Commentaire de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique et de la loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique
« Une moralisation par l’administration »
La qualité du fonctionnement des démocraties représentatives dépend bien évidemment des qualités individuelles des représentants et de leur conduite. Il semble logique que le représentant, qui demande aux citoyens d’adopter ou de proscrire tel comportement, adopte lui-même ledit comportement.
Il est fréquemment répété qu’une grande partie des citoyens français doute aujourd’hui de la probité de tout ou partie de la représentation politique. Ce phénomène n’est certes pas nouveau, mais il est amplifié à l’heure de l’information en continu. Le manque de probité d’un élu peut gravement entamer la confiance du citoyen, d’autant plus lorsque le commerce de l’information pousse à des comportements concurrentiels et à l’irrationalité des commentaires dans le traitement de l’actualité. Dans ce contexte, garantir la probité des représentants peut paraître vital à la survie du système représentatif.
Ce sont à ces défis que comptaient répondre les loi[1] et loi organique du 15 septembre 2017[2] pour la confiance dans la vie politique. Du fait de leur technicité textuelle, il a peu été question de dégager l’esprit général de ces réformes. Pourtant, il ressort clairement que ces loi et loi organique développent un contrôle administratif de la probité de l’élu (I). Le développement de ce contrôle conduit le législateur organique à donner surprenamment compétence au Conseil constitutionnel pour assurer un rôle répressif (II).
I. Une moralisation administrative de la vie politique
L’esprit de cette loi organique et de cette loi ordinaire est parfaitement résumé au paragraphe 24 de la décision relative à la loi organique rendue le 8 septembre 2017 par le Conseil constitutionnel[3], lequel évoque un « objectif de renforcer les garanties de probité et d’intégrité de ces personnes [les parlementaires] ». À cette appréciation s’ajoute celle contenue au paragraphe 35 de la décision du même jour relative à la loi ordinaire[4], à savoir la reconnaissance de la recherche d’accroissement de « la confiance des citoyens dans l’action publique » par le renforcement « des garanties de probité des responsables publics » comme objectif d’intérêt général. Cet objectif est principalement mis à la charge de l’administration par les présentes loi et loi organique.
Le rôle de l’administration est central et porte sur plusieurs temps de la vie politique. La centralité de ce rôle est due principalement à la recherche d’une prévention des comportements portant atteinte à la confiance des citoyens. Cependant, le rôle de l’administration ne se limite pas à la police de la vie politique et comprend, en vertu de l’article 28 de la loi ordinaire, la garantie de son déroulement dans le respect du pluralisme. Ainsi, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques est institué par le présent article. Nommé par décret du Président de la République, il aura pour rôle de permettre le « dialogue » entre les candidats et les établissements de crédit ou les sociétés de financement. En outre, seuls ceux basés au sein d’un Etat membre de l’Union Européenne seront éligibles à financer des campagnes ou prêter en vue de permettre le financement d’une campagne[5]. Concernant les personnes physiques, la restriction est plus forte encore car seuls les individus de nationalité française pourront donner de l’argent à un candidat[6].
A l’accumulation d’agents administratifs de médiation et d’autorités administratives indépendantes chargées de contrôler la probité des représentants, doit encore s’ajouter le renforcement, notamment dans le cadre de ce contrôle de probité, des compétences des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, donc des administrations internes à chaque assemblée. La nature réglementaire des présentes lois ne fait aucun doute. La censure de l’article 23 de la loi ordinaire par le Conseil Constitutionnel est encore plus significative puisque, sans apporter de grandes précisions, il déclare contraire à la Constitution la capacité pour le chef du gouvernement de définir « les conditions, les modalités et les limites de la prise en charge des frais de réception et de représentation des membres du Gouvernement » par décret en Conseil d’État, alors que l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 établit clairement que les questions budgétaires relèvent du domaine de la loi.
Au-delà de la centralité du rôle de l’administration quant à la bonne marche de la vie politique, il convient de remarquer que ces garanties de probité relèvent de deux temps différents de la vie politique, à savoir l’élection et le mandat. Les contrôles relatifs aux opérations électorales et aux candidatures à la représentation nationale ou à la présidence de la République s’inscrivent dans la continuité de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique[7]. Il s’agit bien d’un contrôle de la vie politique dans le but de renforcer la confiance des citoyens envers leurs représentants.
