L’évolution du statut des partis et groupements politiques en France à la lumière de l’ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat du 29 mai 2017 Association « En marche ! »
Après avoir repoussé à l’unanimité le 18 décembre 1945 l’élection du Président de la République au suffrage universel, puis le 19 décembre le principe de l’exception d’inconstitutionnalité des lois, la Commission a été amenée, le 21 février 1946, à examiner le projet d’article consacré aux partis tel que rédigé par une sous-commission. Une intervention vigoureuse de René Capitant, du groupe Résistance démocratique et socialiste, pour qui « l’idée de faire des partis des organes contitutionnels est radicalement fausse », jointe à la déclaration de François de Menthon selon laquelle « dans un esprit de conciliation…, le MRP n’insistera pas pour le maintien d’une disposition concernant le statut des partis », conduisirent finalement à décider à l’unanimité qu’aucune disposition relative aux partis ne figurera dans la Constitution.
La cause fut alors définitivement entendue comme en témoigne le projet adopté par réferendum en octobre 1946.
En 1958, l’avant projet du gouvernement du général de Gaulle remis le 29 juillet 1958 au comité consultatif constitutionnel formé de membres nommés soit par l’assemblée nationale, soit par le Conseil de la République, soit par le pouvoir exécutif était également muet sur les partis. Cependant l’avis dudit comité, publié au journal officiel du 20 août 1958, contenait à propos du titre I de cet avant projet intitulé « De la souveraineté », le passage suivant : « La majorité du comité a pensé que la prochaine Constitution devrait contenir une disposition imposant aux partis et groupements politiques le respect des principes démocratiques. Il est en effet convaincu que la rénovation des institutions de la République doit s’accompagner d’un assainissement de sa vie politique. Celle-ci ne peut,en particulier, s’accommoder des agissements antinationaux et antirépublicains de partis soumis à une obédience étrangère ».
Cet avis conduisit le gouvernement à introduire dans le projet soumis au Conseil d’Etat les deux phrases suivantes : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Celui-ci s’étant prononcé pour la disjonction totale de ce texte, le compromis juridico-politique retenu par le gouvernement pour l’article 4 du projet à soumettre au referendum fut d’intercaler, après la première de ces deux phrases, la phrase suivante « Ils se forment et exercent leur activité librement ».
Cet article 4, tel qu’il a été complété en dernier lieu par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, prévoit aujourd’hui en outre, d’une part que les partis et groupements politiques contribuent, dans les conditions déterminées par la loi, à la mise en oeuvre du « principe d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives» et, d’autre part, que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
De fait, une série de dispositions législatives sont intervenues depuis une première loi du 11 mars 1988, d’une part, pour assurer aux partis et groupements politiques un financement public principalement en fonction de leurs candidats et élus aux élections législatives et accessoirement de leur respect du principe de parité, et d’autre part pour règlementer leur financement privé et enfin assurer contrôle de leurs comptes par une autorité administrative indépendante et la publicité de ces comptes.
Par ailleurs, depuis 2000 la procédure de référé liberté, prévue par l’article L521-2 du Code de justice administrative, permet au juge administratif d’ordonner, dans un délai de 48 heures, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Pour obtenir satisfaction, le requérant doit justifier d’une situation d’urgence qui nécessite que le juge intervienne dans les quarante huit heures.
Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 mentionnée plus haut, la question prioritaire de constitutionnalité est la procédure prévue par l’article 61-1 de la Constitution, par laquelle tout justiciable peut soutenir,à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant le Conseil d’Etat, il procède dans un délai de trois mois à son examen et renvoie la question au Conseil constitutionnel, si la loi contestée est applicable au litige, si elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution et si la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Il n’est donc pas étonnant que, dans ce contexte juridique, l’association « En marche ! », qui regroupait des personnes ayant soutenu la candidature à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, ait, après l’élection de ce dernier au 2ème tour de scrutin le 7 mai 2017, saisi le 24 mai le juge des référés du Conseil d’Etat de la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 23 mai fixant la durée des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives prévues les 11 et 18 juin 2017.
Cette décision faisait application de l’article L167-1 du Code électoral dans sa rédaction résultant d’une loi du 29 décembre 2016, qui régit la répartition du temps d’antenne entre les partis et groupements politiques pour leur campagne en vue des élections législatives.
Le législateur avait prévu que ceux d’entre eux qui ne sont pas déjà représentés par des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale bénéficient d’une durée d’émission forfaitaire de 7 minutes au premier tour et de 5 minutes au second tour, à la différence des partis et groupements déjà représentés par des groupes parlementaires, qui bénéficient de durées d’émission tenant notamment compte de leur importance au sein de l’Assemblée nationale sortante dans le cadre d’une durée totale de 3 heures pour le premier tour de scrutin et d’une heure 30 pour le second.
