Chronique de jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale russe (janvier – juillet 2018)
Konstantin Karpenko, Maître de conférences, MGIMO
Maxime Sorokine, Juriste, doctorant associé au Centre de droit constitutionnel de la Haute Ecole d’économie
Dans les décisions de la Cour constitutionnelle présentées ont été examinées les questions juridique suivantes :
- La responsabilité juridique de différents sujets du droit. La Cour constitutionnelle a une nouvelle fois confirmé que les mesures de responsabilité juridique doivent correspondre aux principes d’équité, de proportionnalité et d’équilibre. La base immuable de l’imposition des peines est la culpabilité de l’auteur concret du délit qui se manifeste tant dans les actes illégaux (Arrêt n° 6-P du 06.02.18) que dans l’inaction (Ordonnance n° 12-O du 16.01.18, Ordonnance n° 7-O du 16.01.18) ayant entraîné des circonstances allant à l’encontre de la loi.
- Respect de l’équilibre entre les intérêts des différents sujets du droit. Selon la position juridique de la Cour constitutionnelle, les intérêts des différentes parties impliquées dans une affaire civile doivent être pris en compte de manière harmonieuse, ce qui découle non seulement du texte principal de la Constitution russe de 1993, mais aussi de son préambule. En conséquence, la signification juridique du préambule consiste en ce qu’il formule les objectifs juridique, qui doivent être atteints par la réalisation des buts indiqués dans les dispositions suivantes de la Loi fondamentale. L’équilibre des intérêts, en lui-même, dans une situation concrète doit être défini en fonction des objectifs majeurs au regard de la constitution. En même temps, le critère d’équilibre entre les intérêts peut servir de base à une restriction des droits, tant dans les relations juridiques matérielles (Ordonnance n° 8-P du 13.02.18) que dans le cadre d’une procédure (Ordonnance n° 249-O du 13.02.18).
- Relations entre les organes des pouvoirs publics et ceux de l’auto-administration locale. Dans sa pratique, la Cour constitutionnelle s’appuie sur l’unité du champ juridique en Russie, ce qui suppose un contrôle vertical du respect et de l’exécution des normes de la législation en vigueur de la part de tous les acteurs du système de pouvoir. Cela signifie que les organes du pouvoir, quel que soit leur niveau, fédéral, régional ou local, doivent faire valoir leurs droits pour accomplir leurs obligations, ce qui constitue la notion de compétences. L’autonomie de l’auto-administration locale proclamée dans la Constitution de la Russie de 1993 n’exempte pas ses responsables de l’exécution des décisions de justices entrées en vigueur et de leur responsabilité devant l’État vis-à-vis de leur activité (Ordonnance n° 12-O du 16.01.18).
Décision n° 8-P du 13 février 2018 : saisies liées à l’interdiction d’« importations parallèles » dans le but de protéger des intérêts publics.
- Contexte. La Russie, depuis 2002, en particulier après l’adoption en 2006 de la partie IV du Code Civil qui réglemente le domaine des droits intellectuels, applique le principe d’épuisement national des droits exclusifs sur la marque. Ce qui signifie que pour faire entrer sur le territoire du pays un produit étranger, il faut obtenir l’accord de l’ayant-droit qui peut exiger devant la justice la saisie du produit par les services douaniers et une interdiction de vente du produit importé sans son accord. Dans la pratique les cours d’arbitrage[1] appliquent d’ailleurs ce principe à la lettre. Par conséquent, toute importation d’un produit sans confirmation de l’accord de l’ayant-droit originel de sa marque par d’autres importateurs était considéré comme une violation des droits intellectuels. Ceci permettait aux services douaniers de considérer ces produits comme contrefaçon et, en particulier, de bloquer leur circulation pour une durée déterminée (voir l’Arrêt de la Cour supérieure d’arbitrage de la Fédération de Russie n° 6813/12 du 13 novembre 2012, etc.). En même temps, pour l’économie russe qui se trouve dépendante des importations de technologies et de produits de transformation industrielle poussée, la question de la limite d’épuisement des droits exclusifs reste sujet à discussion dans les milieux d’affaires, et le service anti-monopoles soutient également la proposition de passer à un principe international d’épuisement permettant d’importer des produits ayant été précédemment vendus sans autorisation de l’ayant-droit originel.
