, n°3, 2017, p.505 et suivantes.
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