Sur le fondement de ces dispositions légistatives, la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel mentionnait donc, dans son article 1er pour le premier tour, une durée d’émission pour le parti socialiste de 80 minutes, pour les Républicains de 69 minutes 19 secondes, le surplus du quota global de 3 heures revenant à l’Union des démocrates et indépendants, au Parti radical de gauche et au Parti communiste français et le quota global d’une heure 30 du deuxième tour étant réparti dans les mêmes proportions.
L’association « En marche ! » qui, relevant de l’article 2 de cette décision, pouvait seulement prétendre à une durée totale d’émission de 7 minutes au premier tour et 5 minutes au second, a soutenu que ces durées, alors même que fixées conformément à l’article L167-1 du Code électoral, portaient une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales et demandé au Conseil d’Etat d’ordonner, sur le fondement de l’article L521-2 du Code de justice administrative, des mesures propres à mettre fin à cette atteinte. A l’appui de cette demande, elle a soulevé, notamment une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l’article 187-1 du Code électoral.
Le juge des référés du Conseil d’Etat, après avoir convoqué à une audience publique le 29 mai 2017 d’une part l’association requérante et d’autre part le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le Premier ministre, le ministre d’Etat et ministre de l’intérieur, le ministre de la culture et les présidents des groupes parlementaires, a rendu le 29 mai une première ordonnance qui transmettait au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’association requérante et prononçait un sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.
Comme l’indiquent les motifs de cette ordonnance, ce sursis à statuer était justifié par le fait que le calendrier prévisionnel d’examen de la question indiqué par le Conseil constitutionnel aux parties était « compatible avec la remise en cause des durées d’émission mentionnées dans la décision litigieuse ».
De fait, par sa décision n°2017-651 QPC du 31 mai 2017, le Conseil constitutionnel a, en premier lieu, déclaré contraires à la Constitution les paragraphes II et III de l’article L167-1 du Code électoral comme méconnaissant les dispositions du troisième alinéa de son article 4 aux termes duquel « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation » et comme affectant l’égalité devant le suffrage « dans une mesure disproportionnée ».
En second lieu, tout en reportant au 30 juin 2017 l’abrogation de ces dispositions pour ne pas priver de toute base légale la décision à prendre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour la campagne électorale en vue des élections législatives des 11 et 18 juin, le Conseil constitutionnel a énoncé les modalités d’application de ces dispositions propres à « faire cesser l’inconstitutionnalité constatée » par la « prise en compte », pour les partis ou groupements qui n’étaient pas représentés au sein de l’Assemblée nationale sortante, « de l’importance du courant d’idées ou d’opinions qu’ils représentent, évaluée en fonction du nombre de candidats qui déclarent s’y rattacher et de leur représentativité, appréciée notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives ». Implicitement, l’autorité administrative indépendante qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel était ainsi invitée à tenir compte des résultats des deux tours de la toute récente élection présidentielle.
Le conseil constitutionnel précisait : « Sur cette base, en cas de disproportion manifeste au regard de leur représentativité entre le temps d’antenne accordé à certains partis et groupements qui relèvent du paragraphe III de l’article L167-1 du Code électoral et celui attribué à certains partis relevant de son paragraphe II, les durées d’émission qui ont été attribuées aux premiers doivent être modifiées à la hausse. Cette augmentation ne peut ,toutefois, excéder cinq fois les durées fixées par les dispositions du paragraphe III de l’article L167-1 du Code électoral ». Atrement dit, 35 minutes pour le premier tour et 25 minutes pour le second.
Dans son ordonnance du 31 mai 2017, rendue immédiatement après la décision du même jour du Conseil Constitutionnel, le juge des référés du Conseil d’Etat a donc visé l’article 62 de la Constitution aux termes duquel « Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent…à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
En application de cet article, « il appartient au Conseil supérieur de l’audiovisuel de prendre,pour l’application du III de l’article L167-1 du Code électoral, une nouvelle décision fixant la durée des émissions de la campagne audiovisuelle officielle en vue des élections législatives des 11 et 18 juin 2017 dans le cadre déterminé par le Conseil constitutionnel. Il en résulte que les conclusions à fin de suspension de sa décision du 23 mai 2017 et à fin d’injonction présentées par l’association « En marche ! » ont perdu leur objet. Il n’y a en conséquence pas lieu d’y statuer ».
S’est ainsi clos cet épisode contentieux du début de la campagne pour le premier tour, le 11 juin 2017, des élections législatives, épisode qui témoigne, sur le plan juridique, de l’articulation de l’exercice par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel de leurs compétences respectives.
Sur un plan plus politique, cet épisode témoigne aussi du fait que, s’agissant de répartir l’accès aux antennes du service public de la communication audiovisuelle aux partis et groupements politiques pour leur campagne en vue d’élections législatives, le législateur, comme cela a été le cas fin 2016, peut être enclin à surestimer la vigueur des formations politiques représentées dans les groupes parlementaires existants et sous estimer l’impermanence de l’opinion publique.
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