- Problème. Dans une affaire en cours d’examen, la société russe « PAG », dans l’optique d’honorer un contrat public de fourniture d’équipement médical, a acquis auprès d’une société polonaise un lot de produits portant la marque détenue par Sony Corporation (Japon) et les a introduits sur le territoire russe pour procéder à leur dédouanement. Cependant les juges ont presqu’immédiatement donné satisfaction à la demande de la société Sony Corporation de protéger ses droits exclusifs sur la marque et les produits importés ont été placés sous saisie, interdits de mise sur le marché, puis confisqués et détruits comme produits de contrefaçon ; par ailleurs la société PAG s’est vu imposer le paiement d’une indemnisation pour violation des droits exclusifs.
De l’avis de la Société russe, le régime d’interdiction complète des « importations parallèles » établi en vertu de dispositions en ce sens du Code Civil de la Fédération de Russie qui met sur le même plan les produits importés par des importateurs non agréés et la contrefaçon viole les principes constitutionnels de sécurité juridique et d’équité, de même que l’inviolabilité de la propriété privée.
- Décision. La Cour constitutionnelle est parvenue à la conclusion selon laquelle les normes contestées étaient constitutionnelles, à condition qu’en soit fait une interprétation constitutionnelle correcte. Dans cette interprétation, la Cour a tenté d’établir un nouvel équilibre entre, d’une part, les droits et les intérêts des ayant-droits et, d’autre part, ceux des importateurs et des concepteurs.
À cet égard, la Cour constitutionnelle a d’abord confirmé la valeur constitutionnelle de la propriété intellectuelle mais, en comparaison avec ses positions précédentes, elle a considérablement réduit les possibilités de la défendre. Ainsi, la Cour a-t-elle indiqué que la protection juridique des droits intellectuels découlait « du bien commun et de la nécessité de maintenir une atmosphère économique concurrentielle, afin d’entériner ces valeurs constitutionnellement importantes que sont la paix sociale et l’entente (préambule de la Constitution de la Russie de 1993) », et, par conséquent, le principe d’épuisement national des droits exclusifs ne contredit pas la Constitution. Cependant, de sa propre initiative, la cour a formulé un certain nombre de réserves essentielles. Premièrement, dans la mesure où la Russie est membre de l’Union économique eurasiatique, elle est soumise au principe d’épuisement régional des droits, qui est stipulé dans les traités fondateurs de l’Union dans le cadre du territoire douanier général de cette dernière (par là même la Cour admet directement l’éventualité d’un contrôle du respect des exigences internationales des traités par les lois fédérales). De même, la Cour a noté que, bien que les droits intellectuels exclusifs ne fassent pas partie du champ d’action de la législation sur la concurrence, cela ne signifie pas que leur protection juridique et judiciaire soit exclue de l’action des mécanismes d’équilibre des valeurs constitutionnellement importantes, et ces droits intellectuels bénéficient d’une protection judiciaire sur la base des principes de justice et de bonne foi.
Partant de là, la Cour constitutionnelle a sensiblement affaibli le régime juridique des conséquences négatives survenant pour les importateurs non agréés, bien que les limites de ces affaiblissements soient restés flous. Pour la première fois, la Cour a signifié sa position quant à l’impossibilité d’assurer une protection judiciaire des droits intellectuels des ayant-droits malhonnêtes si la politique qu’ils suivent d’augmenter les prix de leurs produits sur le marché russe peut faire apparaître une menace pour la vie et la santé des citoyens, et aussi pour d’autres intérêts publics importants, en particulier en matière d’accès des consommateurs russes aux produits de première nécessité. De plus, comme le souligne la Cour, le caractère frauduleux des ayant-droits est présumé s’ils se conforment aux exigences des sanctions qui ont été prononcées contre la Russie. Autre précision essentielle apportée par la Cour : les normes à effet punitif en vigueur pour la contrefaçon ne peuvent pas s’appliquer aux produits importés sous leur marque originale par des importateurs non-agréés. Leur saisie n’est possible qu’en cas de menace véritable pour la sécurité, la vie et la santé des personnes, et pour la protection de l’environnement et des valeurs culturelles. En outre, la Cour a incité les juges à réduire le montant de l’indemnisation exigée par les ayant-droits pour violation de leurs droits exclusifs : il ne peut pas être égal à celui qui est réclamé en cas d’importation de contrefaçon.