En revanche, le contrôle du comportement des élus, quant à leur patrimoine, leurs collaborateurs ou, de manière générale, la conformité de leur comportement personnel avec la loi ne peut être présenté comme relevant de la confiance envers ces derniers. Il s’agit d’un renforcement de la confiance envers la capacité du pouvoir réglementaire à écarter des élus dont le comportement porte préjudice non seulement à leur propre image, mais, à travers leur image, à l’ensemble de la classe politique. Dans la continuité de la loi du 11 octobre 2013[8] relative à la transparence de la vie publique, les présentes loi et loi organique instaurent un contrôle de la vie du politique. En témoigne la censure de l’article 9 de la loi ordinaire par le Conseil Constitutionnel. Les Sages ont écarté la possibilité pour la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de consulter, dans le cadre de son contrôle, les données de connexion des élus, considérant qu’un tel accès porterait atteinte au droit au respect de la vie privée des personnes. C’est la personne et non pas la fonction qu’il occupe que le Conseil Constitutionnel vient ainsi protéger.
Il ressort donc bien un renforcement du pouvoir réglementaire et de son contrôle, notamment sur les détenteurs du pouvoir législatif. Ce renforcement s’arrête toutefois, semble-t-il, à la capacité de prononcer une sanction. Mais au-delà de la persistance de la compétence du juge judiciaire en la matière, la loi organique, et notamment son article 2, octroie une capacité de sanction personnelle au juge constitutionnel, ouvrant la voie à un nouveau type de contentieux.
II. Un nouvel objet de contentieux devant le Conseil Constitutionnel
L’article 2[9] de la loi organique du 15 septembre 2017 prévoit que « en l’absence de mise en conformité [de la situation fiscale du député avec la loi], le Conseil constitutionnel, saisi par le bureau de l’Assemblée nationale informée par l’administration fiscale, peut déclarer le député démissionnaire d’office de son mandat. »
Contrôlant la conformité de cet article avec la Constitution, le Conseil a insisté, en son paragraphe 17, sur le fait que les principes énoncés à l’article 8 de la Déclaration de 1789 s’étendent à « toute sanction ayant le caractère d’une punition ». En outre, en son paragraphe 18, il estime d’abord que la sanction instituée par le législateur organique n’est manifestement pas disproportionnée. Ensuite, rappelant que la nouvelle loi organique lui confère « la faculté de prononcer la sanction en fonction de la gravité du manquement », il estime qu’il « lui appartient de tenir compte, dans le prononcé de l’inéligibilité, des circonstances de l’espèce ». Le Conseil constitutionnel agit ainsi comme garant de la proportionnalité et de l’individualisation des peines.
Cette évolution des compétences du Conseil constitutionnel peut interroger. Il semble logique que ce rôle lui soit conféré afin de garantir l’impartialité du jugement, il n’en demeure pas moins que le Conseil devient ainsi juge de personnes et non seulement juge de textes et d’opérations administratives particulières telles que les élections nationales. Si la nature judiciaire de cette compétence ne peut être affirmée en l’absence de cas à étudier, il n’est pas contestable, de l’avis même du Conseil constitutionnel, que celui-ci acquiert des compétences de nature répressive et personnelle.
Mis au sommet de la moralisation administrative de la vie politique par l’octroi d’un pouvoir de « mise en démission » du député, le Conseil Constitutionnel, garant des droits fondamentaux et des institutions politiques, doit désormais devenir aussi le garant de la probité du personnel politique. Les premiers contentieux de ce type seront ainsi à suivre avec le plus grand intérêt.
[1] Loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, publiée au Journal Officiel n°217 du 16 septembre 2017.
[2] Loi organique n° 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, publiée au Journal Officiel n°217 du 16 septembre 2017.
[3] Décision DC n° 2017 – 753 du 8 septembre 2017, Conseil Constitutionnel de la République Française.
[4] Décision DC n° 2017 – 752 du 8 septembre 2017, Conseil Constitutionnel de la République Française.
[5] Articles 25 et 26 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.
[6] Article 26 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.
[7] Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique parue au Journal Officiel du 12 mars 1988.
[8] Loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique publiée au Journal Officiel n°238 du 12 octobre 2013.
[9] Dans sa décision n° 2017 – 753 DC du 8 septembre 2017, le Conseil constitutionnel évoque « l’article 4 ». En effet l’article 2 fut déclaré non conforme et la nature organique de l’article 3 a été invalidée.
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