Ordonnance n° 7-O du 16 janvier 2018 : indemnisation à un militaire pour dommage moral si la personne qui en est directement la cause n’a pas de statut d’autorité.
- Contexte. Conformément à l’article 53 de la Constitution de la Fédération de Russie, tout citoyen se voit garantir le droit à être indemnisé par l’État pour un préjudice subi en raison d’actions illégales ou inaction des organes du pouvoir exécutif ou de leurs représentants officiels. Les conditions spéciales de poursuite de l’État en lien avec ses obligations contractuelles ou délictuelles sont réglées par la législation civile (art. 1069-1070 du Code civil de la Fédération de Russie).
- Problème. Pendant son service militaire en tant qu’appelé, le citoyen Ia. A. Konovaltchik a subi un dommage pour sa santé de la part d’un autre militaire, le soldat du rang B., qui par grossière imprudence lui a tiré dessus avec une arme automatique lors de la relève de la garde. D’après le compte-rendu du commandant d’unité, l’inaction et la négligence du soldat du rang B. dans l’exécution de ses obligations ont constitué une infraction aux règles de sécurité dans le maniement des armes ayant entraîné cet accident.
Toutefois les tribunaux ont refusé d’accorder à Ia. A. Konovaltchik une indemnisation pour dommage moral sur la base du fait que le dommage à sa santé avait été causé par un militaire qui n’était pas un responsable.
- Décision. La Cour constitutionnelle a rejeté les plaintes et expliqué que le règlement judiciaire en vigueur (art. 1069 du Code civil de la Fédération de Russie) n’exclut pas qu’un militaire puisse réclamer une indemnisation auprès du trésor fédéral pour un dommage causé à sa santé dans l’exercice de ses fonctions si ce dommage a été la conséquence d’actions ou d’inaction coupables de la part de supérieurs, notamment dans le cadre de la mauvaise exécution de leurs obligations, et bien que le dommage ait été causé par un autre militaire qui n’a pas un statut de supérieur.
Dans l’affaire considérée, la Cour constitutionnelle a confirmé ses positions juridiques précédentes à propos du caractère particulier de la responsabilité patrimoniale des sujets de droit public qui consiste, avant tout, en des défauts d’organisation du commandement de ce niveau. Cette position a été clairement exposée dans la Décision n° 9-P du 16.06.2009 et l’Ordonnance de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie n° 1049-O du 02.07.2013 dans lesquelles il est stipulé que « les actions non seulement du supérieur qui procède directement à une interpellation administrative, mais aux autres supérieurs dont l’action ou l’inaction ont entraîné l’application de cette mesure contraignante en vue de traiter l’affaire comme infraction administrative ». Dans cette décision les positions précédemment énoncées s’étendent aux autres cas de dommage causé non liés directement à des mesures préventives de type administratif. À noter aussi que la Cour étend cet avis juridique, établi dans le cadre de l’article spécial 1070 du Code civil de la Fédération de Russie, qui fixe le principe de faute objective, à l’article 1069 du Code civil de la Fédération de Russie qui établit les principes généraux de la responsabilité de l’État pour un dommage extracontractuel. En outre, la Cour se réfère aux conditions particulières du service militaire où « le danger de mort et les risques pour la santé sont importants » et au rôle clef des supérieurs dans les conditions de stricte subordination entre les militaires. Dans la doctrine soviétique et russe la notion de « risque » caractérise aussi la responsabilité découlant de l’activité professionnelle de l’auteur de l’infraction et donc la présomption d’innocence à son égard. De plus, la Cour n’a émis aucun reproche quelconque à l’encontre de la limite de responsabilité de l’autorité publique aux seuls organes de l’État et supérieurs remplissant des fonctions administratives et de commandement définies. Cette position fut critiquée de façon convaincante dans la doctrine portant sur cette question tant à l’époque soviétique (Fleichitz, 1946[2]) qu’avant la révolution (Lazarevsky, 1901[3]). En outre, malgré la référence au risque comme fondement d’un renforcement de la responsabilité, la Cour ne s’est pas écartée du principe de culpabilité comme principe général du droit, par conséquent ce sont les actes fautifs des supérieurs qui doivent servir de base à la mise en oeuvre de leur responsabilité. Non seulement cela n’exempte pas la victime de la nécessité de prouver la culpabilité de ses supérieurs, mais la responsabilité de ces derniers peut être écartée s’ils prouvent que le dommage n’a pas été causé par leur faute.
Décision n° 6-P du 6 février 2018 : exemption d’amendes pour les agents fiscaux ayant eux-mêmes corrigé un retard erroné dans le virement de l’impôt sur le revenu des personnes physiques avant le règlement correct des impôts.
- Contexte. Dans le système fiscal russe, l’impôt sur le revenu lié au salaire des employés est payé par l’employeur (entreprises comme entrepreneurs individuels) qui remplissent la fonction d’« agent fiscal ». Pour toute infraction à ses obligations, l’agent fiscal est soumis à une sanction administrative équivalente à 20% du montant non payé, qui est imposée non seulement pour paiement incorrect mais aussi pour virement retardé de l’impôt au budget. Par ailleurs, la législation fiscale prévoit une exemption de cette responsabilité si l’agent fiscal règle de lui-même son arriéré avant que le service fiscal ne l’identifie, en présentant une déclaration d’impôt corrective avant la fin du délai de paiement.
- Problème. Dans l’affaire examinée la société « TAIF » a été considérée comme coupable d’infraction aux obligations d’agent fiscal sous forme de retard de paiement de l’impôt retenu sur le salaire. La société a contesté devant le tribunal cette décision du service fiscal en affirmant que sa responsabilité était dégagée, puisqu’elle avait corrigé d’elle-même les erreurs commises avant même la fin de la période fiscale, l’ayant indiqué dans son règlement initial finalement correct de l’impôt et qui ne nécessitait donc pas de correctif. Cependant, les tribunaux n’ont pas suivi la position du demandeur, estimant que l’agent fiscal ne peut être dispensé de payer une amende que s’il a reçu des informations erronées ayant conduit à une réduction du montant à payer.
Selon le demandeur, les dispositions légales appliquées dans son cas ne correspondent pas aux normes constitutionnelles d’égalité devant la loi, de proportionnalité de la limitation des droits constitutionnels et d’équité.
- Décision. La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie a établi que les dispositions légales contestées ne contredisaient pas la Constitution, compte tenu de l’interprétation constitutionnelle correcte qui en est faite.
En premier lieu, la Cour, en s’appuyant sur ses positions juridiques précédentes, a indiqué la différence de nature juridique entre les mesures de rétablissement dans les droits (arriéré fiscal et pénalité fiscale) et celles de coercition (amende fiscale). Pour cette raison, comme l’a souligné la Cour, en prenant des mesures de coercition, l’État peut « encourager un comportement conforme à la légalité dans le domaine fiscal », en particulier en incitatant les agents fiscaux à eux-mêmes rectifier les erreurs avant que les services fiscaux ne les identifient. Comme dans le cas de l’imposition de sanctions fiscales, ces incitations doivent être en adéquation avec les principes constitutionnels d’équité, d’équilibre et de proportionnalité. Il convient de noter que dans la pratique judiciaire « l’encouragement au comportement de bonne foi dans les relations fiscales » en tant que principe général a déjà commencé à être utilisé hors du cadre des relations fiscales, comme, par exemple, lorsqu’il s’agit d’écarter la responsabilité du paiement des charges sociales pour les sociétés contribuables (voir la Décision de la Cour d’arbitrage du district de Sibérie occidentale du 18.09.2018 sur l’affaire n° A03-18937/2017, la Décision de la Cour d’arbitrage du district de Sibérie occidentale du 14.09.2018 sur l’affaire n° A81-10618/2017 et l’Ordonnance de la Cour Suprême de la Fédération de Russie du 02.07.2018 sur l’affaire n° A73-910/2017, etc.).
La bonne foi du contribuable ne le prive pas du droit d’être exempté d’amende fiscale. Cette mesure d’encouragement a une grande signification pour le maintien de l’ordre fiscal et l’amende fiscale est une peine sanctionnant une violation des droits fiscaux du Trésor, qui se manifeste dans la fraude ou la réduction des sommes à payer.
Elle n’est pas une sanction pour les infractions à la comptabilité fiscale fournie par le contribuable. Compte tenu des divergences notées dans la pratique judiciaire, une autre interprétation débouchant sur un encouragement dans les cas similaires signifierait une infraction au principe d’égalité juridique des agents fiscaux.
Par ailleurs, ici, la Cour a formulé une condition importante pour accorder une dispense de sanction financière en cas de présentation d’une déclaration correcte : l’absence de preuves d’infraction intentionnelle de la part de l’agent fiscal. En énonçant cette condition sous son aspect le plus général, la Cour a ainsi rendu possible son utilisation la plus large dans la pratique judiciaire (et pas en faveur des agents fiscaux), par exemple en cas de paiement des pénalités après envoi du règlement rectifié (Décision de la Treizième cour d’arbitrage du 06.07.2018 sur l’affaire n° A56-87754/2017), de retard de plus d’un mois dans le paiement de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (Décision de la Dix-septième cour d’appel d’arbitrage du 08.06.2018 sur l’affaire n° A60-38592/2017, confirmé par la juridiction de cassation), retards successifs de plus ou moins un mois dans le paiement de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (Décision de la Neuvième cour d’arbitrage du 05.10.2018 sur l’affaire n° A40-218204/17), d’ailleurs dans certains cas la charge de la preuve d’absence de préméditation du retard incombe à l’agent fiscal (Décision de la Cour d’arbitrage du district nord-est du 08.10.2018 sur l’affaire n° A05-10702/2017, Décision de la Quatorzième cour d’appel d’arbitrage du 25.04.2018 sur l’affaire n° A05-10700/2017, Décision de la Quatorzième cour d’appel d’arbitrage du 07.05.2018 sur l’affaire n° A05-10702/2017). Toutefois, même en présence de ces défauts (importance du retard à payer les pénalités) le fait d’avoir versé soi-même le paiement des impôts sur le revenu des personnes physiques avant même le contrôle fiscal peut justifier une réduction du montant de l’amende par le tribunal (Décision de la Dix-septième cour d’appel d’arbitrage du 08.06.2018 n° 17AP-5159/2018-AK sur l’affaire n° A60-38592/2017). Pour surmonter ces divergences d’interprétation suscitées par une réserve non-définie de la Cour Constitutionnelle, le projet de loi n° 527676-7 élaboré par le Gouvernement fédéral ne contient pas de conditions de « non préméditation » dans les fautes commises par l’agent fiscal pour qu’il puisse être exempté de cette sanction financière.
Ordonnance de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie n° 249-O du 13.02.2018 : conditions d’indexation des montants réclamés par décision de justice auprès des entités de droit public à fonds budgétaires.
- Contexte. Dans l’article 208 du Code de procédure civile de la Fédération de Russie, dont les règles envisagent aussi l’examen des plaintes de personnes privées à l’encontre de sujets de droit public, il est établi que le tribunal examinant une affaire sur plainte du demandeur ou du créditeur doit procéder à une indexation des sommes réclamées par le tribunal au jour de l’exécution de la décision de justice. La pratique judiciaire considérait le mécanisme d’indexation comme un instrument contre la dévaluation au jour de l’exécution réelle de la décision de justice de recouvrement des sommes ; par conséquent, l’indexation n’est pas une mesure de responsabilité civile ou autre et s’applique quelles que soient les intentions de la personne qui est à l’origine du retard de paiement. (Chronique de la pratique de la Cour suprême de la Fédération de Russie n° 1, 2015).
- Problème. Cependant, dans ce cas précis, la juridiction de cassation a rejeté la requête de la demanderesse de procéder à une indexation sur la décision de justice entrée en vigueur le 19 novembre 2014 et exécutée le 27 mai 2015. La cour est partie du principe que l’indexation ne pouvait pas s’appliquer, dans la mesure où les sommes avaient été payées par elle dans les limites du délai de trois mois à compter de la date de réception des documents d’exécution conformément aux normes de la législation budgétaire.
La demande adressée à la Cour constitutionnelle posait la question de la constitutionnalité de la non-application des règles générales d’indexation des sommes incriminées si la décision de justice était exécutée dans le délai de trois mois en vigueur à compter de la date de réception de l’acte exécutoire du créancier, comme fixé dans la législation budgétaire.
- Décision. Dans cette Décision la Cour constitutionnelle a confirmé son approche précédente sur la question de l’indexation de la compensation financière de la part de l’État et autres entités territoriales publiques. Elle a indiqué que la demande d’exécution de la décision de justice rendue en faveur du créancier dans un délai raisonnable devait correspondre au caractère juridique public des ressources budgétaires réclamées qui permettent de remplir les fonctions et missions publiques, y compris la garantie des droits constitutionnels de la personne. Par conséquent, l’entité publique doit avoir la possibilité de répartir les ressources financières dont elle dispose selon ses comptes afin d’éviter toute désorganisation de l’activité des structures publiques. À cet égard, les modalités de réclamation de ressources financières du budget établies par le législateur et prévoyant un délai de trois mois pour son exécution à compter de la date de réception des documents exécutoires impose au créancier d’être actif et que ses droits constitutionnels ne soient pas violés. Par conséquent, cette règle épuise aussi les limites de l’application potentielle de l’indexation, en d’autres termes, celle-ci devient possible seulement en cas de non-respect par les structures publiques de ce délai de trois mois.
Par ailleurs, l’ouverture d’une procédure de demande de recouvrement de ressources budgétaires à l’initiative du créancier lui-même à qui elles sont attribuées par décision de justice va à l’encontre des normes du droit international. Comme l’a indiqué à plusieurs reprises la CEDH, dans ce cas précis on ne peut pas exiger du créancier « de recourir à une procédure d’exécution pour qu’elle soit exécutée » dans la mesure où les autorités nationales connaissent les exigences du demandeur et doivent procéder à l’exécution de la décision de justice qui les a satisfaites immédiatement après son entrée en vigueur (Décision de la CEDH du 3 avril 2008 sur l’affaire « Pogulyayev contre Russie » (plainte n° 34150/04). Compte tenu du fait que les sommes attribuées sur décision de justice sont considérées par la CEDH comme propriété de la personne en faveur de laquelle elles ont été restituées, alors la question de savoir si l’institution de l’indexation est un moyen efficace de protection juridique peut de nouveau être posée à la juridiction européenne (de l’avis de la CEDH, elle ne l’est pas en elle-même : voir Décision du 12 juin 2008 sur l’affaire « Moroko contre Russie »).
Ordonnance n° 12-O du 16 janvier 2018 portant sur une demande de vérification de constitutionnalité des dispositions de la Loi fédérale « sur les principes généraux d’organisation de l’auto-administration locale en Fédération de Russie »
- Contexte. Dans l’article 12 de la Constitution de la Fédération de Russie, parmi les principes de base de la structure de l’État en Russie figure celui de l’indépendance des organes d’auto-administration locale qui « ne font pas partie du système des organes des pouvoirs publics ». Cependant, la loi fédérale de 2003, qui définit la situation juridique des entités municipales, accorde aux dirigeants des Sujets de la Fédération de Russie[4] – qui, au contraire, en vertu de la Constitution, font partie du système unifié du pouvoir exécutif de la Fédération de Russie – des compétences en matière d’adoption d’« acte juridique » de révocation du poste de dirigeant d’une entité municipale, ou du chef de l’administration locale. Les motifs de révocation sont son refus de prendre les mesures d’exécution de décision de justice ou bien l’adoption par lui d’un acte normatif en contradiction avec la législation en vigueur, ou bien encore des actions, comme l’adoption d’un acte non-normatif et entraînant une violation des droits et des libertés de l’homme, constituant une menace pour l’unité et l’intégrité territoriale du pays, pour la sécurité nationale, ou constituant une dilapidation de ressources budgétaires. De plus, le dirigeant d’une région est en droit de prendre la décision de destituer celui de la municipalité au moins un mois et au plus tard six mois après l’entrée en vigueur de la décision de justice, nécessaire à l’adoption de la décision de révocation. La décision de révocation peut être contestée en justice dans un délai de 10 jours après sa publication.
- Problème. Dans le cas considéré, le gouverneur du Kraï de Transbaïkalie avait publié la décision de révocation d’un des chefs de municipalité de la région, cette décision a été ensuite annulée par voie judiciaire. Pour cette raison, le gouverneur s’est adressé à la Cour Constitutionnelle dans le cadre du contrôle abstrait des normes en demandant de considérer les dispositions légales en vigueur comme anticonstitutionnelles dans la mesure où elles ne permettent pas de répondre aux questions suivantes :
– quel est le caractère juridique de l’acte de révocation (acte normatif ou non normatif) ;
– la catégorie des cas susceptibles de sanctions comprend-elle « les actions d’un chef d’entité municipale » et son inaction en tant que chef d’administration locale ;
– à partir de quel moment le délai d’adoption de l’acte de révocation est-il calculé.
- Décision. La Cour constitutionnelle a rejeté la demande du gouverneur du Kraï de Transbaïkalie en indiquant que les dispositions légales contestées ne contenaient pas d’indétermination.
Avant tout, la Cour a rappelé ses positions juridiques précédentes dans lesquelles le mécanisme de révocation était considéré sous sa forme générale comme constitutionnel sur la base du statut particulier du gouverneur censé assurer le respect de la législation non seulement régionale mais aussi fédérale, en soulignant par ailleurs que l’auto-administration locale se réduit à « une certaine autonomie juridique » en ce qui concerne les questions vitales pour la population, dont elle est responsable, y compris devant l’État.
Ensuite, la Cour constitutionnelle a explicité le sens des normes contestées. En ce qui concerne les motifs de révocation, elle a indiqué que cet aspect devait être analysé sur la base des caractéristiques concrètes de la position du chef d’entité municipale au sein du système des organes municipaux. Dans le cas où le chef de l’entité municipale dirige en même temps l’administration locale, il est alors tenu d’assurer le respect de la légalité de la part de tous les départements de l’organe exécutif sur la base de la subordination. Ainsi, même si cela n’est pas directement rappelé, le mécanisme de révocation peut-être employé en cas d’inaction, c’est-à-dire d’absence de mise en œuvre de ses compétences par le dirigeant municipal, ce qui élargit la liberté d’action des autorités régionales à l’égard des dirigeants des organes du pouvoir exécutif de l’auto-administration locale.
Bien que la révocation soit considérée par la Cour comme une sanction non pas pour la décision elle-même, mais pour n’avoir pas pris les mesures d’exécution de la décision de justice par laquelle l’infraction a été établie, la Cour a apporté une précision de taille en indiquant que pour lancer une procédure de révocation un seul acte judiciaire fixant les infractions correspondantes était suffisant. En d’autres termes, une décision de justice établissant le fait d’une longue non-exécution n’est pas nécessaire, le gouverneur considérant lui-même si toutes les mesures ont été prises ou non pour l’exécution de la décision de justice. Néanmoins, compte tenu du droit de recours, il convient de prendre pour pour point de départ le moment d’adoption de la décision par la juridiction d’appel. En outre, la Cour constitutionnelle a également expliqué que bien que la législation fédérale confère au dirigeant du Sujet de la Fédération de Russie des compétences en matière de prise de « décrets ou arrêtés», la décision de révocation est un acte individuel, non normatif, qui peut être contesté indépendamment de son appellation (et de l’exigence de « publication ») dans le cadre de la procédure administrative sur les actes non normatifs.
[1] Les juridictions d’arbitrage, en Russie, sont l’équivalent des juridictions commerciales en France (note – CGFR)
[2] Fleischitz E.A., La responsabilité de l’État selon les articles 407 et 407a du Code civil de la RSFSR et les articles correspondants des Codes civils des autres républiques de l’Union soviétique, Moscou, Typographie de la direction du ministère des Métaux ferreux, 1946, p. 26-27.
[3] Lazarevsky N.I., « La responsabilité civile des dirigeants », Journal du ministère de la Justice, Saint-Pétersbourg, 1901, n° 7 (septembre), p. 35-70 ; n°8 (octobre), p. 122-145.
[4] Les Sujets de la Fédération de Russie sont les entités fédérées (note – CGRR).
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